Présidentielle en Auvergne : l’exception de Clermont-Ferrand, surprise au Puy-en-Velay, analyse du premier tour

Au lendemain du 1er tour de l’élection présidentielle, en Auvergne, le scrutin est émaillé de plusieurs surprises : Clermont-Ferrand fait figure d’exception parmi les métropoles, Mélenchon crée la surprise au Puy-en-Velay et la droite modérée ne parvient pas à rassembler. Un politologue analyse les résultats.

A l’issue du 1er tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont été désignés pour le second tour. Si le résultat est similaire à celui de 2017, pourtant, on observe en Auvergne de nettes différences par rapport au précédent scrutin. Fortes divergences entre zones urbaines et zones rurales, Clermont-Ferrand qui reste un bastion de gauche et Le Puy-en-Velay qui crée la surprise, le politologue et président de l’Université Clermont Auvergne Mathias Bernard analyse les résultats de ce 1er tour en Auvergne.  

Question : En quoi cette élection diffère-t-elle de celle de 2017 ?  

Mathias Bernard : « En 2017, il y avait quand même une sorte d'uniformité autour du vote Emmanuel Macron. Là c'est clair qu’on a une confirmation de la prédominance d'Emmanuel Macron, sur les départements du Puy-de-Dôme et du Cantal. En en revanche sur l'Allier et surtout sur la Haute-Loire, on enregistre quand même une très forte progression de Marine Le Pen, qui passe en tête. On a bien cette dualité qui renvoie à des réalités différentes. Ce qui frappe c'est la progression du vote Le Pen par rapport à 2017, notamment dans les campagnes et dans les toutes petites villes en environnement rural sur l'Allier, sur la Haute-Loire, même d'ailleurs dans le Puy-de-Dôme, la partie rurale du Puy-de-Dôme : que ce soient les Combrailles, que ce soit le Livradois-Forez, que ce soit une partie du nord Limagne, on voit bien qu'il y a cette progression du vote Le Pen, de 4 à 5 points par rapport à 2017. »   

Question : Comment peut-on expliquer la progression du Rassemblement National ?  

Mathias Bernard : « On peut l'expliquer par la crainte de la part de cette partie rurale de nos départements, la crainte du déclassement, l'opposition à une force politique incarnée par Emmanuel Macron, qui apparaît comme urbaine, comme étant plus intégrée économiquement… Je pense qu’on a quand même un vote protestataire contre une politique qui donne l'impression d'abandonner les campagnes. Marine Le Pen, comme d'ailleurs Jean Lassalle, on ne le dit pas suffisamment, mais qui aussi réalise d'assez bons scores dans les campagnes. Il a parfois plus de 5% dans certaines zones rurales de nos départements. Ils ont capté cette protestation devant la peur d'être abandonné, d'être laissé-pour-compte. Je pense que c'est vraiment ce positionnement-là qui explique la progression de Marine Le Pen dans cette zone et à l'inverse, dans les pôles plutôt urbains, c'est Macron qui qui arrive en tête. »

Question : Emmanuel Macron est donc plutôt le candidat des villes ?

Mathias Bernard : « En effet, Emmanuel Macron arrive en tête et souvent à 30% et plus, il capte un électorat qui est très homogène : l’électorat des cadres et cadres supérieurs urbains diplômés, économiquement et socialement intégrés. Il capte cet électorat-là, indépendamment du clivage traditionnel droite-gauche. On a vraiment un vote quasiment sociologique et non pas politique puisqu’on va le voir en tête aussi bien dans des communes qui sont marquées à droite que dans les communes qui sont aujourd'hui dirigées par la gauche. Il capte vraiment au centre droit comme au centre gauche. Il capte cet électorat urbain notamment dans tout l'ouest de la métropole clermontoise, à Royat-Chamalières. Là il est à 38, 39%, à Beaumont à 36%... Donc on voit bien que dans ces communes qui sont généralement des communes UDI où LR, ce qui domine vraiment, c'est les classes urbanisées. Là, il fait un fort score et c'est quelque chose qu'on retrouve sur d'autres territoires, par exemple dans l'ouest lyonnais, c'est la même chose. »

Question : Le Puy-en-Velay a créé la surprise lors de cette élection, pourquoi ?

Mathias Bernard : « La grosse surprise, c'est quand même au Puy-en-Velay avec Jean-Luc Mélenchon qui est en tête sur le fil. Ce qui ne correspond évidemment pas du tout à la typologie, à la culture politique de cette ville qui était plutôt une ville marquée au centre droit même s'il y a eu un court épisode d'une mairie socialiste au début des années 2000. La manière dont on peut expliquer cette domination de Mélenchon sur le Puy, je pense qu'il y a 2 choses. Il y a le fait que Mélenchon, au Puy comme ailleurs, a capté un électorat de gauche modérée qui habituellement vote socialiste voire écologiste et qui a voté « utile », en quelque sorte, dès le premier tour, en espérant que Mélenchon pourrait disputer à Marine Le Pen la 2e place, avec l'idée que le vote Mélenchon était peut être un vote qui pourrait éliminer Le Pen pour le second tour. Il y a donc premier facteur, cet électorat de gauche mondiale qui a voté Mélenchon. Et puis la 2e chose, on peut dire que Mélenchon fait un bon score et Macron un moins bon score que ce qu'il fait habituellement dans l'électorat urbain, qui a été bloqué par l'anti macronisme, qui traduit l'influence de Laurent Wauquiez : 25 à 25,7% au Puy, c'est un faible score, il aurait dû faire plus au vu de la sociologie de la ville. Facilement 4 ou 5 points de plus. Ce qui est quand même caractéristique c'est que, même au Puy, la candidate LR est quasiment hors-jeu. »

Question : Les départements auvergnats se sont-ils détournés de la droite modérée des Républicains ?  

Mathias Bernard : « C'est quand même à mon sens ce qui, dans nos territoires, est le plus marquant parce que les 4 départements sont dirigés par des présidents LR. On a une majorité à droite modérée et là, la candidate de cette droite modérée est marginalisée ici comme elle l'est au niveau national. C'est une caractéristique forte et un décalage entre ce résultat national et les résultats des élections plus locales, que ce soit les régionales, les départementales ou les municipales. Là, les partis traditionnels, LR bien sûr et même le PS étaient quand même présents. On voit qu'il y a désormais 2 catégories de scrutins dans lesquels les électeurs ne se comportent pas du tout de la même manière. »  

Question : Comment les électeurs clermontois ont-ils voté ?  

Mathias Bernard : « Il y a aussi l'exception Clermont-Ferrand. Clermont-Ferrand reste un bastion de gauche en dépit de la progression de la droite sur le Puy-de-Dôme depuis quelques années. Par rapport à 2017 où l’électorat de gauche s'était porté plutôt sur Macron, là il y a une partie qui s’est plutôt reportée sur Mélenchon. Cette fois-ci,  l'évolution du discours et du positionnement de Macron vers le centre droit a conduit à la percée de Mélenchon qui fait désormais plus de 30%. Ça s'inscrit dans la culture de gauche de cette commune avec un vote Marine Le Pen qui est quasiment 10 points en dessous de la moyenne nationale. Son score reste assez élevé, 14%, mais reste quand même faible par rapport à la moyenne nationale et ça confirme les choix des Clermontois. A Clermont-Ferrand encore, on voit la quasi disparition à ce scrutin du parti socialiste. On voit bien qu'il y a eu un réflexe de vote utile et de polarisation quand même sur les principaux candidats »

Question : Le clivage droite-gauche existe-t-il toujours ?

Mathias Bernard : « On n’est plus dans une logique bipolaire droite-gauche qui structurait notre vie politique depuis le début de la 5e République. Cette bipolarisation, elle n'existe plus de fait, on est plutôt passé à une triple polarisation avec un centre libéral européen qui est incarné par Macron. On a un pôle d'une droite populiste et nationale, presque d'extrême droite d'ailleurs qui lui aussi assemble potentiellement plus de 30% des voix et puis un pôle de gauche radicale qui font que le clivage droite-gauche habituel ne nous permet pas de comprendre ce qui est à l'œuvre. La seule difficulté, c'est que ce regroupement en 3 pôles ne correspond pas au fonctionnement de notre système électoral. C'est un système électoral qui est majoritaire à 2 tours et qui théoriquement pousse à la bipolarisation. Un président qui, au premier tour, a moins de 25% des voix et finalement, arrive à obtenir une majorité absolue à l'Assemblée nationale et au 2nd tour, montre que le système majoritaire est plutôt adapté à une structure bipolaire, il n'est pas adapté à la structure tripolaire qui s'exprimait dans le cadre de ce premier tour, ça pose un problème de représentation politique. »

Question : A quoi peut-on s’attendre au second tour ?  

Mathias Bernard : « On est sur un scrutin qui sera beaucoup plus incertain que ce qu'il a été en 2017. Il n’y avait pas de vrai suspense sur l'issue du 2nd tour. Emmanuel Macron avait quasiment fêté sa victoire dès le premier tour. Là, ça n'est pas du tout dans la même ambiance. C'était la victoire hier mais il reste une vraie incertitude. D’abord parce que, contrairement à 2017, Marine Le Pen bénéficie d'une réserve de voix avec les électeurs de Zemmour et de Dupont-Aignan. Au total ça représente un peu moins de 10% des voix. Ces électeurs-là vont voter assez majoritairement pour elle. Le 2e élément d'incertitude, c'est que, en 2017, Emmanuel Macron avait capitalisé sur ce qu'on avait appelé le « dégagisme ». Il avait fait campagne sur le renouvellement, la disruption. Là, en tant que président sortant, il ne peut pas incarner le changement. Le 3ème élément et la grande inconnue, ça va être l'attitude des électeurs de Jean-Luc Mélenchon. On sait bien que cet électorat-là s’est quand même construit aussi en opposition à Emmanuel Macron, aux politiques menées. Alors bien sûr, il s'oppose aussi, et Jean-Luc Mélenchon l'a rappelé hier soir, à Marine Le Pen. Cet électorat-là va potentiellement avoir une attitude assez diversifiée entre le vote Macron. Pour certains, l'abstention, le vote blanc pour d'autres, peut-être le vote Le Pen quand même pour une 3e partie. L'issue du scrutin va dépendre de la manière dont vont se répartir les électeurs de Jean-Luc Mélenchon. Il y a un vrai enjeu pour les 2 candidats, pour aller chercher ces électeurs-là et ça sera les mêmes enjeux en Auvergne. »

A noter, l’abstention qui s’élève à 21,55% dans le Puy-de-Dôme, 20,48% en Haute-Loire, 21,62% dans le Cantal et 23,40% dans l’Allier.

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