Le mouvement des « Gilets Jaunes » avait débuté le 17 novembre 2018. En occupant les ronds-points puis en manifestant chaque samedi dans les villes, des milliers de Français ont voulu dire leur opposition à la politique du gouvernement. Trois ans plus tard, ils n’étaient plus qu’une cinquantaine au rendez-vous à Gerzat dans le Puy-de-Dôme.
Voilà 6 semaines que les « Gilets Jaunes » tentent de relancer le mouvement au rond-point de Gerzat au nord de Clermont-Ferrand dans le Puy-de-Dôme. Gerzat, c’était un site stratégique du mouvement de la contestation lancée le 17 novembre 2018. Pour fêter cet anniversaire, ils avaient envoyé une large invitation pour le samedi le plus proche sur le calendrier, le 20 novembre. Mais la mobilisation a été faible tout au long de la journée, ils n’étaient qu’une cinquantaine.
Pour Florence Lavenue : « Dire que c’est joyeux, non, je ne dirais pas ça parce que j’ai l’impression que les gens ont baissé les bras. On a essayé de dialoguer entre nous, mais tous ceux qui étaient là 3 ans en arrière, on ne les voit plus. C’est triste parce que je pensais que ce mouvement allait faire réagir les gens avec le pouvoir d’achat, le gasoil qui augmente, l’électricité, tout ce dont les gens ont besoin actuellement et qu’on n’a plus les moyens de se payer ».
Pour Carine c’est un peu la même désillusion. Les images de la mobilisation des premières heures sont loin, au temps où les gilets jaunes faisaient trembler la France tous les samedis après-midi. Trois ans plus tard, c'est l'heure du bilan. « J’étais le 17 novembre 2018 à Cournon. On est relativement en colère, on a eu des hauts et des bas. Au départ on est sortis pour les hausses de taxes au niveau de l’essence surtout, mais des hausses de taxes en général et on a eu des baisses au niveau de l’essence, mais là ça remonte. On se rend compte que tout ce qu’ils peuvent gratter, ils grattent. Ils mettent les plus faibles dans le caca, voilà ! »
Jean-Michel Rouchon a occupé le rond-point du Brezet à Clermont-Ferrand pendant 2 ans, c’était la grande époque du mouvement, bien avant que le COVID 19 prenne la première place dans toutes préoccupations : « Quand on était 283 000 pour ceux qui croient aux chiffres, et bien à Riom la tête du cortège était à Auchan Croix de Neyrat et partait toujours pas de Riom, ce qui veut dire que toute la voie express était remplie de bagnoles de « Gilets Jaunes » et nous n’étions d’après le gouvernement que 283 000 sur toute la France, ce qui était une vaste blague. S’ils ont été aussi violents dès le début dans leur répression, c’est qu’ils ont eu la trouille. Et pourquoi ? Parce que ce jour-là, sur toute la France, on était plutôt entre 3 et 4 millions. Sur Clermont, on devait être au moins 25 000. Un truc de dingues, il n’y a que l’ASM qui fait ça ! »
Fanny (c’est un prénom d’emprunt) s’interroge : « Je suis sortie dès le début, il y a 3 ans. Le bilan est forcément négatif. Qu’est-ce qu’on a obtenu ? Augmentation du gaz et de l’électricité, de l’alimentation, de l’essence, des réformes à tout va. On a essayé d’apaiser un peu la colère sociale en promettant 100 euros, ce qui revient à moins de 10 € par mois pour l’essence. Mais au final, le Sénat n’est pas pour, on verra au Parlement comment ça va passer. Voilà, on n’a pas obtenu grand-chose mais ce n’était pas 3 ans pour rien car ça a permis de réunir des gens, d’éveiller une certaine conscience populaire, d’avoir des échanges. La fraternité c’est essentiel ».
Les « Gilets Jaunes » et la politique
Les rapports entre les porteurs de gilets jaunes sur les ronds-points et dans les manifestation et la politique ont toujours été compliqués. D’abord parce que le mouvement a toujours rejeté toute tentative de récupération et parce que les plus convaincus se sont toujours refusés à s’engager. Aussi parce que le mouvement, en interne n’est pas arrivé à se structurer dans la durée.
Pour Carine : « Le mouvement s’essouffle partout, même dans les grandes villes on ne ressort que pour les grosses occasions. Les gens en ont marre car ils se rendent compte que ça ne peut plus rien donner dans la forme actuelle et il faut trouver comment traduire ces 3 ans. On réfléchit, on fait des assemblées, on fait des groupes de paroles. Il y a déjà eu des tentatives d’incursion dans la vie politique, il y a eu des associations de « Gilets Jaunes » qui se sont montées mais c’est encore tout frais et on n’a pas de retombées de ce genre de choses. On se cherche encore un peu, mais ça va évoluer, j’y crois moi ! J’aimerai de nouvelles têtes, de nouveaux candidats pour les élections en 2022, que de nouvelles choses émergent comme un nouveau candidat qui aurait des idées neuves car actuellement c’est du réchauffé et ce n’est pas des gens qui ont des idées qui conviendraient pour relancer la France. De nouvelles têtes avec de nouveaux programmes, et à un niveau plus bas, déjà de faire des listes pour les communes avec aussi de nouveaux programmes, ça serait pas mal. On mène un combat qui est contre la politique actuelle donc forcément il faudra que ce soit politisé ».
Jean-Michel Rouchon, qui a abandonné son combat syndical, ne tourne cependant pas le dos à la politique. Il y voit même l’avenir du mouvement : « Ce que je ressens, c’est la continuité. On est comme tous les mouvements dès que ça dure, il y a des hauts et des bas, même des très bas où on ne s’aperçoit plus qu’il y a des « Gilets Jaunes », je ne parle pas des médias qui ont complétement obturé les « Gilets Jaunes ». Maintenant nous on est dans la continuité et ce que veulent les « Gilets Jaunes » c’est simple : c’est une 6ème république, pour cela obtenir la formation d’une assemblée constituante, qu’une constitution soit écrite par le peuple pour le peuple. Personne ne vient ici pour que Macron se décide à nous lâcher 153 euros virgule 7 pour acheter des nouilles, c’est l’avenir que l’on veut. L’assemblée constituante ce n’est pas de la rigolade, prenez le Chili. Le peuple a obtenu de faire une assemblée constituante et ils sont en train d’écrire une nouvelle constitution en détricotant celle mise en place par Pinochet. Tout de suite, maintenant, donc ce n’est pas une utopie, c’est un choix politique. On a un idéal et un objectif politique ».
Sur la suite à donner à la mobilisation, Fanny reste motivée : « On verra les gens qui veulent bien se mobiliser ou non. On voudrait obtenir plus de pouvoir d’achat, etc… mais c’est compliqué car on sort dans la rue et on n’obtient pas grand-chose. Mais je pense que c’est mieux d’être là aujourd’hui que de rester derrière son canapé et sa télé à contester tout seul. Il faut montrer qu’on n’est pas contents, toujours ». Mais l’émergence d’un mouvement politique reste une hypothèse aléatoire. « C’est compliqué, c’est vrai qu’on a une mauvaise image des « Gilets Jaunes ». Est-ce que ça apportera un électorat ? On a aussi des points de vue assez différents. Mais on est beaucoup à ne pas se retrouver dans les candidats classiques et dans la politique actuelle. Mais oui, pour obtenir des choses, est-ce qu’il ne faudrait pas se lancer… »
Enfin à l’heure du bilan, Florence Lavenue est un peu amère : « Quant à savoir si le combat a servi à quelque chose : au niveau financier, non. Mais on a retrouvé une solidarité qui avant, pour moi, n’existait pas. On sent que les gens se soutiennent entre eux, même sur les réseaux sociaux on trouve une écoute. Maintenant je trouve qu’il y a de la solidarité, mais on n’a rien gagné au niveau de la hausse de tout ce qui a bien augmenté… tout ce qui est remis en question, le chômage, la retraite, et qui va toucher forcément les plus faibles ».