"Corne de Gazette" se déguste le dimanche soir sur Radio Campus à Clermont-Ferrand. Une émission réalisée depuis 2020 par des jeunes du quartier populaire de la Gauthière. De la littérature, du sport, de l'histoire, des sciences. Ces jeunes dévoilent leurs passions et leur culture pour sortir des clichés de la banlieue.
Les yeux sont rivés sur l’écran d’ordinateur, les doigts tapotent énergiquement sur le clavier. Tarik Zitouni, animateur bénévole, prépare le déroulé de l’émission "Corne de gazette". On est dimanche soir et des jeunes du quartier populaire de la Gauthière à Clermont-Ferrand s’apprêtent à prendre la parole sur Radio Campus. « Donne-moi une idée, Walid, pour la pause. » Un morceau de Daft Punk. Walid n’a eu aucune hésitation.
20h00 s’affiche à l’horloge. Antenne ! Les micros sont ouverts. « Bonsoir, il est 20h02, vous écoutez "Corne de gazette" sur la fréquence 93.3. » C’est parti pour une heure d’émission avec les membres de l’association "L’air de rien" qui a lancé le projet radio en 2020.
Autour de la table, ils sont plusieurs animateurs. L’un pour parler de la dernière victoire du Clermont Foot, l’autre de cinéma. « Nous avons deux vocations », explique Tarik Zitouni, bénévole. « La première, c’est de partager nos passions : nous avons des passionnés d’histoire, de littérature, de sciences, de sport, de cinéma. Et la seconde, c’est de mettre la loupe sur des acteurs locaux, peut-être un peu moins connus de Clermont-Ferrand. »
Et puis parmi eux, justement, un invité : Stéphane Maltère, professeur de français au collège La charme de Clermont-Ferrand et écrivain. Il est venu échanger sur Madame de Sévigné et Pierre Benoît, un romancier à succès du début du XXe siècle, mais aujourd’hui oublié. Autour de la table, le tutoiement est de rigueur. La littérature est à l’honneur. Les auditeurs réagissent sur Instagram.
"C'est très spontané"
Qui soupçonne que ces jeunes sont dit « défavorisés » ? Pas grand monde. Même pas le professeur, passionné de Pierre Benoît. « J’ai été impressionné qu’ils aient travaillé sur Madame de Sévigné et Pierre Benoît. J’aime bien l’émission, car c’est très spontané. Chacun prend la parole quand il le souhaite. J’étais très étonné qu’ils parlent littérature et en plus, ils en parlent vachement bien ! »
"Corne de Gazette" est la nouvelle voix d’expression mise en place en 2020 par l’association de quartier "L’air de Rien". Depuis 2014, cette association initie les jeunes du quartier de la Gauthière à la culture au moyen du théâtre. « Les jeunes des quartiers ne sont pas plus bêtes que les autres », témoigne, Belaïde Chekroun, président de l’association. « Ils ont des idées et l’envie de les exprimer par différentes manières : le théâtre, le stand-up, l’écriture et maintenant la radio. »
Quartier nord
La Gauthière, c’est ce quartier au nord de Clermont-Ferrand à proximité des pistes Michelin. Ces derniers temps, il a surtout fait parler de lui pour ses fusillades, ses règlements de compte. 4200 habitants, un taux de pauvreté de 53,7%. 28% des personnes sont de nationalité étrangère. Un quartier jeune. 38% des habitants ont moins de 25 ans. « L’objectif, c’est de ne pas pleurnicher, de ne pas rester sur nos préjugés et ça marche ! », s’enthousiasme encore Belaïde Chekroun.
Plus tôt, en ce dimanche du mois de mai, quelques heures avant l’émission, l’air est doux à la Gauthière. Les habitants profitent des espaces verts. De la musique, des enfants qui jouent, des mamans qui profitent du grand air. C’est vivant, c’est animé, il y a de la couleur. Sur les vêtements. Sur les visages.
Horizons élargis
Tarik, Walid, Passar et Aïda discutent entre amis. Ils ont adhéré chacun à l’association et rejoint l’émission "Corne de Gazette".
C’est Tarik Zitouni qui commence. « Cela nous montre à nous-mêmes que nous avons tous des possibilités. Nous avons tous des champs d’horizon élargis notamment et surtout grâce à la culture. » Une culture qui ne connaît ni langue, ni frontière, selon ce passionné d’histoire de France.
Passar Moiran, lui, y a gagné en aisance orale. Il a conscience de sa chance. « En France, on a la chance de pouvoir s’exprimer alors que dans certains pays, on ne peut pas faire ce qu’on veut. Alors, autant user de ce droit dont on dispose. »
Aïda Sadikaj prend la suite. Elle est albanaise. Dans un français impeccable, elle a pu grâce à la radio s’approprier un peu plus son nouveau pays. « C’est intéressant dans tous les domaines pour pouvoir se cultiver, surtout quand on vient d’une autre culture, pour s’intégrer à la société française. »
Ce dimanche-là, à la Gauthière, il n’y a pas eu de coups de feu. Juste des personnes qui ont pris le temps de vivre ensemble une douce après-midi du mois de mai.