REPORTAGE. Pouvoir d'achat : "Avant je prenais 125 g de viande. Maintenant c’est 100 g, pas plus"

Dans un contexte de baisse du pouvoir d’achat, face à la hausse générale des prix, les consommateurs deviennent plus prudents dans leur façon de consommer. Rencontres dans un marché près de Clermont-Ferrand, où commerçants et clients sont tous confrontés à l’inflation.

Mercredi matin, jour de marché à Aulnat, près de Clermont-Ferrand. Alors que le soleil n’est même pas encore levé, tous les tréteaux, eux, le sont. Dernière mise en place pour ces commerçants itinérants. La place de l’église dite « rustique », modernement pavée, est encore humide de la pluie des aurores. Et le ciel lourd et gris ne promet pas d’épargner le marché. Les clients les plus téméraires arrivent avant 8h00, sans avoir laissé tous les barnums se déplier.  Parmi eux, Roger, âgé de « bientôt trois chiffres », flâne d’étal en étal, et mesure toute ses dépenses. Quand on lui parle d’augmentation des prix, il répond : « Il faut vraiment être aveugle pour ne pas la voir », tout en réajustant ses lunettes. Pour passer du stand du boucher au fromager, le quasi-centenaire se repose sur sa canne dans la main gauche, et son cabas a le même usage dans l’autre main. « Voyez, avant je prenais 125 grammes de viande. Eh bien maintenant c’est 100 grammes, pas plus », explique-t-il en ouvrant son sac.

Une évolution des consommateurs

Entre temps, le camion de la poissonnière s’est stationné sur le centre de la place de la Paix. Les six exposants du jour sont enfin réunis. Et tous se connaissent. « Bonjour tout le monde ! », annonce Marie-Claire Faulconnier, sur les marchés depuis 14 ans, en descendant de son véhicule. « Salut l’mollusque », répond Jocelyn Fournet-Fayard, boucher venu du Haut-Forez. Autour d’un café, et d’une brioche, tous partagent l’expérience de changements de mode de consommation. « Aujourd’hui, les gens achètent ce qui leur faut, plus par envie. Avant on me commandait mes fruits au kilo, maintenant on me demande vraiment au détail », raconte Tumen Tas, primeur. Les premières vagues de clients arrivant, chacun repart derrière son comptoir, après la dernière gorgée de boisson chaude.
 
« Le froid c’est pas le problème. Ça devient plus gênant quand ça se transforme en pluie et en vent », échange Jean-Luc Perrier avec ses clients, venus acheter son fromage. Chez les Perrier, on fait les marchés de père en fils. « Depuis 65 ans sur les routes, si on prend avec mon père. » Faire face à la hausse des prix, c’est un savant équilibre selon lui, entre rogner sur les marges et faire passer la pilule aux consommateurs. « Ça arrive qu’on prenne quelques réflexions des fois, surtout au niveau des œufs. Si je reviens six mois en arrière, je les vendais à 2€ pour six. Maintenant on est facilement arrivés à 2,35€ », démontre-t-il en sortant les boîtes de son stock.

La ceinture serrée pour tout le monde


« On n’est pas sur un gros marché, mais on est sur un vrai marché de besoin. C’est nécessaire qu’on vienne à eux », raconte le boucher Jocelyn. Devant son camion, Sonia Mirande fait la queue, mais ne mâche pas ses mots face à la situation économique actuelle. « J’ai déjà toujours fait très attention à ce que j’achète. Je pense que je ne peux pas faire plus, sauf à commencer à manger de la m... » La nounou habitant à la frontière d’Aulnat, elle essaie de venir au moins une fois par semaine au marché. Poussette à la main, Sonia est très attachée à apprendre à ses enfants des habitudes d’alimentation saine, et de qualité. « J’ai trois enfants, et j’ai envie que malgré le contexte actuel, ils gardent cette expérience d’une qualité des produits, que je tente de leur transmettre », explique-t-elle. Pour la nourrice, acheter au marché, c’est aussi acheter des produits qui pourront se conserver. « En plus c’est pas pour autant plus cher que dans les grandes surfaces », ajoute-t-elle. Une réflexion que Marie-Claire, la poissonnière, a l’habitude d’entendre. « À force que mes clients répétaient que mes filets étaient moins chers que dans les hypermarchés, je suis allée vérifier moi-même chez Leclerc, et effectivement ils avaient raison », se souvient la commerçante.

Mais les augmentations des frais, ce n’est pas que pour les clients. Les vendeurs du marché doivent eux aussi s’adapter, surtout quand ils fabriquent. Dans le camion de Jocelyn trône son diplôme de « Médaille d’argent », pour sa créativité bouchère. Mais pour créer soi-même des produits, ça demande de l’énergie. « Quand on va arriver au 1er janvier, on va avoir une sacrée augmentation en électricité. Aujourd’hui, ça représente 2,90% de nos dépenses. En 2023, ça va passer à 6%, soit 88 000€ en plus », explique l’artisan-boucher, lucide. Jocelyn dirige 14 salariés, et doit jongler entre les factures, les salaires et la baisse de fréquentation. « Je pense qu’avec l’inflation, ça nous a fait une baisse de 15% de clients qui ne viennent plus, ou moins souvent. » Pour maintenir l’équilibre, la maison cible les produits transformés, comme les plats préparés, les terrines, qui sont les plus énergivores, et donc les plus chers à produire.


Travailler plus pour compenser


« Deux tranches de foie de veau pour Pépé et Mémé s’il te plaît Cécile », demande Bernard Aurier, le nez collé à la vitre du stand du boucher. Le retraité de 65 ans est un bon vivant, et n’acceptera jamais de consommer des produits de mauvaise qualité. « Le jour où je n’aurais plus de sous pour les acheter, et bah je les volerai », blague le sexagénaire. Avec une retraite de 1000€, Bernard continue d’exercer une petite activité de vannerie. Formé sur le tard, à ses 55 ans, il vend aujourd’hui ses créations en osier sur commande, pour vivre correctement. Il tient également un potager, pour toujours manger des produits locaux. « Alors oui, ça nécessite qu’on récolte, qu’on se baisse, mais je ne ferai pas d’impasse sur la qualité. » Mais malgré le contexte actuel, le retraité garde le sourire. « Il faut arrêter de pleurer la bouche pleine », affirme Bernard, en comparant la situation avec d’autres pays l’Europe. La liste de courses terminée, Cécile lui tend le paquet rempli, tout en le taquinant : « Tu ne vas bientôt plus rentrer dans le costume du père Noël ».
Pour faire redécoller les ventes, le couple Calmels compte bien sur « l’effet Noël ». Joël et Annie sont tous les deux à la retraite, mais font les marchés pour compléter leur pension, depuis mai 2022. Sur leurs tables : bijoux de création, fantaisies et pierre pour la lithothérapie. Mais depuis la fin de l’été, les promeneurs et vacanciers sont moins nombreux pour acheter leurs produits. Chaque semaine, les deux retraités parcourent 250 kilomètres pour vendre sur quatre marchés différents. « Et avec le prix de l’essence qui flambe, ça coûte de plus en plus cher », se plaint Joël. Mais le couple ne compte pas arrêter l’activité pour l’instant, et reste optimiste pour la suite. « On espère toujours, parce que si l’on n’espérait plus, on ne serait pas ici ce matin. »

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