TEMOIGNAGE. Maladie de Charcot : “Ma grande peur, c'est de laisser ma femme et mes enfants sans rien”

A 50 ans, sa vie a basculé : Tony a appris qu’il était atteint de la maladie de Charcot, une affection entraînant une paralysie progressive de tout le corps. Une fois le diagnostic posé, l’espérance de vie dépasse rarement 5 ans. Malgré cette épée de Damoclès, Tony et ses proches mènent un véritable combat contre la maladie.

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“Je m'appelle Tony, j'ai 52 ans. Je suis marié avec Annick, ça va faire bientôt 18 ans. J'ai 3 enfants.” Ce cadre commercial a vu sa vie basculer. Il est atteint d’une maladie incurable qui s’attaque peu à peu à tous ses membres : la maladie de Charcot. La maladie de Charcot ou sclérose latérale amyotrophique (SLA) est une maladie incurable et mortelle qui s’attaque aux neurones moteurs. Cette maladie neurodégénérative évolue en quelques années jusqu’à une paralysie complète. Cela entraîne une incapacité à se servir de ses bras, marcher, manger, parler et des difficultés respiratoires qui s’installent progressivement. L’espérance de vie se situe entre 3 et 5 ans.  

Des symptômes depuis 2019

Né à Limoges, Tony a toujours vécu dans le Puy-de-Dôme. Ses symptômes sont apparus en 2019. Il a remarqué que faire son footing devenait de plus en plus compliqué : “D'abord, ça a été en allant courir : j’ai vu mon pied qui accrochait par terre en courant. C'est ce qu'on appelle du steppage. En fait, je me suis aperçu que mon pied grattait par terre. Au début je me suis dit "Soit je suis fatigué, soit j'ai des petits soucis physiques”. Je n’y ai pas trop prêté attention. Puis, je me suis dit qu’il fallait consulter un médecin pour voir ce qui se passe.” Selon lui, la maladie de Charcot est très longue à diagnostiquer : "La moyenne, c'est un an pour un patient. Tony, ça a été plus”, se souvient Annick, son épouse. A ses côtés, Tony raconte son parcours : "Je suis d’abord allé consulter mon médecin traitant qui me dirige vers un neurologue. J’ai fait une batterie d’examens pendant plusieurs mois. Il a fallu d’abord éliminer toutes les autres pistes progressivement.” Pendant ce temps, la maladie progresse, attaque ses jambes : “J’avais une faiblesse musculaire, des difficultés à marcher, pour monter les marches... Tout le quotidien devient difficile, en fait. On est fatigué beaucoup plus rapidement.” 

"On ne m'a rien dit du tout la première fois"

Le diagnostic a été posé le 18 novembre 2021 : “On m'a dit "C'est la SLA, la sclérose latérale amyotrophique.” Quand la neurologue me l'a annoncée, je voyais par rapport à son attitude que c'était grave, mais ça n'a pas été vraiment plus loin. On ne m'a pas dit qu'il y avait entre 3 et 5 ans d'espérance de vie, on ne m'a rien dit du tout la première fois. Je suis sorti du rendez-vous et j’ai regardé sur Internet comme tout le monde et c'est là où j'ai vu que c'était la maladie de Charcot et que c'était une maladie qui était incurable et que j'avais entre 3 et 5 ans à vivre.” La neurologue lui propose alors un suivi. “Elle m’a dit qu’on se revoyait dans 2, 3 mois et je lui ai demandé “Qu'est-ce qu'on fait entre-temps ?” Elle a répondu : “Il faut attendre de voir l'évolution de la maladie et après on essaiera de faire au mieux pour vous aider à vivre votre maladie.” 

On ressent la maladie au quotidien

Tony, atteint de la maladie de Charcot

Pour Tony, c’est l’incompréhension, puis le choc. La maladie le condamne à perdre petit à petit ses facultés physiques, avant de mourir : “Je crois qu'au début je ne me suis pas trop rendu compte de ce qui se passait. Je l'ai gardé pour moi. Je pense que je devais être un petit peu dans le déni par rapport à ça, je ne voulais pas voir que c'était ce qui m'arrivait, parce que c'est tellement dur, je n’arrivais pas à voir la réalité en face. Après, il a bien fallu se rendre à l'évidence puisqu'on ressent la maladie au quotidien. On la ressent tout le temps, tout le temps, tout le temps.” La peur est présente, alimentée par la méconnaissance de cette affection, raconte son épouse : “A un moment donné, il a pensé qu'il s'étouffait, qu'il ne pouvait plus avaler. Il n'avait pas encore assez d'informations sur la maladie pour se rendre compte que ce n'était pas ça. Quand je suis arrivée, il était en état de choc post-traumatique. Il tremblait de partout. On a passé la nuit comme ça. Il a cru qu’il ne pouvait plus respirer parce qu’il n'avait pas assez d'informations sur la maladie.” 

 

Tony, tu n'es pas un poids, c'est la maladie. Mais toi, jamais on ne pourra t'en vouloir d'être malade.

Annick, épouse de Tony

Une nouvelle difficulté se dresse devant Tony : annoncer à ses proches qu’il est condamné : “Je sais qu'au moment où je vais annoncer ça, je vais embarquer les personnes avec moi dans la maladie. C'est vraiment quelque chose de très compliqué, on n’a pas envie “. Son épouse Annick se souvient : “Il ne voulait pas le dire. Notre dernier fils était aux États-Unis pour aller dans le tennis pro, il ne voulait pas le lui dire... Il y a plein de choses qui se sont jouées à l'annonce de ce diagnostic : la violence est pour tout le monde en fait, pour lui et pour ceux qui reçoivent la nouvelle. Bien sûr que c'est violent.” Il reçoit le soutien indéfectible de ses proches, selon Annick : “Il a eu beaucoup de pudeur par rapport à la maladie, il a voulu le garder pour lui. Il y avait le déni mais il y a aussi toute la pudeur. Il avait l'impression que c'était lui la mauvaise personne. Il s’en voulait du fait que l’entourage se retrouve pris dedans. Tony, tu n'es pas un poids, c'est la maladie. Mais toi, jamais on ne pourra t'en vouloir d'être malade.” 

"On est face à la mort"

La maladie de Charcot est si pesante psychologiquement que la neurologue propose même des solutions médicales à Tony, pour faire face à cette angoisse : “Une des premières choses qu'on vous dit, c’est qu’on va vous prescrire des anxiolytiques, comme ça vous les aurez quand vous avez besoin de faire face au stress, au mal-être. On est face à la mort”, raconte Annick. Son époux a, pour l’heure, fait le choix de ne pas prendre ce traitement. Sa diction est fluide, Tony n’éprouve pas de difficultés d’élocution : "Ça a démarré par les pieds. Il y a des personnes pour qui la maladie Charcot démarre par la forme bulbaire, au niveau de la gorge et de la bouche. Dans la progression de la maladie, c'est une chose vers laquelle je vais aller normalement.” 

"Rien que le fait de m'habiller me fatigue"

Près de 2 ans après l’annonce de sa maladie, l’état de Tony s’est détérioré : "J’ai perdu beaucoup de poids. J’ai perdu de la masse musculaire. Je me déplace maintenant avec un déambulateur à l'intérieur de la maison et à l'extérieur, on est même amené à prendre un fauteuil roulant. Ce n'est pas possible pour moi de marcher, j'ai des grosses pertes d'équilibre et vu que j'ai perdu musculairement, j'ai du mal à tenir debout. Au niveau de mon corps, c'est très compliqué. J'ai une fatigabilité qui est accrue, rien que le fait de m'habiller me fatigue... Par rapport au début de la maladie où j'accrochais juste mon pied, on en est bien plus loin dans la maladie, elle a progressé.” Moralement, la situation est devenue de plus en plus difficile : “Je suis face à la mort tout le temps.” 

"C’est sans cesse un combat"

Financièrement, la maladie met le couple en difficulté : "Toute la prise en charge est faite comme si c'était une affection longue durée, une ALD. Pourtant, la maladie est mortelle dans un court terme. Tout l'accompagnement et la prise en charge, que ce soit financièrement, que ce soient les couvertures et toutes les protections qui en découlent, ne sont pas adaptés. Rien n'est adapté. C'est une lutte en plus de la maladie”, raconte Annick. Quand Tony se retrouve en arrêt maladie longue durée, les finances de la famille périclitent : “On est pris dedans, nos enfants, moi, on est pris dedans. Il faut assurer financièrement pour essayer d'avoir un équilibre. Il faut essayer de tout tenter parce qu'il n'y a pas de traitement donc on tente tout. On essaie de diminuer son stress, ses doutes, de le prendre en charge de plus en plus par rapport aux difficultés physiques. Le but est de pouvoir ne serait-ce que se déplacer, d'avoir une maison adaptée... C’est sans cesse un combat.” 

"C'est vraiment une spirale"

Si certaines choses sont prises en charge par la Sécurité sociale, de nombreux frais additionnels mettent les finances familiales dans le rouge : “Ce qui est remboursé à 100% c'est le protocole médical, mais par exemple, pour un déambulateur, vous êtes remboursé 53€. Mais un déambulateur ce n'est pas ce prix-là. Le modèle adapté par rapport à sa taille, c'est un modèle qui coûte 400€. Ça s'accumule : vous avez le fauteuil roulant de base qui est remboursé mais Tony fait 1m86. On n'est pas du tout dans la même catégorie de prix. Il faut ajouter à ça le coussin, les roues adaptées... A pousser mon mari, je me suis démonté le dos, pour pouvoir l’aider. Même si j’y mets tout mon cœur, tout mon amour, je ne peux pas remplacer du matériel adapté. C'est vraiment une spirale”, dénonce sa femme. 

"Quand je bouge, j’ai l'impression de peser 500 kilos"

Il a rendez-vous tous les 6 mois avec plusieurs spécialistes qui évaluent l'évolution de la maladie. Entre deux visites, il a également un rendez-vous en visio, au bout de 3 mois. “Il est suivi à la Pitié-Salpêtrière, on a l'orthophoniste, l'ergothérapeute, le kiné, le psy, la diététicienne... on a 8 spécialistes.” Examens sanguins, musculaires et neurologiques s’enchaînent. Son dernier bilan date du mois de février : “J’ai fondu musculairement, par contre j'ai réussi à me maintenir à peu près correctement au niveau du poids, ce qui est très rare au niveau de la maladie de Charcot. C'est très important pour l'autonomie. Quand les motoneurones meurent, on ne refabrique pas du muscle derrière. Sinon, la maladie monte dans les jambes. J’ai des pertes de dextérité dans les mains pour écrire, par exemple, je n’ai plus assez de force pour couper ne serait-ce que des légumes dans mon assiette. Ma cheville commence à se verrouiller. Quand je bouge, j’ai l'impression de peser 500 kilos.” 

"Il faut qu'on lutte contre une maladie alors qu'elle est mortelle"

La maladie progresse vers la partie supérieure de son corps et attaque d’autres fonctions. Son épouse précise : “Les muscles de son transit ne le retiennent plus assez, donc il n'a plus beaucoup de temps maintenant pour aller aux toilettes. A l’extérieur, c'est compliqué.” Tout cela rend difficile le quotidien pour Tony : “Les passe-temps, il n'y en a pas beaucoup. Je suis fatigué très rapidement. C’est un combat, c'est sans cesse un combat. Il faut qu'on lutte contre une maladie alors qu'elle est mortelle, il faut combattre la partie administrative qui n'est pas adaptée.” Cependant, il se sent soutenu et épaulé par son entourage, auprès duquel il trouve du réconfort : “C'est vrai que j'ai beaucoup de chance d'avoir mon épouse, mes enfants, des gens pour m'aider et d'avoir un entourage qui est là pour moi. Les gens qui doivent vivre ça seuls, ça doit être catastrophique. Ça doit être simplement catastrophique pour ces gens-là.” 

Tout tenter

Son épouse fait face à ses côtés, malgré la difficulté : “On m’a déjà demandé “Comment tu vas faire financièrement quand il va falloir placer Tony ?” Si vous saviez le mal que ça m’a fait... Je veux juste pouvoir lui amener une vie confortable avec toute la dignité qui soit auprès des gens qui l'aiment et qu'il profite au maximum de ce qu'il a à vivre. On parle énormément, je ne le laisse pas enfermé dans ses émotions. On lui fait faire des exercices physiques avec les fibres lentes par exemple, une thérapie par le froid... On respecte le protocole, le suivi, mais on va bien plus loin que ce qu'ils proposent.” Pour cela, le couple a fondé une association, Ice For Life, grâce à laquelle Tony teste des protocoles expérimentaux pour améliorer son confort de vie, fait des tests génétiques pour découvrir l’origine de la maladie, contacte des neurologues spécialisés... En effet, Tony et Annick sont persuadés que de nombreux éléments restent à découvrir sur la maladie de Charcot : "On lui a dit que c'était une forme sporadique mais on a des doutes, notamment en raison du fait que son père ait une maladie neurodégénérative avec beaucoup de points communs. Nous pensons que ce sont des facteurs extérieurs qui se croisent à la génétique pour déclencher la maladie.”' 

“On ne sait pas à quel moment Tony va perdre son autonomie totale"

Dans ce contexte, difficile pour le couple d’envisager l’avenir : “On ne sait pas à quel moment Tony va perdre son autonomie totale, à quel moment ses jambes ne répondront plus du tout, avec toutes les peurs que ça engendre. Il faudra mettre toute l'énergie pour un véhicule, le faire adapter. D'un côté, il faut y penser, mais en même temps si on anticipe trop, je ne sais même pas si on aurait les ressources internes pour avancer”, regrette Annick. S’il vit au jour le jour, Tony n’est pas pour autant exempt de craintes : “Ma grande peur, c'est de laisser ma femme et mes enfants sans rien et dans la difficulté. En plus on ne sait pas quand ça va arriver. La maladie de Charcot, c'est suivant l'individu. Ça décline, ça peut se stabiliser un petit peu puis ça redécline, mais parfois ça décline brutalement... Cela amène beaucoup d'agressivité, de se retrouver enfermé chez soi, enfermé dans son corps, de devoir toujours être aidé, pris en charge pour tout, d'être dans la peur, sans cesse, de faire une fausse route, d’avaler de travers... C'est ça en fait, la maladie qui avance.” 

"Je suis en pleine réflexion sur le suicide assisté"

A cause de la maladie, le couple a dû renoncer à beaucoup de choses, regrette Annick : “Il faut faire des deuils en permanence. Chaque fois que ça avance, on doit laisser des choses derrière nous. Il a fallu accepter le fait qu'on ne marche plus main dans la main parce qu'il tient son déambulateur. Il a fallu accepter le fait de dormir différemment ensemble, de faire l'amour différemment, de pouvoir jouer différemment, de pouvoir se déplacer, de pouvoir s'occuper différemment... Tout est différent. Il faut faire des deuils.” Tony envisage même de devancer la maladie, si celle-ci devait lui rendre la vie impossible : “Je suis en pleine réflexion sur le suicide assisté. Je me dis, à quoi bon rester à la maison dans un lit à ne plus pouvoir bouger en étant branché de partout ? Me faire vivre ça, pour qui, pour quoi ? Et pourquoi faire vivre ça à ma famille ? Parce que moi, je me dis qu'au bout d'un moment, ce n'est plus vivre. C'est survivre et essayer de ne pas mourir. Mais ça n'a plus rien à voir avec la vie. “ 

 

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