Il y a bientôt 45 ans, en mai 1974, Valéry Giscard d’Estaing devenait le 3e président de la Ve République. Comment son fils Louis Giscard d’Estaing, actuel maire de Chamalières, a-t-il vécu l’événement ? Entre la petite et la grande histoire, il nous livre quelques confidences.
Le 8 avril 1974, depuis la mairie de Chamalières, Valéry Giscard d’Estaing annonce sa candidature à l’élection présidentielle. Un moment qui a marqué les mémoires dans le Puy-de-Dôme. Arrivé en deuxième position au 1er tour derrière François Mitterrand, il l’emporte de justesse au 2nd tour, le 19 mai 1974, avec 50,81 % des suffrages. Son fils Louis Giscard d’Estaing a 16 ans quand le Ministre de l’Economie et des Finances de Georges Pompidou, maire de Chamalières, accède à la plus haute fonction. Entretien.
Comment avez-vous vécu la déclaration de candidature de votre père à l’élection présidentielle ?
Louis Giscard d’Estaing : « Cela intervient après la disparition du président Georges Pompidou le 2 avril 1974 et le choc que cela a créé pour l’essentiel des Français qui ne pensaient pas que l’état de santé du président Pompidou se dégraderait à ce point. Et donc, c’est à la suite de cette annonce de sa disparition que s’est enclenché le processus de l’élection présidentielle de 1974, avec des perspectives de candidatures qui se sont précisées les unes après les autres. D’abord, celle de l’ancien Premier Ministre Jacques Chaban-Delmas qui fait cette annonce de candidature avant même les obsèques officielles du président Pompidou… Et puis, cette annonce de candidature depuis la mairie de Chamalières par celui qui en était à l’époque maire.
Il fait cette déclaration en s’inspirant à la fois du territoire, de l’Auvergne et de ce que ça représentait dans son parcours politique, avec un effet de nouveauté sur la forme et sur ce qu’il avait exprimé ce jour-là qui était " je veux regarder la France au fond des yeux". Et puis évidemment, l’élément déterminant qui était la jeunesse du candidat qui à 48 ans se présentait à une élection présidentielle pour apporter à la fois son expérience et sa capacité de réforme au service du pays et de la modernisation de la France ».
Oui, mais plus personnellement, qu’avez-vous ressenti à ce moment-là ?
Louis Giscard d’Estaing : « Ce n’est pas une question personnelle, j’étais déjà le fils du Ministre des Finances du président Georges Pompidou pendant 5 années d’exercice et auparavant du Ministre des Finances du général De Gaulle, donc c’était déjà quelqu’un qui s’était inscrit dans une perspective de responsabilités pour le pays et dans un parcours politique avec un parti, Les Républicains Indépendants.
J’avais ressenti le fait que cette démarche était novatrice mais elle avait sa vraie cohérence dans une trajectoire politique qui avait déjà préparé les conditions de l’exercice des responsabilités et avec cette volonté - c’était le slogan qui a été celui de la campagne de 74 – le changement dans la continuité ».
Comment vous êtes-vous impliqué dans cette campagne ?
Louis Giscard d’Estaing : "J’étais lycéen à Paris puisqu’à ce moment-là mon père était Ministre des Finances donc nous habitions Paris. En tant que lycéen, j’ai participé à la campagne, en dehors de mes horaires de cours bien évidemment, et en fonction des disponibilités que me laissait mon statut de lycéen. J’étais en classe de 1re et je préparais mon bac de français. J’ai participé à des réunions le soir ou à des tractages à la sortie de stations de métro pendant les quelques semaines de cette campagne tout à fait spontanée et innovante.
Il y a des photos où, avec mon frère et mes sœurs, nous sommes tous les 4 avec les tee-shirts ‘Giscard à la barre’ qui avaient été créés pour illustrer cette forme nouvelle de campagne électorale en associant beaucoup de jeunes. A ce moment-là, c’est la création d’un mouvement des Jeunes giscardiens et c’est une période intéressante et novatrice qui s’ouvre pour notre pays".
Lorsque votre père est finalement élu, à l’issue d’un 2e tour très serré, quelles sont les pensées qui vous traversent ?
Louis Giscard d’Estaing : "C’est ce que je dis à un de mes camarades de classe, je ressens une très grande fierté mais aussi une forme d’anxiété parce que, moi et mon frère et mes sœurs, nous devenons entre guillemets comme les enfants du général De Gaulle. Le fait de se retrouver les enfants du troisième président de la Ve république, ça vous fait forcément faire le parallèle avec des personnalités précédentes. Et donc il y avait cette forme d’interrogation sur ce que ça allait apporter comme changements dans notre vie ou dans le regard des autres, parce que c’était une situation exceptionnelle qui se présentait. Pour autant, nous avons décidé en famille de garder le plus possible notre mode de vie antérieur. Nous avons voulu conserver une vie personnelle familiale d’adolescents, de lycéens, d’étudiants selon nos âges.
On a pris la décision en famille de ne pas nous installer à l’Elysée, on n’avait pas de sécurité personnelle qui nous était attachée sauf circonstances particulières qui se sont produites quand par exemple Mesrine a dit quelque temps plus tard qu’il s’en prendrait aux enfants du Président de la République. Je continuais à aller en classe de Terminale tout seul, ensuite j’ai été en classe préparatoire pendant 2 ans, c’était la même chose. La seule période où nous avons été amenés à avoir une sécurité très rapprochée, c’est parce qu’il y avait des risques identifiés liés aussi au premier voyage officiel d’un président français en Algérie depuis l’indépendance. Sinon, on était autant que possible des étudiants, des lycéens comme les autres".
"J'étais assez zen quand en 1981 il y a eu une nouvelle élection présidentielle"
La fonction présidentielle est une lourde charge. Est-ce que vous en avez pâti ?
Louis Giscard d’Estaing : « Je me suis appliqué une règle simple, c’est la proportionnalité entre les avantages que vous pouvez obtenir d’une situation comme celle-ci et les inconvénients que cela génère. A partir du moment où j’ai minimisé volontairement, moi et mon frère et mes sœurs, toute hypothèse d’avantage que cela pourrait induire dans notre vie, on a aussi minimisé les inconvénients qui auraient pu en résulter. C’est en s’efforçant d’appliquer cette règle que je n’ai pas eu à subir particulièrement de contrecoups non seulement de la période du septennat, mais surtout de la période qui suivait. Si vous cherchez à développer des avantages, vous les perdez si cette période se termine. C’est pour ça que j’étais assez zen quand en 1981 il y a eu une nouvelle élection présidentielle. En plus, je faisais mon service militaire comme tous les jeunes Français la faisaient, sans aucune dérogation. De mon point de vue, et je pense c’est une règle de vie à laquelle je me suis astreint, si on donne l’exemple d’une forme de sobriété et de comportement le plus irréprochable possible, on en subit d’autant moins d’inconvénients ».
Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur cette période ?
Louis Giscard d’Estaing : « Un regard extrêmement positif sur ce que cette période a représenté pour la société française, pour mes condisciples dans mes études ou les jeunes femmes et les garçons de mon âge qui ont pu accéder au droit de vote à 18 ans dans la foulée de l’élection de 1974 alors qu’il fallait avant attendre 21 ans, la mise en place de la loi autorisant l’interruption volontaire de grossesse pour les femmes, la loi Weil. Cela a été aussi le divorce par consentement mutuel pour les couples, et en particulier les femmes qui ne pouvaient pas le faire sans l’accord de leur mari. Ensuite, c’est la première démarche en faveur de l’autonomie des universités, c’est la loi informatique et libertés de 1978 qui crée les conditions qui sont aujourd’hui encore en vigueur pour la protection des données personnelles, c’est la loi Scrivener sur la consommation, c’est énormément d’avancées qui sont aujourd’hui encore totalement d’actualité et qui sont faites dans les premières années de ce septennat ».
Vous êtes numéro 3 sur la liste UDI conduite par le président du mouvement Jean-Christophe Lagarde pour les élections européennes du 26 mai. De quelle manière le septennat de votre père a-t-il nourri votre engagement politique ? Cela représente-t-il une période charnière ?
Louis Giscard d’Estaing : « De façon d’autant plus naturelle que ça l’a été pour beaucoup de Français qui ont constaté pendant ce septennat que beaucoup de choses avaient bougé dans notre pays, qu’il s’était modernisé, que la société avait pris des orientations en faveur du droit des femmes, des jeunes, etc (…) Quand on reprend avec un peu de recul toutes ces avancées majeures qui ont été faites, comment pourrait-on imaginer que quelqu’un comme moi, qui a eu la chance en plus de les vivre de très près, n’aurait pas souhaité à un moment donné s’engager à son tour pour aller dans la même direction ou la prolongation de ce qui avait été entrepris, et qui nécessite aujourd’hui - on le voit notamment sur le plan européen mais pas seulement - d’être actualisé au regard d‘un certain nombre de difficultés qui se sont accumulées dans l’économie de notre pays, dans sa pratique démocratique…
Toutes ces raisons font que je suis naturellement engagé dans cette campagne pour les européennes du 26 mai prochain. C’est en totale cohérence avec mon parcours politique, celui de ma famille de pensée qui a toujours été enracinée dans la construction européenne… ».
Votre père suit-il cette campagne européenne de près ?
Louis Giscard d’Estaing : « Bien sûr que nous avons des échanges très réguliers, nous en avons eu ces derniers jours sur cette question des élections européennes. Il n’est pas dans sa nature ni dans sa fonction d’ancien Président de la République d’apporter son soutien à telle ou telle démarche qui relèverait de la sphère purement politique. Par contre, ce que je peux vous dire, c’est qu’il suit de près mon engagement européen et qu’il est aujourd’hui dans l’état d’esprit de quelqu’un qui souhaite que les idées qu’il a mises en œuvre pendant toute sa vie politique continuent à infuser le débat public et en particulier la campagne européenne ».
Retrouvez ci-dessous le portrait (réalisé le 6 mai 1974) de Valéry Giscard d'Estaing, à l'occasion du deuxième tour de l'élection présidentielle (Document INA).