Ils sont de plus en plus nombreux à rendre l’écharpe : chez les maires, mais aussi les conseillers municipaux et les adjoints, les démissions sont de plus en plus courantes, selon l'association des maires de France. Analyse du phénomène, dans l’Allier et le Puy-de-Dôme.
Les démissions d'élus locaux atteignent un niveau "jamais vu", affirme le président de l'Association des maires de France (AMF). Selon les données recueillies par l'AMF auprès de 28 de ses 102 associations départementales, 275 maires, 913 adjoints et 3 563 conseillers ont à ce jour démissionné de leur fonction depuis 2020, soit 4 751 élus au total. Plutôt qu'une vague nationale, ces démissions varient d'un département à l'autre et sont particulièrement fortes dans certains d'entre eux comme l'Allier, le Morbihan ou la Loire-Atlantique. Dans l’Allier, Jean-Louis Perrichon, président de l’association des maires ruraux, analyse : “Les raisons sont multiples. On est en période de crise quasiment depuis le début de ce mandat, qui a démarré en 2020. Moi, je le ressens aussi, y compris dans mon équipe. Il y a des gens qui avaient voulu s'investir et puis qui s'aperçoivent qu'ils ne peuvent rien faire, parce qu'on n’arrive pas à dégager un résultat positif qui nous permettrait de nous engager dans un emprunt. Ça décourage. Il y a pas mal de mésententes aussi, au sein de certaines équipes municipales.”
Depuis leur élection en 2020 jusqu'au 10 mars 2023, 20 communes de l'Allier ont changé de maire, selon l'AMF Allier. Parmi les 20 maires, 15 ont démissionné. Ces changements avaient concerné 29 communes sur la totalité du mandat précédent et 27 entre 2008 et 2014. Côté adjoints et conseillers bourbonnais, entre 2020 et février 2023, on comptabilise 332 démissions : 64 adjoints et 281 conseillers municipaux ont quitté leur fonction avant le mi-mandat.
Il y a de gros soucis à se faire sur les renouvellements à venir.
Jean-Louis Perrichon, président de l'association des maires ruraux de l'Allier
Un maire sur deux étant en activité, ces élus éprouvent souvent des difficultés à concilier leur fonction, leur vie professionnelle et leur vie personnelle. “C'est très inquiétant parce que, si ça doit durer, il y a de gros soucis à se faire sur les renouvellements à venir. En 2026, on va avoir un mal de chien à trouver ! C'est donner du grain à moudre aux gens qui prêchent pour le regroupement des petites communes. La Cour des Comptes vient de publier un rapport qui appelle à un regroupement des petites communes en copiant sur ce qui se passe à l'étranger", regrette Jean-Louis Perrichon.
Conserver la proximité des services
Un constat qu’il juge inquiétant et inapproprié à la réalité du fonctionnement de ces communes rurales : “Quand je pense qu'il y a des gens qui n'ont pas compris que la proximité c'est très important ! Les gens qui habitent dans de petits villages isolés, ils n’en ont que faire, que leur commune soit regroupée avec 2 ou 3 autres communes à côté. Parce que là, aujourd'hui, ils peuvent avoir un minimum de services à portée de main. Demain, il faudra qu'ils se déplacent de plusieurs kilomètres. La proximité avec les élus de premier niveau que sont les maires et les conseillers des petites communes, c'est fondamental. Il faut vivre dans les grosses agglomérations urbaines pour ne pas le comprendre.”
Une tâche qui se complexifie
Dans le Puy-de-Dôme, l’association des maires dénombre 12 démissions de maires depuis 2020, 107 démissions d'adjoints et 532 de conseillers municipaux. La présidente Pierrette Dafix-Ray analyse : “Je pense qu'il y a plusieurs raisons. Les élections en 2020 se sont faites de façon particulière. Il y a eu tout de suite le COVID donc les gens n'ont pas pu vraiment prendre leur place. Il n’y a pas eu de formation pendant plus de 2 ans. Il y a la complexité de la tâche, la complexité des dossiers, la crise financière... Il y a une succession de crises qui a fait que de nombreux élus ne se sont pas retrouvés dans la fonction. Et puis il y a aussi une agressivité globale, pas uniquement vis-à-vis des maires mais d'une façon générale dans la société, que l'on retrouve à l'égard des maires aussi.”
Il y a eu de nouveaux maires qui n'étaient pas préparés à la tâche.
Pierrette Dafix-Ray, présidente de l'association des maires du Puy-de-Dôme
Pour elle, endiguer ces démissions passe par la formation. “Il faut que ces élus se forment. Il y a eu de nouveaux maires qui n'étaient pas préparés à la tâche. Il faut du temps pour se former, or, la plupart du temps, ces maires travaillent à côté. Dans les communes rurales, ce n'est pas avec l'indemnité qu'ils peuvent vivre. Il faut bien qu'ils continuent leur activité professionnelle. Il faut une préparation à la tâche d’élu. Parfois, il y a peut-être de doux rêveurs qui pensent qu'une fois qu'ils vont être élus, ils vont faire beaucoup de choses. Et alors, ils vont se heurter à des problèmes financiers, à des problèmes de règlement, donc il y a une forme de désillusion.”
J'en suis à 15 ans en tant que maire, 22 ans en tant qu'élu et franchement, je n'ai jamais vécu ça.
Sébastien Gouttebel, président de l'association des maires ruraux du Puy-de-Dôme
Si le phénomène est moins visible dans le Puy-de-Dôme que dans l’Allier, il est malgré tout bien présent selon Sébastien Gouttebel, président de l’association des maires ruraux du département : “On ne s'en aperçoit pas forcément parce que c’est souvent des conseillers municipaux, des adjoints. Tant que ce n'est pas le maire qui reprovoque une élection, ou une élection complémentaire si le conseil n’est pas au complet, ça passe un peu inaperçu”. Selon lui, sa fonction s’est complexifiée, au point que beaucoup d’élus n’y trouvent plus leur compte : "Tout est devenu compliqué : les appels à manifestation d'intérêt, trouver des subventions, l'augmentation du coût de l'énergie, et, par effet indirect, faire un budget. Quand on se présente, c'est qu'on a plein de projets, plein d'envies et plein d'ambitions pour sa commune, et les dures réalités de la vie font qu'administrativement, financièrement, c’est d’une réelle complexité. Moi, j'en suis à 15 ans en tant que maire, 22 ans en tant qu'élu et franchement, je n'ai jamais vécu ça. Pourtant, je ne suis pas un lapin de 3 semaines. J'ai un savoir-faire, j'ai un réseau, j'ai des secrétaires qui tiennent la route. Et malgré ça, c'est compliqué. On ne peut pas se projeter et j'ai beaucoup de collègues qui se retrouvent un peu le dos au mur et qui se disent : qu'est-ce que je vais pouvoir faire, ou même continuer à faire ?”
Changer le statut des élus
Pour Sébastien Gouttebel, ce n’est pas “un manque d'envie, pas un manque d'appropriation du sujet.” Mais parfois, la fonction devient trop exigeante, trop chronophage : “Quand on est maire d’une commune rurale, on sait très bien qu'on l’est 24/24h et qu'il va falloir aller au charbon sur un peu tous les sujets. Mais dans une période où tout est tendu et tout est complexe, quand on porte tout ça sur ses épaules, il n'y a pas de surhomme ou de surfemme. Malgré toute la bienveillance, toute l'envie, c'est devenu compliqué”. Il plaide pour un “véritable statut” de l'élu qui “protège le maire et ses équipes municipales, ses adjoints et ses conseillers" dans leurs fonctions. “Vu la complexité de la fonction et pas du métier, parce que malheureusement ce n'est pas un métier, tout passe par le statut d’élu. Il faut une vraie reconnaissance et, derrière, de la formation et du temps dédié”. A cela s'ajoute l'augmentation des outrages et des menaces, notamment via les réseaux sociaux, mais aussi des violences physiques envers les élus, en hausse de 15% en 2022 selon l'AMF.
- Avec AFP