Dans le Puy-de-Dôme, Céline Bergheaud est infirmière libérale en milieu rural, à Ardes-sur-Couze. Elle parcourt 180 km par jour. Un métier difficile, surtout l’hiver, mais dont elle ne se passerait pour rien au monde.
Qu’il fasse beau ou qu’il neige, rien n’arrête Céline Bergheaud. A 42 ans, cette infirmière libérale parcourt depuis 8 ans les routes du Cézallier, dans le Puy-de-Dôme. Elle est l’une des 3 associées du cabinet d’infirmières d’Ardes-sur-Couze. Céline raconte : « J’ai une patientèle très rurale et assez âgée. Mon secteur fait tout le Cézallier. On est le seul cabinet du coin et on n’a pas de concurrence. Je fais entre 25 et 30 patients le matin. Je commence entre 6h et 7h selon les matins et je finis à 14h quand tout va bien. Quand il y a de la neige, on ne termine jamais. Je fais des visites entre 16h et 19h30. Par jour, je parcours 180 km en moyenne ».
Les congères sur la route
En ce moment son planning bien chargé est parfois contrarié par les chutes de neige. L’infirmière explique : « Les pneus neige sont obligatoires. C’est mieux d’avoir un 4X4. On arrive à passer quasiment partout. Le Cézallier est un secteur qu’on appelle la petite Mongolie. Il n’y a pas d’arbres et c’est très venté. Quand il y a du vent et qu’il tombe de la neige, c’est tout de suite bouché par les congères. On se retrouve vite piégé. Il y a 15 jours, un chemin n’était pas ouvert. Un agriculteur a voulu m’emmener. On s’est retrouvés coincés dans la neige avec le tracteur. On a appelé la DDE. C’est finalement le chasse-neige qui m’a emmené chez le patient ».
Les patients sont habitués s’ils ne me voient pas arriver
Mais ces contraintes météorologiques n’inquiètent pas forcément les patients de Céline. Elle avoue : « Les patients sont habitués s’ils ne me voient pas arriver. Ils ne sont pas inquiets. La majorité est compréhensive. Je les préviens. En ce moment, mes patients ne nécessitent pas des soins urgents. Je leur prépare par exemple une piqûre d’insuline la veille. Ca ne m’est jamais arrivé mais il peuvent se débrouiller si je ne viens pas ». Injections, pansements, prises de sang, soins plus complexes, piluliers à remplir, fins de vie à accompagner, voici à quoi ressemble son quotidien.
Des liens forts avec les patients
Au fil des années, une vraie complicité s’est tissée avec la patientèle. Ses patients l’appellent par son prénom et la tutoient parfois, ce qu’elle fait rarement en revanche. Céline affirme : « Avec mes patients, les liens sont très forts. Ils sont tous reconnaissants. Beaucoup ne voient que nous dans la journée. Ils voient le facteur mais il fait moins d’efforts que nous pour arriver jusqu’à eux. On les connaît depuis très longtemps. Il y a 15 jours, un papy est décédé et je le suivais depuis que je suis arrivée. Quand ça s’arrête on se sent vidés et c’est dur de repartir ».
Quand elle vient elle nous fait passer un bon moment
Josette Palletier, 79 ans, est l’une des patientes de l’infirmière. Elle indique : « Céline et les autres infirmières me suivent depuis de nombreuses années. Elles viennent pour des prises de sang et des piqûres. Je les vois beaucoup depuis septembre après une opération. Les liens avec Céline sont forts. C’est le rituel du matin et du soir. On se parle de nos problèmes, des enfants. Céline est souriante et décontractée. Elle nous met à l’aise et on a l’impression de la connaître depuis toujours. Je ne suis pas la seule à le dire. Quand elle vient elle nous fait passer un bon moment ».
J’ai des patients qui n’ont vu personne depuis des mois
La crise du COVID 19 a changé son travail. Céline précise : « Au début de la crise, il y a eu une grosse remise en question, des protocoles à apprendre si on a un patient positif. Il a fallu revoir toutes les normes d’hygiène. Maintenant on vit avec. Le plus difficile pour moi est de porter le masque tout le temps. Les patients ne voient plus notre visage. J’imagine qu’ils ressentent nos sourires et nos émotions mais la masque commence à me peser de plus en plus. Le COVID nous amène une surcharge de travail. On essaie d’aménager nos tournées. Mais quand un patient est positif et qu'il vit à la montagne, on ne peut pas le faire en fin de tournée. Le COVID a isolé encore plus les gens. Il y a beaucoup de personnes pour lesquelles les familles ont peur d’aller les voir. J’ai des patients qui n’ont vu personne depuis des mois. Ils ne voient que moi. Ca a créé un isolement social énorme. Des patients ont glissé complètement à cause de cela ».
Un métier de passion
Toujours très soucieuse du bien-être de ses patients, l’infirmière mesure la chance qu’elle a d’exercer ce métier : « Ce qui me plaît le plus dans mon métier c’est le contact avec les patients. C’est vraiment autre chose qu’en ville. J’adore ça. C’est le terroir, et puis les paysages sont époustouflants. J’en bave mais parfois j’arrive à m’arrêter 3 minutes pour prendre une photo et me dire que c’est magique. On n’a pas ça même à Saint-Germain-Lembron ». Dans sa profession, certains dénoncent un certain manque de reconnaissance. Une opinion qu’elle ne partage pas : « Beaucoup de mes collègues disent que notre métier n’est pas assez valorisé. Je pense le contraire. D’accord on fait des heures mais on a un salaire assez conséquent à la fin. Les kilomètres parcourus sont payés et comme je fais beaucoup de route, je suis rémunérée en fonction. Je ne me plains pas du tout. Certes, une prise de sang n’est pas valorisée mais d’autres soins le sont. Au bout du compte on s’y retrouve ».
Fan du Cézallier
Cette mère de 3 enfants arrive à concilier vie de maman et vie professionnelle. Céline confie : « J’ai beaucoup de repos donc ça aide pas mal. Mes enfants sont grands maintenant, ils se gèrent bien et m’aident aussi. J’ai une fille de 17 ans et des jumeaux de 14 ans. Mon mari m’aide beaucoup ». Et quand elle a du temps libre, elle repart dans le Cézallier ! L’infirmière indique : « Je monte dans le Cézallier faire des randonnées pendant mon temps libre. Je fais un peu de sport aussi. Je me sens happée par ce territoire. Quand j’en parle, ça m’anime et ça me plaît trop ».
Des troupeaux sur la route
Sur la route, elle est parfois ralentie par les animaux. « Au printemps quand les éleveurs remontent les bêtes à l’estive et à l’automne quand ils les descendent, je croise tout le temps des troupeaux sur la route. Les tracteurs et les troupeaux c’est mon quotidien. En ce moment, je vois des renards tous les jours. Hier j’ai vu 4 biches » ajoute Céline. Malgré les difficultés, elle semble épanouie dans son travail. Céline conclut : « Depuis toute petite j'ai toujours voulu aider les autres. Après un début de parcours professionnel, j’ai découvert le métier d’infirmière libérale et j’ai adoré. Je suis heureuse dans mon métier. Il est difficile. Quand je suis au milieu de la neige et des congères, je me demande ce que je fiche là et m’interroge pourquoi je ne suis pas infirmière en laboratoire. Mais à côté de ça, je suis rodée. Les agriculteurs et les services de déneigement viennent à mon secours si j’ai besoin. Il y a une véritable entraide ». Une entraide qui fait que Céline repart tous les matins sur les chemins du Cézallier, prête à affronter la neige, afin de prendre soin de ses patients.