Moins de trois mois avant le stage obligatoire de deux semaines, prévu en juin pour les élèves de seconde, une plateforme doit pallier le manque d'offres. Pour l’heure, seules 40 offres y sont proposées dans le Puy-de-Dôme, pour 14 000 élèves. Les enseignants et parents sont inquiets.
Le stage obligatoire pour les élèves de seconde fait débat. À quelques mois de la fin des cours, beaucoup n’ont pas trouvé d’entreprise. Ce stage obligatoire, dans une entreprise, une association ou un service public, durera deux semaines, du 17 au 28 juin, pour toutes les secondes en filières générale et technologique scolarisés dans le public et le privé. Patrick Lebrun, secrétaire départemental de la FSU 63, alerte : “Cela s'est décidé en catastrophe, au dernier moment. L'organisation l'a su très tardivement, la réforme est très incomplète. D'une part il faut que les élèves se débrouillent pour trouver un stage.” Pour lui, trouver un stage nécessite donc d’avoir des relations, un réseau, ce qui risque de créer des inégalités : “Tous les jeunes n'ont pas ça, donc il y a des jeunes qui vont se retrouver en difficulté, il n'y a pas d'organisation locale parce que les enseignants ne sont pas préparés pour faire ça. Ils ont autre chose à faire en ce moment. C'est très désorganisé. On ne connaît pas trop les finalités de ce stage. Quinze jours d'observation, ça paraît beaucoup, ça va être très long pour les entreprises et pour les stagiaires. Ce n'est pas évalué de toute façon, a priori. Là aussi ce n'est pas tout à fait clair.”
Pas de surveillance pour les élèves sans stage
Pour Patrick Lebrun, la surveillance des élèves sans stage pose aussi question : “Ceux qui ne trouvent rien, soit ils vont être obligés de suivre une phase du SNU, soit ils vont se retrouver en lycée avec personne pour les surveiller. Si en juin les cours s'arrêtent, c'est que très souvent les enseignants sont en préparation d'examen, corrections pour les écrits, il n'y a pas de disponibilité. On ne voit pas trop la finalité de ça, pas du tout même. Là encore c'est un effet d'annonce et puis derrière, ça ne suit pas quoi, il n'y a pas les moyens, il n'y a pas de réflexion qui est menée là-dessus. C'est extrêmement fatiguant. J'entends bien que c'est toujours ce fameux leitmotiv qu’il faut récupérer le mois de juin pour l'année scolaire mais les programmes sont finis normalement au mois de juin. On ne voit pas trop l'utilité de de ce genre d'activités.”
Envoyer les jeunes vers le SNU ?
Il résume les réticences du syndicat : "On sait que les élèves socialement les moins favorisés, c'est eux qui ont le plus de mal à trouver des stages parce qu’ils n'ont pas les relations qu'il faut, ils n'ont pas la possibilité de trouver des stages assez facilement donc ils vont être stigmatisés. Est-ce que c'est pour envoyer des jeunes vers le SNU ? On s'interroge parce que y a une sorte de chantage : si vous ne trouvez rien, si vous n'allez pas faire de stage linguistique à l'étranger - mais là encore on sait bien qui va faire les stages- eh bien vous allez faire le SNU ou vous venez passer 15 jours au lycée tous seuls. Il n’y aura pas les moyens pour encadrer les élèves.”
Pas de suivi des stages
David Aliguen, cosecrétaire de la CGT Educ’Action, dénonce : “Il n’y a aucune réflexion collective, on n'est jamais sollicité, les organisations syndicales sont systématiquement contournées sur ce genre de choses. Il n'y a pas d'évaluation, il n'y a pas d'encadrement sur le stage parce que les enseignants ne sont pas prêts à ça, ne sont pas missionnés pour ça. En admettant même qu'on considère que ça puisse apporter quelque chose, il faut une évaluation, il faut un entretien, une visite en entreprise pour voir comment se déroule le stage. Par rapport à ce qu'on connait dans d'autres stages, les stages en BTS par exemple, les stages de 3e ou les stages en lycée professionnel, il y a tout un contexte d'organisation qui fait que ça peut fonctionner” Le syndicat s'est positionné dès les premières annonces, à la rentrée 2023, “à la fois contre et assez dubitatifs sur l'application concrète de cette mesure qui devrait concerner l'ensemble des élèves de seconde de la voie générale technologique avec 2 seules dérogations pour les séjours à l'étranger ou la réalisation du SNU.”
Pas assez de stages proposés
Pour aider ces élèves âgés entre 15 et 16 ans, une plateforme collectant les offres, accessible depuis l'espace dédié "Un jeune une solution", est proposée. Dans le Puy-de-Dôme, on compte quelque 14 000 élèves de 2nde générale et technologique en 2023. “J'ai regardé les offres de stage, c'est 40 stages proposés à l'heure actuelle, si on prend juste la plateforme ‘Un jeune une solution’. Ce n'est évidemment pas suffisant pour répondre aux besoins, ça montre que les entreprises, les employeurs ne sont pas intéressés. Quand on voit dans un certain nombre d'offres de stage, on voit que ça va plus loin, que ce n'est pas uniquement de l'observation mais que pour une partie des des employeurs, ça peut être aussi l'occasion d'avoir une main d'œuvre bon marché pendant 2 semaines”, alerte David Aliguen. Plusieurs questions lui viennent : “Quel suivi va être fait des élèves qui vont trouver un stage ? Que se passera-t-il pour les élèves qui, à mon avis, seront majoritaires et qui n'auront pas trouvé du stage malgré leurs recherches ?”
Une mesure "inapplicable"
Lui aussi alerte sur les difficultés d’encadrement des élèves sans solution : “Pour cette période-là, ça va être totalement impraticable, inapplicable d'avoir potentiellement des dizaines, des centaines d'élèves de seconde à prendre en charge, pour ceux qui n'ont pas trouvé de stage et qui ne vont pas être redirigés au SNU. C'est ce qui nous inquiète aussi au niveau des syndicats. On imagine mal comment le ministère va faire pour que les élèves puissent être suivis dans leur recherches de sages, pendant leur stage et je ne vous parle même pas d'évaluation.” Pour lui, ces stages sont également une remise en question de l’enseignement : “C'est faire croire que les élèves qu’on forme au lycée ne seraient finalement pas tout à fait adaptés au monde de l'entreprise. Je crois que ça, c'est un grand mensonge. Les élèves qu’on forme, malgré tous les obstacles, malgré la dégradation de la qualité des diplômes qu'on leur propose, sont globalement bien formés par l'éducation Nationale. On n'a pas besoin des entreprises pour nous dire comment faire et quel doit être notre travail en termes de formation et d'enseignement. Je crois qu'il faut aussi démonter ce mythe-là.”
"Les stages, c'est toujours favorable"
Au niveau de la PEEP 63, association de parents d’élèves, les avis sont plus partagés selon la présidente Sandra Coudert : “Les stages, c'est toujours favorable, ça permet aux élèves de mettre, entre guillemets, un pied dans la vie professionnelle et de voir différents métiers. Ils peuvent découvrir quelles sont les missions. C'est toujours positif.” Ce sont plutôt les modalités d'application qui leur posent question : “Les lycées ont été mis un petit peu devant le fait accompli, il y a de ce fait peu d'accompagnement des lycées pour aider les élèves à trouver des stages. Au niveau de l'accompagnement, ils n'ont pas les moyens je pense pour accompagner les élèves dans leur recherche de stage. On se retrouve avec tous les élèves de 2nde qui sont en stage sur la même période. C'est d'autant plus dur de trouver un stage de 15 jours quand toutes les entreprises sont sollicitées en même temps.” Pour autant, le syndicat n’est pas opposé à la réalisation de ces stages : “L'objectif, c'est qu'ils découvrent des métiers auxquels ils n'auraient peut-être pas pensé ou au contraire des métiers qui les intéressent pour voir réellement sur le terrain si c'est ce qu'ils imaginaient.” Interrogé par l'AFP, le ministère de l'Education n'a pas communiqué le nombre d'offres disponibles sur cette plateforme.