Témoignages. “Mes parents ne peuvent pas m’aider” : quand décrocher un stage de 3e devient une galère

Publié le Écrit par manale makhchoun

Parents sans relations, élèves issus de quartiers dits "sensibles" ou de milieux ruraux… Pour certains collégiens, trouver un stage de 3e est un véritable parcours du combattant. Censée faire découvrir le monde du travail, cette première expérience peut contrarier l’orientation professionnelle de certains élèves.

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Le stage de 3e. “Un stage pour rien”, souffle Marwa. La jeune fille de 15 ans rêve d’être architecte. Seulement elle ne connaît personne travaillant dans un cabinet d’architecture. Qu’à cela ne tienne, elle envoie sa lettre de candidature à plusieurs entreprises. Elle saisit même son téléphone pour joindre les entreprises directement. Au bout du fil, toujours la même réponse : “Non, on ne peut pas. Désolé”. “On ne prend pas de stagiaire en ce moment”. “Ça ne va pas être possible pour cette date-là”. La collégienne enchaîne les refus. Tant pis pour Marwa, elle triera les médicaments dans la pharmacie de quartier qui, elle, “accepte tout le monde”. Selon la collégienne, tout aurait été plus simple si elle avait eu des parents architectes. “C’est comme ça que l'on trouve un stage, avance-t-elle. Moi, mes parents ne peuvent pas m’aider. Ils ne savent même pas lire et écrire français correctement. Et puis, je viens d’un collège des quartiers nord. Tout de suite, ça fait peur, je pense”, tente de justifier l'ado. 

Stage de 3e : le premier plafond de verre 

Nathalie Cussinet, conseillère principale d’éducation (CPE) du collège de Marwa, situé dans un quartier populaire de Clermont-Ferrand et classé REP+, fait, elle aussi, ce terrible constat. Le stage de 3e est la première rencontre avec le monde du travail mais aussi avec “l’injustice sociale”. “Certains élèves me disent : ‘Je ne sais pas si c’est parce que je m’appelle Mohammed ou Fatima mais on me refuse toujours', rapporte-t-elle. 

C’était dur pour certains élèves. Ils se sont sentis très rejetés et stigmatisés à cause de leur prénom ou de leur accent.

Nathalie Cussinet

CPE collège Albert Camus

L’objectif de ce stage d'observation : donner la chance aux élèves de découvrir un métier qui leur plaît. Mais dans les faits, nombreux sont ceux qui "ne sortent pas du cercle familial, ni même du quartier", rappelle Nathalie Cussinet. L’écueil, elle le connaît : l’absence de réseau. En tant que parents ce n’est pas toujours facile de savoir à qui s’adresser et comment faire les démarches. Certains parents souffrent d’illectronisme donc ça peut être compliqué pour certains enfants, en termes d’accompagnement”.

L’équipe enseignante doit donc parfois prendre le relais : “J'essaie d’accompagner les élèves à prendre un téléphone, passer un coup de fil, se présenter. Ça reste un exercice difficile pour un adolescent. Et quand le coup de fil était passé et qu’on avait réussi à passer ce premier plafond de verre, on percutait un mur. On leur répondait : ‘Non, non, il n’y a personne’. Nos élèves n’y arrivaient pas. Et il n’y avait pas de raisons que nos élèves trouvent moins que ceux d’un autre établissement”. En plus du manque de réseau, il y a l’image renvoyée par les collèges classés REP+ qui “effraient” les entreprises. “Un jour, lors d’un rendez-vous de bilan pour notre élève stagiaire, une entreprise m’avait dit qu'elle avait énormément d’a priori sur notre établissement et sur nos élèves. Ils m’ont confié avoir été agréablement surpris. Ils ont été très sincères mais sur le coup ça m’avait marqué”

Des stages par défaut 

Le manque de réseau familial oblige les jeunes à se débrouiller tout seuls et le “peu d'entreprises” prêtes à accueillir des élèves issus de REP+ limite le champ des possibles, et des imaginaires aussi, insiste la CPE : "Résultat, la plupart des stages sont souvent subis". Nathalie Cussinet se souvient : “Certains voulaient faire un stage en pharmacie. Il y en avait une à proximité du collège mais les premiers stagiaires se sont vite rendu compte que ce stage n’était pas le meilleur pour découvrir le métier. Le mot s’est vite propagé entre les élèves. Il n’empêche que la pharmacie était aussi connue pour prendre des élèves facilement. C’est devenu, alors, le stage facile. Et donc un stage par défaut quand certains ne trouvaient rien”.

C'est le cas de Yanis. Il a 14 ans et doit faire son stage de 3e. En septembre, il commence les recherches pour son stage. Il rêve de devenir professeur de français. Voulant travailler dans une école primaire, il rencontre d'énormes difficultés. “Personne n’a voulu me prendre. Et je ne connaissais personne autour de moi qui travaillait dans une école”. Un de ses camarades évoque une boutique de fleuristes qui “accepte facilement”. Bien qu’il ne veuille pas devenir fleuriste, c’est ici qu’il fera son stage de troisième. "Je suis déçu mais je n'avais pas trop le choix. J'aime bien ce métier. Et ça peut même être mon Plan B si je n'arrive pas à devenir prof"

Des métiers surreprésentés 

Quand Chloé Reiniche, CPE du collège rural de la Tour d'Auvergne, évoque les stages des élèves, ce sont souvent les mêmes métiers qui reviennent : boulanger, fleuriste, agriculteur…”Le plus souvent, ce sont les stages dans des commerces de proximité, des exploitations agricoles et dans l’artisanat”, constate la CPE. Une situation typique des collèges ruraux, selon Chloé Reiniche. “Le problème majeur pour nos élèves reste la mobilité. On a des transports scolaires mais pas de transports en commun suffisamment fréquents. Donc nécessairement pour les élèves, le critère numéro 1 va être la proximité”. Ceux qui échappent à la règle restent les élèves ayant un réseau dans leur entourage. “Les seuls qui peuvent se permettre des stages dans des catégories socio-professionnelles supérieures sont des élèves qui sont proches de l’agglomération et aussi et surtout qui ont un réseau”

Impact sur l'orientation ? 

Quelle que soit la future carrière professionnelle des élèves, le stage de 3e sera la première expérience qu’ils vont inscrire sur leur CV. Et cela peut déterminer leur choix d’orientation, selon Chloé Reiniche. Ils ont moins d’opportunités. Tout cela aura des conséquences sur les stages qu’ils auront plus tard mais aussi, de manière plus générale, sur le parcours des élèves et leur orientation. Le fait de rester sur des métiers de proximité, des métiers tellement proches de ce que font leurs parents, favorise la reproduction sociale. On le voit. Dans les collèges ruraux, on est sur une surorientation vers la voie professionnelle. Nos élèves n’ont pas forcément des résultats scolaires moins bons que ceux en milieu urbain mais ils ont tendance à s’autocensurer à cause de ce plafond de verre qui en décourage certains. Un enfant qui aurait l’ambition de partir sur des études longues et vers des métiers qui ne sont disponibles qu’en ville, ne peut pas se faire une idée du métier en question. Pas par manque de volonté mais parce qu’il est dans l'impossibilité de le faire”. 

Des partenariats comme solution

Face aux difficultés rencontrées par les élèves, le collège Albert Camus a été sollicité par plusieurs grandes entreprises pour tenter d’aider les collégiens. “On a des partenariats avec Michelin, Engie, ou même l’armée. Ils se sont engagés à accueillir un certain nombre d’élèves issus de nos classes pour pallier le manque de réseau”

La mairie de Clermont-Ferrand s’est, elle aussi, emparée du sujet. Avec son dispositif Pass 3ème, la Ville accueille chaque année, des collégiens de l’ensemble de la métropole pour effectuer un stage au sein des différents services de la collectivité. Il concerne prioritairement les élèves qui connaissent des difficultés pour trouver un employeur. Cécile Audet, adjointe au maire de Clermont-Ferrand en charge de la petite enfance, enfance et jeunesse, détaille le contenu de ce stage : "On leur permet de découvrir les métiers de la fonction publique territoriale tout en les sensibilisant à la vie citoyenne. On leur explique le fonctionnement d’une municipalité, ses compétences, etc. On va même organiser un conseil municipal fictif. Ils vont aussi aller à la rencontre des élus et leur poser des questions".

Au début du dispositif, en 2017, la Ville accueillait 50 élèves durant les trois jours de stage. Aujourd'hui, ce sont 120 jeunes. L'adjointe au maire l’avoue, “les professeurs n’ont pas de peine à orienter les jeunes” vers ce dispositif.  C’est le signe d’un manque criant d’opportunités pour les élèves, selon l’élue : “Souvent ce sont des stages qui sont trouvés grâce au réseau personnel des familles. Parfois, des jeunes n’ont pas ce réseau-là. C’est pour cela qu’il fallait les accompagner pour qu'il effectuent un stage dans de bonnes conditions”. Sur les 120 stagiaires, 45 sont issus de collèges classés REP+. 

Parmi eux, le collège Albert Camus. Nathalie Cussinet, CPE de l'établissement, se réjouit de ce type d'initiatives. “Je constate une amélioration par rapport aux années précédentes. Déjà dans la palette de métiers observés par les élèves. On essaie de créer de l’ambition chez eux, de leur dire que certains métiers finalement leur correspondent et ne sont pas si inaccessibles que ça”. Elle ajoute : “Ça a permis de changer l’image de nos élèves et de notre établissement. Quand on dit qu’on vient des quartiers nord, ce n’est pas toujours simple. Alors, si on peut changer le regard que l’on porte sur nos élèves, on aura déjà fait un grand pas”

Pour aider les élèves de 3e à trouver un stage, il existe également la plateforme monstagedetroisième.fr. Elle s'adresse aux élèves des réseaux d'éducation prioritaires. 

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