A l’occasion de la journée mondiale de prévention du suicide, nous avons choisi de mettre en lumière Solidarité paysans. En Auvergne, l’association accompagne des agriculteurs en détresse. A 68 ans, Roland fait partie des bénévoles qui s'investissent pour aider les paysans en souffrance.
Le vendredi 10 septembre marque la journée mondiale de prévention du suicide. Un fléau très répandu dans le monde agricole. Selon les données de la Mutualité sociale agricole (MSA), 605 paysans (496 hommes et 109 femmes) se sont ôté la vie en 2015, les plus de 65 ans étant les plus touchés. Un chiffre qui fait froid dans le dos car supérieur de 12,62% par rapport au reste de la population. Afin de mieux prévenir ces drames, le Sénat s'est doté en 2019 d'un groupe de travail dont les missions ont été perturbées par la crise sanitaire.
Le travail de bénévoles
Depuis 1992, l’association Solidarité Paysans vient en aide aux agriculteurs en difficulté. Laure Gaillard, chargée de la communication et des partenariats en Auvergne, explique : « Solidarité paysans a été créée en 2005 dans le Puy-de-Dôme. Elle a été rejointe par des antennes dans l’Allier en 2009, le Cantal et la Haute-Loire en 2010. L’association est née d’un mouvement d’agriculteurs qui voulaient aider leurs pairs. L’objectif est de venir en aide aux agriculteurs en difficulté, par le biais d’un élan de solidarité. Aujourd’hui on a une équipe de 7 salariés et on se déplace dans toute l’Auvergne ».
Un mal-être profond
Parmi ces bénévoles, on trouve Roland Garde, 68 ans, retraité depuis 5 ans. Après avoir été en Gaec avec son fils et sa belle-mère sur une exploitation de reproducteurs charolais, à Condat-en-Combrailles, dans le Puy-de-Dôme, il a choisi d’aider d’autres agriculteurs. Lui qui a été pendant 30 ans, président des éleveurs charolais du Puy-de-Dôme, raconte : « J’avais commencé avant ma retraite, il y a une dizaine d’années, à être bénévole. Je suis aussi au conseil d’administration de Solidarité paysans en Auvergne. On travaille sur appel des paysans en difficulté et en binôme avec des salariés de l’association. Il y a 100 bénévoles en Auvergne. Quand on nous appelle, on agit en fonction de leurs besoins et de ce qu’ils demandent. On essaie de trouver des solutions avec les agriculteurs. Cela peut être des difficultés financières, sociales. Il y a des gens qui ne s’intègrent plus au niveau de leur famille. De plus en plus, ce sont des jeunes qui ont trop investi et qui n’arrivent pas à s’en sortir au niveau financier. Bien souvent, les agriculteurs ont des compagnes qui travaillent à l’extérieur et elles ne comprennent pas leur surcharge de travail. Ils travaillent une bonne dizaine d’heures par jour et n’ont pas de week-ends ni de vacances. Cela crée des tensions au niveau du foyer ».
Il y a un signe qui est flagrant, c’est quand ils ne s’occupent plus de leurs animaux
Il a accompagné des agriculteurs en détresse et essaie d’intervenir avant que ceux-ci ne soient en proie à des idées noires : « A la suite de notre intervention, personne ne s’est suicidé. Mais on essaie d’arriver en prévention. On a des signes qui nous disent que ça ne va pas trop bien, quand les agriculteurs se disent que tout le monde leur en veut, qu’ils sont en peine paranoïa. Il y a un signe qui est flagrant, c’est quand ils ne s’occupent plus de leurs animaux. C’est très délicat ».
L'importance de la parole
Pour lui, le dialogue est essentiel mais il doit se heurter à un milieu où il est parfois difficile de s'exprimer: « On essaie de parler. Il faut d’abord créer un contact. Souvent, les agriculteurs ne sont pas prêts à s’ouvrir directement. Dans le monde agricole, les gens sont assez réservés et ne veulent pas paraître en situation de déprime. La dépression est encore très mal vue dans ce milieu. La famille ne veut pas que leur fils ou leur mari paraisse malade psychologiquement. Quand il le faut on leur suggère un accompagnement médical ».
En 2019, 90% d’accompagnés ont conservé leur exploitation en Auvergne-Rhône-Alpes
Roland Garde est fier d’avoir sorti des agriculteurs de difficultés qui leur paraissent insurmontables : « Quand on arrive, on s’aperçoit que ces personnes en détresse n’ont pas fait leur secrétariat, aucune déclaration de prime n’est faite, ils n’ont pas payé la MSA depuis un certain temps, ils sont submergés par les papiers. On les aide. On établit un rapport et c’est déjà un premier pas. On arrive à faire que les gens accompagnés s’en sortent. En 2019, 90% d’accompagnés ont conservé leur exploitation en Auvergne-Rhône-Alpes. Quand on voit du malheur autour de chez soi, on essaie d’aider. Mais il faut être modeste car on n’y arrive pas toujours ».
La question de l'autonomie
Il poursuit : « Il y a des parcours qui ne s'oublient pas. Par exemple, on travaille pendant un an ou deux et on nous dit de ne plus revenir. C’est ce qui marque le plus. Mais très souvent, on est remerciés. Cela fait forcément plaisir. Quand les agriculteurs repartent sur de nouvelles bases, qu’on a bâti ensemble un système qui devrait marcher, on arrive à obtenir des résultats. On réduit par exemple la part des investissements. Les gens qui sont près de la retraite, s’ils font bien leurs papiers, s’ils remplissent bien les demandes de primes, on arrive à les sortir d’affaire assez facilement pour qu’ils tiennent jusqu’à la retraite. Les jeunes, s’ils ont de gros problèmes financiers, c’est plus difficile. On essaie de faire en sorte qu’ils soient les plus autonomes possible. Tout ce qui sort de la ferme se vend de moins en moins cher, et les charges augmentent d’un autre côté. Arriver à l’autonomie permet de s’en sortir ».
Une profession qui a changé
Le bénévole estime que les choses ont évolué en quelques décennies : « Quand j’étais jeune agriculteur, le système n’était pas le même. On avait des structures plus petites, avec moins d’investissements. On était plus fatigués physiquement que moralement. Il y avait des problèmes de célibat. C’est une profession où on est assez isolé. Les agriculteurs se rencontrent de moins en moins. Avant, ils se voyaient plus, faisaient des travaux en commun, participaient aux foires et aux marchés. Ils se confiaient. Ca permettait d’éclaircir un peu le problème. Mais c’est beaucoup moins facile quand ils se retrouvent tout seuls, au pied du mur. Il y a aussi le problème de la transmission qui est très fréquent ».
Je suis inquiet pour les jeunes
Il ajoute : « Ce n’est pas simple d’appeler au secours. Quand une personne est en difficulté, le maire ou le vétérinaire l’oriente vers nous. Parfois ce sont les femmes des agriculteurs qui nous appellent pour leur mari ou quelqu’un de la famille ». Roland émet des craintes pour les jeunes générations : « Je suis inquiet pour les jeunes. Je pense que, à l’heure actuelle, pour faire le métier d’agriculteur, il faut vraiment être passionné et trouver son bonheur dans son travail ».
Repérer les signes
Après avoir accompagné de nombreux paysans en détresse, le retraité a du mal à comprendre pourquoi certains collègues peuvent passer à l’acte : « C’est une question difficile, je ne sais pas si on peut comprendre ce geste. On cherche la solution pour s’en sortir mais quand la seule issue est celle du suicide, ils se disent qu’il faut passer par là. Cela explique qu’il faut retrouver un élan pour se raccrocher à quelque chose ». Laure Gaillard, chargée de la communication et des partenariats, indique : « Les accompagnements se font sur des appels volontaires des personnes. On arrive au final en amont et on repère les signes avant-coureurs de crise suicidaire et des structures spécialisées prennent le relai ». Elle souligne : « L’isolement est souvent une donnée qu’on retrouve chez les personnes accompagnées, comme la charge de travail. Le fait de se sentir dépassé administrativement est aussi récurrent. Parfois cela contribue à l’aggravation des dettes, si des déclarations ne sont pas faites. Il y a un effet boule de neige. Il n’y a pas de profil type de personnes en difficulté. Mais ces dernières années, on a tendance à avoir des agriculteurs qui sont plus jeunes qu’avant et qui rencontrent des difficultés ».
L'amour du métier
Afin de raccrocher à la vie les agriculteurs qu’il accompagne, Roland Garde a souvent le même discours. Il conclut : « Agriculteur reste un beau métier. On est relié à la nature. On peut s’exprimer pleinement car on accomplit de nombreuses tâches. Dans le métier d’éleveur, on rencontre la naissance, la vie et c’est un super métier. Mais il faut être passionné. Mais ce qui tue le métier c’est qu’il y a administrativement trop de papiers. Cela devient infernal. J’espère transmettre cet amour du métier ».