Alors que les voitures électriques sont de plus en plus présentes sur les routes, qu’en est-il dans les zones rurales ? Plusieurs experts évoquent la situation en Auvergne-Rhône-Alpes.
La voiture électrique est souvent présentée comme une affaire de bobos ou de citadins. Mais a-t-elle sa place en zone rurale ? L’Union Française de l’Electricité regroupe les employeurs du secteur de l’électricité, qui vont de la production, de l’acheminement réseau, aux fournisseurs notamment. Mathias Laffont, Directeur Economie, Mobilité et Bâtiment à l’Union Française de l’Electricité, explique : « La voiture électrique est assez compatible avec les usages dans les territoires ruraux. Au final, on fait peut-être un peu plus de kilomètres mais pas forcément des très grandes distances. L’avantage que présentent les territoires non urbains est la proportion plus importante des maisons individuelles donc il est plus facile d’avoir des dispositifs de recharge à domicile. Il y a peut-être moins de densité d’infrastructures de recharges publiques mais pour autant les besoins sont moins importants, si ce n’est pour l’itinérance. Dans les territoires urbains le sujet est presque plus celui de la place de la voiture dans sa globalité, quelle que soit la technologie ».
Il n’y a pas de gros décrochage
Il poursuit : « En Auvergne-Rhône-Alpes, on retrouve l’importance des différents départements en matière de voiture électrique. Il n’y a pas de gros décrochage. Par exemple, l’Ardèche n’est pas si mal représentée en termes d’infrastructures de recharge publique. Ce sont les départements qu’on considère les plus ruraux qui sont aujourd’hui les mieux positionnés en termes d’infrastructures de recharge publique . Aujourd’hui on a plus vu de schémas directeurs pour accompagner les collectivités dans les grandes métropoles. Il y a de nouveaux outils qui vont permettre à des communes de mettre cela plus facilement ».
Selon l’expert, les politiques publiques doivent donner l’impulsion pour le développement de la voiture électrique en zone rurale : « Dans les territoires ruraux il y a une plus forte dépendance à la voiture particulière car il y a une densité de transports en commun plus faible. Il y a une mutation à mettre en œuvre dans les territoires. Mais ce n’est pas forcément là que cela va être le plus compliqué. Il faudra accompagner les individus. Dans les grandes métropoles, il y a des dispositifs d’aides spécifiques pour l’acquisition de véhicules qui vont au-delà des aides nationale. Ces choses-là existent un peu moins dans les territoires ruraux. Il y aura peut-être un enjeu plus grand pour le rôle du département ou de la région, pour s’assurer qu’il y ait une homogénéité, un équilibre dans les dispositifs d’accompagnement des ménages pour l’acquisition de nouveau véhicules ».
Des bornes de recharge à développer
La question est aussi celle du développement des bornes de recharge. Mathias Laffont indique : « En Auvergne-Rhône-Alpes, on a des départements qui sont plutôt bien équipés comme l’Ardèche, avec une progression du nombre de véhicules électriques. Le point noir pour les bornes de recharge est plutôt pour les départements très denses en population, comme le Rhône ou l’Ain. Il y a aussi de l’impulsion privée. Ce qu’on appelle borne publique sont des bornes accessibles au public, et qui existent par exemple sur les parkings de la grande distribution. L’impulsion est plus au niveau national mais ça reste de l’initiative privée ».
Une gamme plus large
Mais l’élargissement de l’offre de voitures électriques pourrait contribuer au développement de ce moyen de transport : « Il y avait la Zoé, la petite citadine, et la Tesla. On y attribuait plutôt un rôle de voiture de personnes aisées. Mais là, on s’aperçoit qu’on a une variété de gamme très importante qui s’enrichit de jour en jour. On voit que différents constructeurs automobiles montent en puissance alors qu’il y a deux ans, il y avait Tesla, Renault et Nissan qui trustaient les premières places. Le groupe Volkswagen est très présent, Peugeot aussi. On a une mixité entre des petites citadines et des voitures compactes qui peuvent plus se développer dans les territoires ruraux. Il y a aussi les véhicules hybrides rechargeables qui viennent compléter la gamme. Toutes les conditions sont réunies pour que tous les territoires soient traités de la même manière en vue de la transition énergétique ».
Il faudra favoriser le déploiement des bornes de recharge électriques
Sébastien Gouttebel, président des maires ruraux du Puy-de-Dôme et président du syndicat de l’énergie du Puy-de-Dôme, confirme que la voiture électrique n’est pas réservée qu’aux citadins : « La voiture électrique a sa place dans les territoires ruraux. Je connais moi-même des personnes qui ont des voitures électriques. Nous sommes au début d’un changement de modèle économique. Volvo, par exemple, va arrêter de produire des véhicules à moteur thermique en 2023. Cela montre qu’il va se passer beaucoup de choses, dans un délai très court, dans les 3 à 5 ans qui arrivent. Actuellement, dans les territoires ruraux, il reste beaucoup de véhicules diesel. Avant de passer au tout électrique, il faudra favoriser le déploiement des bornes de recharge électriques pour que les personnes puissent faire de l’itinérance et de la mobilité à l’échelle d’un département sans avoir trop de questions à se poser. La loi Climat Résilience prévoit aussi que les collectivités, les opérateurs privés aient l’obligation d’installer des points de recharge sur les nouveaux parkings. Il va y avoir un gros travail collectif public et privé dans les années qui arrivent ».
L'importance des politiques publiques
Il rappelle le rôle des pouvoirs publics : « C’est le syndicat que je préside qui s’occupe du déploiement des bornes de recharge. On a eu un peu de retard car on attendait des nouveaux plans de financement pour implanter les bornes qui tiennent compte des nouveaux besoins des courants alternatifs et continus, avec un maillage à la taille du département. On a d’ores et déjà installé des bornes sur l’agglomération du Pays d’Issoire et sur la commune de Volvic. Il nous reste à peu près 80 bornes à poser sur le département. Tout cela sera validé lors de l’assemblée générale du 16 octobre. Ces 80 bornes seront déployées fin 2021 début 2022 : on délibère, on passe les commandes et on livre ensuite ». Malgré tout, il reste quelques zones moins développées : « Il y a forcément des points noirs car on est en phase de premier déploiement. Quand on aura fait ce premier déploiement, on pourra dire qu’il y a beaucoup moins de points noirs. Le département du Puy-de-Dôme était un peu en retard. On espère pouvoir discuter ensuite avec les départements limitrophes, la métropole et les opérateurs privés pour qu’il n’y ait pas des bornes à 500 mètres les unes des autres ».
10 % du parc automobile du Puy-de-Dôme est électrique
Pour Sébastien Gouttebel, un vrai changement est en train de s’opérer : « Actuellement, il y a des aides d’Etat pour l’achat d’un véhicule électrique. Elles permettent aux gens de s’équiper avec des bonus écologique. Je crois que l’Etat essaie de favoriser ces nouvelles acquisitions. Je pense qu’aujourd’hui un peu moins de 10 % du parc automobile du Puy-de-Dôme est électrique. S’il n’y a plus de pétrole ou si le pétrole est hors de prix par rapport à la recharge électrique, il faudra regarder le coût de l’acquisition pour des ménages modestes. Il y a aussi la problématique de la borne de recharge personnelle. Si on a un terrain avec un garage, c’est possible. Mais depuis le COVID, le télétravail s’est mis en place. Il y a de nouvelles pratiques qui peuvent faire que les gens ont moins besoin de mobilité. D’un autre côté, les constructeurs sont en train d’améliorer les capacités des véhicules. Peut-être que lorsqu’on cumulera cela avec l’hydrogène, on changera de modèle économique ».
Un profond changement
Il poursuit : « La mobilité est amenée à changer en territoire rural car il y a très peu de transports en commun. Les territoires réfléchissent à la voiture partagée, aux transports à la demande. On est sur un changement de modèle économique et aussi sociétal. Il y a une ambition très forte et on espère voir que ça évolue vite. Si on a besoin d’aller à 20 km de chez soi et qu’on habite en territoire rural, rien n’empêche d’avoir un véhicule électrique. La problématique se pose si on a des trajets plus longs. Les évolutions technologiques font que les véhicules seront de plus en plus adaptés ».
L'évolution de la technologie
Selon Flavien Neuvy, directeur de l’observatoire Cetelem de l'automobile, la voiture électrique peut trouver une raison d’être en territoire rural : « La voiture électrique coûte beaucoup plus cher qu’une voiture thermique. Mais le surcoût à l’achat est compensé par les kilomètres parcourus car le coût kilométrique est moins élevé. Pour rentabiliser l’achat d’une voiture électrique il faut beaucoup rouler. Mais ce fait de beaucoup rouler est contraint par l’autonomie de la voiture. C’est une voiture qui est plutôt adaptée aux personnes qui habitent en zone périurbaine ou rurale, à ceci près qu’il n’y a pas suffisamment d’autonomie donc cela offre des possibilités qui ne sont pas adaptées aux zones très rurales. D’ici l’interdiction des voitures thermiques on peut espérer que l’autonomie des voitures électriques aura progressé. Pour l’instant, elle est limitée mais les choses ne sont pas figées. La technologie évolue ».
Le problème des bornes
Pour lui, il manque encore des bornes de recharge : « Il n’y a pas assez de bornes de recharge en zone rurale. Il faut qu’il y en ait plus. Pour l’instant, ces bornes se déploient très lentement, en zone rurale ou en zone urbaine. Il faut l’impulsion des pouvoirs publics, des enseignes de distribution qui peuvent en mettre sur leurs parkings, des copropriétés. Un travail collectif doit être fait. La question est de savoir qui doit payer. Personne n’a envie de payer. Tout le monde dit qu’il faut des bornes de recharge sauf qu’il faut aligner l’argent et personne ne s’active pour sortir les millions d’euros qu’il faut pour mailler un territoire ».
Il faut mesurer les impacts à long terme
Mais pour Flavien Neuvy, avant de tout miser sur l’électrique, il faut d’abord se poser certaines questions : « Il faut mesurer les impacts à long terme. Dans une voiture électrique il y a sept fois moins de pièces, il y a besoin de moins de main d’œuvre pour la fabriquer, il y a moins d’entretien. Que vont devenir les mécaniciens dans 20 ou 30 ans ? Cela pose des questions sur toute la filière, pour les constructeurs et les distributeurs. On dit qu’on le fait au nom de l’environnement. En France, l’énergie est décarbonnée mais pas en Allemagne ou en Chine. Donc pour le changement climatique ce n’est pas toujours génial. Il faut du lithium et des métaux rares polluants ». L’expert conclut : « Il n’y a aucune énergie qui ait zéro défaut. La meilleure des solutions est d’avoir un mixe énergétique diversifié, c’est-à-dire plus de voitures électriques dans les grandes villes et continuer à garder les moteurs thermiques là où c’est utile, dans les zones rurales et périurbaines. Cela s’appelle la mesure, mais ce n’est pas le choix qui a été fait ».
Des disparités régionales
Auvergne-Rhône-Alpes Energie Environnement est un outil territorial d’accompagnement des acteurs publics en matière d’énergie et d’environnement. Laurent Cogérino, chargé de mission mobilité chez Auvergne-Rhône-Alpes Energie Environnement, souligne : « Ces dernières années, la part des véhicules électriques a progressé dans la région Auvergne-Rhône-Alpes comme dans toute la France. Il y a une vraie dynamique en matière d’équipement, aussi bien au niveau des véhicules que des bornes. On est dans une moyenne normale nationale. On est au dernier comptage de 2020 à 48 000 véhicules toute catégorie en région et depuis des choses se sont passées. On doit en être à 60-70 000 ». Mais il constate certaines disparités : « Il y a une granulométrie qui n’est pas identique selon les zones en région. Tout le versant oriental est mieux équipé sur le plan des véhicules. Il y a des départements qui sortent leur épingle du jeu pour les bornes de façon un peu surprenante, y compris en Auvergne, comme l’Allier. Il n’y a pas que les grosses zones urbaines qui sont équipées. Il reste des zones blanches, comme les départements du sud de l’Auvergne. L’Ain est aussi moins équipé que d’autres zones régionales ». Céline Vert, chargée de mission mobilité chez Auvergne-Rhône-Alpes Energie Environnement, précise : « Il y a à la fois un vrai enjeu et un vrai potentiel en zone rurale, notamment pour le rabattement des lignes ferroviaires, pour l’intermodalité, les enjeux touristiques et les trajets domicile-travail. Mais il y a aussi des freins, sur des aspects plus politiques. Ce sont plutôt des structures départementales qui ont porté le déploiement de la mobilité électrique en AURA. La demande est aussi peut-être moins présente, moins dynamique. La région AURA est la deuxième région française en termes de dynamisme pour la mobilité électrique sur la partie infrastructures de charge et véhicules. On suit la tendance croissante ».
Il y a une convergence possible entre le rural et le véhicule électrique
Laurent Cogérino indique : « C’est au niveau des citoyens que cela se passe, et pas seulement au niveau des acteurs publics. Au niveau public, on soutient une filière, on apporte des moyens. Cela peut créer une appétence du côté des particuliers. Les gens qui habitent en maison ont souvent une sensibilité environnementale plus forte qu’en milieu urbain dense. Il y a une convergence possible entre le rural et le véhicule électrique, surtout avec les évolutions technologiques. On nous promet une meilleure autonomie de batteries ». Céline Vert précise : « La part des trajets quotidiens en voiture en secteur rural et péri-urbain comprise entre 5 et 10 km est vraiment une part majoritaire. La mobilité propre est donc pour ces secteurs-là ».
L'exemple cantalien
Dans le Cantal, afin d’améliorer sa couverture en borne de recharge, la communauté de communes de la Châtaigneraie cantalienne a installé quatre bornes de recharges dites "rapides" en juin 2020. Le président de la collectivité, Michel Teyssedou, raconte : « On a installé quatre bornes rapides sur les quatre pôles du territoire. On n’a pas encore fait de bilan technique et financier mais on constate qu’on a un usage qui se développe. Nous avions reçu le label Territoire à énergie positive et à croissance verte, dans le cadre de la transition énergétique. Il y avait plusieurs programmes d’action. Les utilisateurs sont satisfaits, on voit que les bornes sont de plus en plus utilisées ». Il ajoute : « Les quatre bornes représentent un investissement de 200 000 euros, financés à 80 % par l’Etat. On a quand même mis 40 000 euros sur la table, ce qui n’est pas rien. Il est incontestable que le parc automobile électrique va se développer et que l’attractivité du territoire rurale passera par cette capacité à fournir des recharges électriques. La voiture électrique a toute sa place dans une économie qui devra de plus en plus être décarbonnée. Ces bornes permettent de répondre au flux de touristes qui traversent notre territoire et pourraient amener certains à se dire qu’ils vont s’installer chez nous. Mais ils peuvent aussi avoir des bornes chez eux. C’est aux élus de s’emparer des enjeux et d’équiper le territoire avec un plan de bornes adapté, pour satisfaire l’ensemble des besoins ». Implanter des bornes en territoire rural pourrait ainsi constituer un argument pour inciter des habitants à s’installer dans ces zones. La Châtaigneraie cantalienne représente 21 500 habitants répartis sur 50 communes.
"Quelle place pour la voiture électrique dans nos campagnes ?", on en parle jeudi 30 septembre à 18h30 dans l'émission "On décode" sur France 3 Auvergne-Rhône-Alpes. Vous pouvez participer ou réagir en posant vos questions grâce au formulaire ci-dessous.