Alors que les restaurants ont rouvert leurs terrasses, les commandes sur les plateformes en ligne ont rapidement baissé. Les premières victimes sont les livreurs, des travailleurs souvent déjà très précaires. Témoignages.
Souvent à vélo ou en scooter, sac de congélation greffé sur le dos, et smartphone scotché au bras, ils ont envahi depuis plusieurs mois les pistes cyclables de Grenoble, en Isère. La tête dans le guidon, ces livreurs 2.0 enchaînent les courses. Jusqu’ici, la crise sanitaire avait rebattu les cartes de la restauration. Une situation qui a profité à la livraison à domicile.
Mais depuis ce 19 mai, les mesures sanitaires se sont assouplies. Plusieurs restaurants ont pu lever le rideau et ont déployé leurs terrasses.
« Je suis sûr que ça va continuer de baisser »
« Ce midi, j’ai fait que 15 euros, alors qu’avant, c’était jusqu’à 60 euros », explique Ibrahim. Stationné sur le cours Jean Jaurès avec un groupe de livreurs, l’homme de 23 ans a senti le vent tourner. Les commandes baissent, ce qui ne le surprend pas : « C’est comme ça généralement quand il fait beau, les gens sortent plus […] je suis sûr que ça va continuer de baisser, c’est normal tout le monde en profite en ce moment », argumente-t-il.
Voilà deux ans, que ce sans-papiers guinéen, a choisi de s’adonner à la livraison « pour s’en sortir ». Durant la crise sanitaire, il a observé un pic dans ses commandes.
À Grenoble, environ 800 livreurs travaillent pour la plateforme Uber Eats. Entre août 2020 et août 2019, le service de livraison affirme avoir vu grimper le nombre de ses commandes de 130 %, « alors qu'il n'y avait pas de confinement, ni de couvre-feu et que les restaurants étaient ouverts. »
Alors, le nombre de livraisons va-t-il baisser, maintenant que les restaurants peuvent de nouveau accueillir des clients ? Pas si l'on en croit la plateforme, qui s'appuie sur une étude publiée en mai 2021 par YouGov (une société de sondage basée au Royaume-Uni). Selon cette étude, « 39 % des Français déclarent qu'ils vont continuer à commander via les applications malgré la réouverture des restaurants ».
« Dès que le travail va reprendre, je vais les éteindre »
Avec les mesures sanitaires, le restaurant La ronde des pizzas, a dû s’adapter et se convertir à la livraison à domicile comme de nombreux autres établissements. « On a fait 30 % de chiffre d'affaires en plus avec les livraisons », explique Aurélie Foray, la gérante.
Mais à la réouverture de sa terrasse ce 19 mai, le compteur de livraison est resté à zéro. « Je pense qu’il y en aura de moins en moins », suppose-t-elle.
« Uber Eats et Deliveroo, je le fais, mais ce n’est pas par choix. Sur chaque commande, ils prennent 30 %, concrètement il n’y pas d’intérêt financier. Et je reçois que des messages négatifs de clients, qui disent que la « commande est écrasée » ou « renversée ».
Une mauvaise publicité sur Internet pour sa pizzeria, qu’Aurélie Foray voudrait éviter. Alors sans regret, elle nous annonce : « Dès que le travail va reprendre, je vais les éteindre. »
« Ça me donnait un peu l’impression de sortir »
Par option de facilité ou juste par « flemme » de cuisiner, beaucoup ont cédé à la tentation. Une tendance qui touche surtout les 18-34 ans, selon l’étude de YouGov.
Ces derniers mois, Gwendal a vu augmenter son rythme de commande. Une façon pour l’étudiant grenoblois de « changer un peu de quotidien, ça me donnait l'impression de sortir. On ne va pas se mentir, les dépenses qui ne partaient pas dans les bars se sont dirigées vers les commandes », confie-t-il.
Clémentine fait dérouler les propositions de repas près de son domicile. La Grenobloise avoue avoir dépensé « plus qu’il ne faudrait » dans l’application Deliveroo. Tellement qu’en début d’année, l’étudiante de 25 ans finit même par prendre un abonnement, pour faire des économies. « Une fois, j’ai voulu moi-même aller prendre à emporter dans un restaurant et ils m’ont dit « non désolé, il est 19 heures, on ne peut pas vous servir, vous devez vous faire livrer » sous-entendu via les plateformes », raconte-t-elle.
Chez Gwendal, se faire livrer à domicile son repas est même devenu un rituel : « Avec mes colocs, on a une petite tradition qu’on a appelée « le dimanche gras » où on commande avec des potes et ça rend le dimanche soir un peu moins déprimant ».
Même fréquence de livraison pour ces deux étudiants, deux fois par semaine. « Mais des fois, ça peut aller jusqu’à quatre par semaine », précise Gwendal.
Avec l’ouverture des terrasses et le recul du couvre-feu, Clémentine espère ralentir la cadence : « Ça me coûte beaucoup d’argent, et je sais que ce n’est pas éthique du tout, j’aimerais faire autrement. » À la différence de Gwendal, qui n’a jamais vraiment apprécié se rendre au restaurant, même avant la crise sanitaire. « Je me suis un peu habitué à commander, mais dès que je pars de Grenoble, j’arrête. »