Maëlle avait repris l'épicerie-bar de son village de 640 habitants en 2019, alors qu'elle n'avait que 22 ans. Si son entreprise a survécu bon an, mal an, à la galère du Covid, la jeune femme va devoir baisser le rideau le 31 décembre. Elle ne peut tout simplement pas faire face à l'explosion des prix de l'énergie.
Du pain, un gel douche ou un petit café bien chaud. Pendant 4 ans, c’était le quotidien de Maëlle Lalouel, une jeune femme de 26 ans qui naviguait avec énergie entre le zinc de son bar et le tiroir caisse de l'épicerie attenante. Mais la belle histoire, son rêve d'enfant, a tourné court : le 31 décembre, elle baissera les rideaux de ses deux commerces pour la dernière fois.
Maëlle, c'est une fille du village, d'un coin de terre qui s'appelle - comme un défi - "les Sauvages", perché à 700 mètres d'altitude sur les hauteurs de Tarare, au nord-ouest de Lyon.
Son épicerie-bar ? C'était écrit.
Quand j'étais petite je rêvais de racheter l'épicerie du village. (...) C'était super important pour moi de faire quelque chose pour mon village.
Maëlle Lalouel
Mais la dure réalité à tout mis par terre, et la dernière facture d'électricité a clos ce chapitre de sa vie. "Je suis passée de 6000€ annuels à 9187€. C'était plus possible de continuer comme ça." Elle a dû se résoudre à fermer le 31 décembre, pour de bon.
À l'épicerie, on croise Valérie venue faire des petites courses "comme tous les jours". Pain, crevettes, macarons et journal sous le bras, elle confesse être déçue : "ça va me changer mes habitudes. (...) Je travaille à la maison alors je viens chercher le pain tous les jours. Maintenant, il va falloir que je prenne la voiture, que je descende en ville."
Un lieu de rendez-vous
À quelques mètres de là, dans le bar, on trouve quatre vieux copains attablés depuis deux heures. Marie-Claire, Victor, Paul et Henri, des "anciens" qui avaient ici leurs habitudes. Tous les dimanches matin, on était sûr de les trouver chez Maëlle pour un chocolat chaud, un café ou un vin cuit selon l'heure et l'humeur du moment.
Unanimes, ils confessent être attristés par cette fin annoncée : "on aimait s'y retrouver pour discuter, un vrai lieu de rendez-vous", explique Victor, qui est aussi le grand-père de Maëlle.
Parmi eux, Marie-Claire est manifestement la plus affectée : les larmes aux yeux, elle avoue qu'elle va pleurer le jour de la fermeture. Derrière son regard embué, on devine une grande affection pour la jeune femme qui déploie des trésors de patience et de sourire pour ses clients âgés.
Lucide, la retraitée analyse aussi le côté pratique de la chose : "j'espère que ça sera repris. C'était bien pour les gens qui ne peuvent pas se déplacer : le pain, le journal. Pour ceux qui ont une voiture, ça va aller. Pour les autres..."
Une succession de galères, mais des souvenirs pour la vie
Pourtant, Maëlle en avait relevé des défis : avec une reprise en octobre 2019, elle a vécu 11 mois de fermeture pour cause de Covid. Mais elle est repartie de plus belle, vendant le pain, le fromage ou des produits d'hygiène du côté épicerie, créant des événements quand elle le pouvait côté bar, pour faire le lien avec sa clientèle.
D'ailleurs, accrochés au mur du couloir entre le débit de boissons et l'épicerie, on trouve des Polaroids de soirées : Coupe du monde, scrabble, etc... Des jeunes, pour l'essentiel. "Ce sont des copains du village, on a le même âge" explique-t-elle.
Ici, au Ma'la'Bar, Maëlle dit avoir beaucoup de bons souvenirs. "C'est surtout de rencontres, des moments extraordinaires que je ne revivrai nulle part ailleurs".
Mais si Maëlle a mis beaucoup d'énergie dans l'affaire, les clients n'étaient pas assez nombreux et les chiffres sont restés têtus : au mieux, la jeune femme s'est versée 600€ de salaire mensuel. Les aides, de la mairie pour son installation, de l'État pendant le Covid, le soutien de ses clients et notamment de sa famille n’ont pas suffi, et la facture d'électricité a fait le reste.
"J'ai beaucoup pleuré"
Revenue en trombe au bar, après avoir servi un habitué à l'épicerie, on la voit débarrasser le comptoir, placer les tasses et les verres sales dans le panier du lave-vaisselle. Dans la foulée, elle essuie les verres propres, remet d'aplomb la pile de tasses sur le percolateur, tout en faisant la causette à ses clients attablés.
Ce qui nous frappe c'est sa bonne humeur, son sourire inoxydable en dépit des circonstances. Désarmante, elle avoue : "Depuis 15 jours, j'ai beaucoup pleuré, mais là, c'est les fêtes, alors j'ai décidé que c'était une période joyeuse". Et puis, elle confie que, face aux clients, il faut tenir : "eux, ils ne sont pas responsables".
Un avenir encore flou
L'an prochain, Maëlle rebondira "dans la restauration, sûrement dit-elle, parce que je ne sais faire que ça". Mais elle devra éponger ses dettes, et vivre avec un certain sentiment de tristesse.
J'ai l'impression d'abandonner le village, de quitter mes clients avec qui j'ai créé un lien incroyable
Maëlle Lalouel
Alors, pour eux, elle organise une dernière soirée le 29 décembre dans son bar. Pour elle, un client qu'elle ne connaît pas a mis en ligne une cagnotte de soutien. Une attention qui l'a énormément touchée et la preuve, sans doute, que le village des Sauvages ne porte pas forcément bien son nom.