Sa profession la conduit régulièrement à accompagner des individus dans toutes les dimensions de leur vie, y compris les plus difficiles. Aude Durand est psychologue clinicienne à Champagne-au-Mont-d ’Or, à côté de Lyon. Elle est venue sur le plateau de « Vous êtes formidables » pour présenter son parcours et, d'abord, livrer un éclairage passionnant sur une actualité forte : les abus sexuels dans l’Eglise catholique.
Début novembre, à l’issue de la récente Conférence des évêques à Lourdes, des premières réponses concrètes ont été annoncées, concernant la problématique de la réparation pour les victimes. L’Eglise va vendre des biens immobiliers ou contracter un emprunt pour les indemniser. Mais peut-on réellement réparer ce genre de préjudice avec de l’argent ? « Je ne crois pas. En revanche, l’argent, peut permettre, un peu, d’intégrer une réparation dans une matière. Sans réparer complètement » prévient d’emblée Aude. « Je ne suis pas dans la quantification, mais plutôt dans le vécu. Ce qui est important, c’est la qualité de la réparation qui va cheminer à travers chaque individu. »
Le rapport Sauvé, rédigé en conclusion de la Commission indépendante sur les abus sexuels (Ciase) dans l’Eglise, a évalué à 330 000 personnes le nombre de victimes en 70 ans. Et surtout, un reconnaissance officielle de l’Eglise dans sa responsabilité. « C’est un pas parmi tant d’autres. Mais il est important parce qu’il est institutionnel. Le regard institutionnel sur les actes de violence est extrêmement important. »
Evaluer la hauteur de l'indemnisation
Même si toutes les victimes n’ont pas vécu les mêmes traumatismes, il semble bien difficile de hiérarchiser l’importance des dégâts subis. « Hiérarchiser supposerait du plus et du moins. Je crois que surtout c’est important de redonner ses caractéristiques à chaque vécu. A quel âge ? Avec qui ? A quelle fréquence ? De quelle façon ? Quel type de violence ?», rectifie la psychologue.
Parmi ces questions, celle de l’âge de la victime n’est pas des moindres. « Cela a une importance parce que cela tient compte, déjà, de l’âge cognitif. Comment les actes peuvent-ils être pensés, intégrés. Il y a aussi l’âge corporel. L’intégration de son intériorité, de son intimité méritera une importance très particulière au moment du soin, de l’accompagnement. »
L'impact de la contrainte physique
Le recours à la violence, ou pas, peut-il aussi marquer une différence ? Sachant que cette dernière est subie, son absence signifie-t-il obligatoirement un consentement ? Des questions sensibles auxquelles notre interlocutrice prend le soin de répondre progressivement. « Tout ce qui se passe en terme de violence sexuelle est d’abord une violence. Même au sens pur. Le viol infuse quelque chose qui n’était pas prêt, et pas consentant », rappelle Aude. « Ensuite, lorsqu’il y a une contrainte physique, c’est du vécu. Quelque chose comme une oppression physique a empêché la liberté. C’est vécu corporellement. Quand il n’y a pas de violence physique mais bien sexuelle, certaines fois, des enfants sont obligés de prouver qu’ils n’ont pas consenti. Cela devient plus compliqué de matérialiser le fait que, tout de même, cela a été forcé et contraint. »
Dans un tel cas, le chemin vers une guérison est différent. « On ressent davantage de difficultés à se représenter les faits. En fait, on se dit qu’on aurait pu dire non, parce qu’on n’a pas été dans la contrainte physique. Il existe des mécanismes, tels que la sidération émotionnelle qui font que, violence physique ou non, c’est très difficile de dire non. Mais il y aura davantage de sentiment de culpabilité chez l’enfant, quand il n’a pas eu à subir de contrainte physique. »
Je pense qu’aucun enfant n’est consentant. On parle d’abus sexuel, mais, fondamentalement cela n’existe pas
Dans ces sujets vient régulièrement la question du consentement, notamment chez l’enfant. « Le consentement, posé à un enfant, c’est « Est-ce que tu es d’accord, dans ton corps, dans ta tête et dans ton cœur ? ». A partir de quel âge peut-on imaginer qu’un enfant est dans un consentement plein et éclairé ? C’est une question philosophique, psychique et aussi neuropsychologique » rappelle Aude Durand. « Je pense qu’aucun enfant n’est consentant. On parle d’abus sexuel, mais, fondamentalement cela n’existe pas. L’abus existe quand quelque chose est possible. Or, la sexualité d’un adulte envers un enfant est impensable. Donc ce sont bien des violences. A partir de là, on ne peut pas opposer un consentement à une violence sexuelle. »
L'autorité de l'adulte en question
L’autorité morale de l’auteur de ces abus sexuels a également, légalement, une importance dans la gravité des faits, et donc dans la difficulté à en gérer les conséquences chez la victime. « Il est certain que c’est un paramètre aggravant. On apprend à l’enfant qu’il doit dire oui à un adulte. Et surtout à un adulte auquel les parents ont délégué, un peu, un pouvoir de protection. Dans le sujet qui nous réunit, cet adulte représente une institution. Mais cela est également valable s’il s’agit d’un oncle, ou un entraineur sportif.»
Aude va plus loin : « L’autorité morale peut, certaines fois, empêcher l’enfant de dire non. Il y a un vécu de dissonance : dans mon corps d’enfant, je sens qu’il se passe quelque chose qui n’est pas juste, mais on m’a dit que cet individu était là pour me protéger. Et qu’il fallait que je sois obéissant, que je reste un gentil enfant. »
Cet entourage qui ne veut rien entendre
L’accompagnement de la victime par son entourage n’est pas négligeable. En particulier lorsque la famille refuse de voir ce qui se passe. « L’enfant –ou l’adulte qui dira ce qu’il a vécu enfant- a besoin d’entendre que ce qu’il a vécu dans son corps a bel et bien existé. Quand la victime vit les faits, elle se dissocie. Son corps est là, en train de subir les actes, mais, de manière reptilienne, il se protège en sortant mentalement de ce corps. Le fait que l’entourage accepte d’entendre parler de ce qui s’est passé va permettre à la victime de revenir, un peu, à l’intérieur de son corps. L’essentiel de ce travail de réparation va être de pouvoir se dire que ce qui a été vécu n’est pas normal, et il faut que je le romance pour que cela devienne une page dans mon histoire globale. »
Des faits longtemps niés par la société
Pour de nombreuses victimes d’abus sexuels dans l’Eglise, les faits ont longtemps été niés. Avec, là aussi, des conséquences. « Certains choisissent, inconsciemment, de continuer à se dissocier. Et là, on vit un peu à côté de la plaque, en fait. On peut développer des phobies, des problématiques d’estime de soi, de l’anxiété. Mais ce n’est pas parce que l’entourage n’accepte pas d’entendre ou de voir que d’autres personnes ne peuvent pas le faire. Il existe des associations. C’est aussi important d’aller voir un thérapeute. Autant de personnes qui vont pouvoir entendre cette parole et aider la personne à se restructurer à l’intérieur. »
Distinguer la culpabilité de la honte
Parfois, les enfants, ou, plus généralement les victimes, ressentent une forme de culpabilité. « La culpabilité existe toujours. Avec des intensités différentes. On se pose des questions du type : pourquoi je n’ai pas dit stop ? Pourquoi je ne l’ai pas dit avant ? C’est tout simplement un mécanisme de défense. Cela permet de contourner ce moment extrêmement complexe dans la vie où, au final, on exprime ce qui s’est passé, et on libère sa parole. Il est très important de distinguer la culpabilité et la honte. La culpabilité est une évaluation émotionnelle négative de son comportement. La honte est en revanche une évaluation émotionnelle négative sur soi. C’est-à-dire reliée à l’identité. Or, la culpabilité amène toujours de la honte. Plus on garde le silence, plus on est honteux. Et c’est là qu’on vient toucher l’estime de soi » décrypte la psychologue.
Selon la spécialiste, la culpabilité accompagne les personnes toute leur vie, même lorsqu’elles ont beaucoup travaillé sur le sujet. « Ça fait partie de leur histoire. Comme une empreinte en eux. Chaque personne, néanmoins, compose avec ses empreintes. Il y a les résilients, qui vont monter des associations. Et puis les autres, qui vont conserver cette empreinte « invisible » en eux. » Pour ces différents profils, la démarche est la même. « Il faut apprendre à réintégrer son histoire. »
Cela signifie-t-il, finalement, qu’il est impossible d’en guérir ? Aude Bastien répond par une autre question : « S’agit-il d’une maladie ? Je ne sais pas si on peut parler de guérison ou pas. En tout cas, cela laisse une empreinte à vie. »
L'importance de la réponse judiciaire
Des procès ont eu lieu. Par exemple, le 16 mars 2020, le père Bernard Preynat, prêtre du diocèse de Lyon, qui a sévit au sein du groupe des scouts Saint-Luc à Sainte-Foy-Lès-Lyon a été condamné à 5 ans de prison ferme. Le 17 novembre, il a été cueilli par les policiers de la sûreté départementale au domicile de sa sœur à Saint-Etienne, dans la Loire, chez laquelle il vivait. Il a ensuite été conduit en détention au Centre pénitentiaire de La Talaudière (Loire).
Des réponses judiciaires qui peuvent, peut-être satisfaire les victimes d’assister à de telles condamnations. Selon Aude Durand, il faut « distinguer la masse et le vécu individuel. Chaque personne, en fonction de son empreinte, va vivre les choses de manière différente. Certains vont attendre une réparation très systémique et institutionnelle. D’autres vont attendre une réparation beaucoup plus personnelle, et ne pas accorder beaucoup d’importance au système. Ceux-ci vont se focaliser davantage sur la personne. Ils sont encore fixés sur l’empreinte individuelle d’une marque corporelle. C’est une peau, une odeur, un poids. C’est la vibration d’une personne, et pas d’une institution. Derrière cela, je ne fais aucun jugement. Tout est bien. L’essentiel étant que cela soit ajusté à la personne. »
C’est vraiment un processus. En général, c’est très long
La psychologue Aude Durand regrette que la question de la violence sexuelle faite aux enfants, qui est censée être sociétale, soit si peu accompagnée. « Il existe peu de formation pour les professionnels. Nous ne sommes pas formés spécifiquement à l’accompagnement de ces victimes-là. » Concernant ces dernières, des démarches existent tout de même. « Ce ne sont pas des thérapies classiques. Il y a tout un travail d’intégration. Il faut faire de la psychopédagogie. Définir ce qu’est une violence sexuelle, les principes de manipulation et leurs conséquences. Ce n’est qu’après cette explication qu’on peut entrer dans l’histoire de chacun. Et on aide le patient à réintégrer son vécu, au regard de la pédagogie qu’on lui a apportée. C’est vraiment un processus. En général, c’est très long ».
Un parcours très diversifié
Au quotidien, Aude Durand intervient régulièrement auprès des enfants. Les patients qu’elle suit arrivent avec des problèmes divers, notamment en lien avec le harcèlement scolaire. « Ce sont des phases. En cette période post-confinement, par exemple, on voit beaucoup de troubles anxieux. Mais aussi les questions liées à l’estime de soi, qui reviennent beaucoup.»
Aude n’était pas destinée à devenir psychologue-clinicienne. Plus attirée par les ressources humaines, elle ne voulait pas passer par le Droit ou les écoles de commerce. Durant près de 7 ans, elle a donc œuvré dans les RH et la conduite de changements.
Elle a ensuite ouvert son cabinet de psychologue et élargi ses connaissances en intégrant d’autres approches, telles que l’hypnose, les soins énergétiques, et même le chamanisme. « Le lien entre toutes ces techniques, c’est le vivant. Ma démarche est de pouvoir accompagner le vivant dans sa partie perceptible, soit le corps, les pensées, la parole… mais aussi dans sa partie plus subtile et énergétique. Ce qui m’a amené à toutes les pratiques de méditation psychocorporelle.»
REPLAY : Voir et revoir l'intégralité de 'Vous êtes formidables" avec Aude Durand