Ce mardi 5 octobre 2021, le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église (Ciase) depuis 1950, présidée par Jean-Marc Sauvé, a été remis publiquement, à Paris, à l'épiscopat français et aux ordres et congrégations religieuses, en présence des associations de victimes.
Avec le rapport sur la pédocriminalité dans l'Eglise, c'est un séisme qui était attendu dans l'Eglise Catholique Française. La Commission Sauvé, qui a enquêté sur l'ampleur de la pédocriminalité entre les années 1950 et aujourd'hui, a dévoilé ses conclusions accablantes, ce mardi matin, devant l'épiscopat français. "C'est le résultat de 32 mois de travail" a indiqué Jean-Marc Sauvé à la tribune.
"Vous devez payer pour tous ces crimes !" (F.Devaux)
"Stratégie fétide", "discours pharisiens", "Vous êtes une honte pour notre Humanité!" ... François Devaux, co-fondateur de l'association de victimes "La Parole Libérée" n'a pas eu de mots assez durs pour qualifier l'attitude de l'Eglise en matière d'abus sexuels. Cette association, fondée en décembre 2015, a été à l'origine de l'affaire Preynat et des procès du Cardinal Barbarin, Primat des Gaules. L'ancien président de l'association La Parole libérée, désormais dissoute, n'a pas mâché ses mots. Le Lyonnais a pris la parole en préambule de la remise du rapport de la Commission Sauvé, devant un parterre de journalistes et d'ecclésiastiques. Il faut également rappeler que François Devaux a été la première victime interrogée par la Ciase.
Revenant sur l'affaire Preynat, François Devaux a rappelé que le diocèse de Lyon refuse d'indemniser les victimes non prescrites dans ce dossier "juridiquement soldé". "Vous devez payer pour tous ces crimes !" a prononcé solennellement, à deux reprises, en appuyant sur chaque syllabe, François Devaux à l'adresse des évêques de France. Il a également évoqué des "crimes qui se payent en milliards". Des paroles prononcées devant une assemblée muette.
Face à cet état des lieux établi par la Commission Sauvé, il faut à présent "refonder le système dans une dimension considérable" a indiqué François Devaux. "La tâche est abyssale", a-t-il indiqué en appelant à un concile "Vatican III", mais qui ne serait qu'un "point d'étape". Ce changement est-il possible ? François Devaux affiche ne cache pas sa perplexité : "Peut-on penser que l'Eglise est capable de porter une telle réforme? Le doute restera entier tant que le système restera défaillant..." "En attendant que la rédemption vous traverse un jour, le mieux que vous ayez à faire serait encore de vous taire et de commencer à vous exécuter avec ardeur et célérité ! "
Les victimes au centre du travail de la commission
"Nous avons entendu des victimes, placées au centre et au coeur notre démarche. Nous avons écouté les personnes victimes, non comme des experts mais comme des êtres humains acceptant de s'exposer.... Souffrance, isolement, honte et culpabilité (...) ce vécu a été la matrice du travail de notre commission," a expliqué Jean-Marc Sauvé. Au total, la commission est entrée en contact avec 6471 victimes, notamment grâce à un appel à témoignages, ouvert durant dix-sept mois. Ce sont aussi 243 auditions longues de personnes victimes qui ont été menées. La commission a aussi dépouillé les archives des Diocèses, celles de la justice et de la presse pour conduire son travail de fourmi.
"En dépit de ses efforts, la commission a le sentiment de ne pas détenir la vérité et moins encore toute la vérité. D'autres commissions, dans d'autres pays ont consacré 4 à 5 ans dans leur travail avec leur lot de frustrations mais la Ciase a réuni assez d'éléments pour esquisser des pistes de travail ..." Pour le président de la Commission, qui a mis l'accent sur le travail interdisciplinaire qui a été conduit, le rapport est un "travail d'intelligence collective".
Abus sexuels dans l'Eglise : 330.000 victimes
Les 2.485 pages de ce rapport, dont trois annexes colossales, sont un état des lieux quantitatif mais aussi une série de 45 recommandations formulées par la Commission Sauvé. La veille de la remise du rapport, Jean-Marc Sauvé avait déjà révélé le nombre de prédateurs, évalué entre 2.900 et 3.200, hommes - prêtres ou religieux - depuis les années 50. Le rapport s'appuie aussi sur des entretiens avec dix prêtres et un diacre agresseurs, ajoutés aux près de 2.000 cas d'agresseurs que l'Ecole pratique des hautes études a examinés dans les archives de l'Eglise. Le rapport a aussi donné une estimation du nombre de victimes.
Le rapport Sauvé estime à 216.000 le nombre de personnes de plus de 18 ans ayant fait l'objet de violences ou d'agressions sexuelles pendant leur minorité de la part de clercs ou de religieux catholiques en France de 1950 à 2020. Le nombre de victimes grimpe à "330.000 si l'on ajoute les agresseurs laïcs travaillant dans des institutions de l'Eglise catholique," a indiqué Jean-Marc Sauvé. Les chiffres cités résultent d'une estimation statistique comprenant une marge de plus ou moins 50 000 personnes, a encore indiqué le président de cette commission indépendante.
Les victimes détiennent un savoir unique. C'est leur parole qui sert de fil directeur au travail de la commission. C'est grâce à elles que ce rapport a été réalisé (...) Si cette chape de silence a fini par se fissurer, on le doit au courage des personnes victimes. Sans leur parole notre société serait encore dans l'ignorance ou le déni.
"Ces chiffres sont bien plus que préoccupants. Ils sont accablants. Ils ne peuvent rester sans suite, ils appellent des mesures très fortes," a déclaré Jean-Marc Sauvé.
Une fois l'état des lieux posé, la Commission a énuméré plusieurs dizaines de propositions dans plusieurs domaines: écoute des victimes, prévention, formation des prêtres et des religieux, droit canonique, transformation de la gouvernance de l'Eglise ... Elle a aussi préconisé une politique de reconnaissance, puis une réparation financière propre à chaque victime. Le rapport compte 45 recommandations.
"Nous avons contribué au travail de vérité, c'est à l'Eglise de s'en emparer," a indiqué Jean-Marc Sauvé dans ses conclusions.