Laurence Gaudart est directrice générale d'une agence de voyage, spécialisée notamment dans les séjours de courte durée à la montagne. Face à la crise et au sentiment de faire partie d'une profession oubliée, elle lance un cri d'alarme. Avant qu'il ne soit trop tard pour son activité.
"Depuis le mois de mars, on a le sentiment de vivre au gré des mesures gouvernementales. Je ne souhaite pas être défaitiste ou trop mettre en avant notre détresse... Mais face à cette absence de visibilité à long terme, il devient vraiment indispensable d'agir. Surtout après les dernières annonces d'Emmanuel Macron -qui reportent à priori toute ouverture des stations de ski à l'année 2021. Cette nouvelle annonce fait l’effet d’une douche froide, doublée d’un sentiment d’injustice. " explique Laurence Gaudart, directrice générale d'une agence de tourisme lyonnaise.
Travelmania est spécialisée dans les séjours de courte durée (moins de 5 jours), en montagne, ou dans les parcs d’attraction, en France comme à l’étranger, principalement en Europe. Elle propose des séjours "sur-mesure", élaborés en fonction des souhaits du client. "Notre clientèle principale, c’est notamment les Comités d’entreprise", reconnait-elle.
En hiver, l'agence assure une grande partie de sa production grâce à sa marque Skimania, que les lyonnais connaissent bien. Elle propose des journées tout-compris en station de ski (transport, forfait et accompagnateur compris). Cela représente jusqu’à 50 000 clients chaque hiver. "C’est une belle aventure qui a débuté en 1992… Aujourd'hui, nous sommes régis par le code du tourisme, avec une licence de voyage... A l’époque de sa création, nous voulions démocratiser le loisir en montagne et faire en sorte que beaucoup de lyonnais puissent partir à des coûts abordables. Une philosophie que nous avons conservée." explique la directrice.
Sauf que la crise de la Covid19 est arrivée, et, avec elle, un sentiment de perdre le contrôle: "Après le premier confinement, j’ai fait revenir mon équipe pour préparer la saison hivernale. On a commencé à mettre en place nos séjours avec les restaurateurs, les hôtels. On a réservé des nuits. Pour un certain nombre de clients qui ont, eux mêmes, planifié leur séjour au ski, notamment". Puis la deuxième vague a balayé toute cette somme de travail, telle une avalanche. "On a l’impression que les activités de loisirs sont le bouc émissaire de la crise. On constate que le traitement accordé à nos activités, par rapport à d’autres -parmi lesquelles la grande distribution- est très différent. On se sent totalement ignorés des pouvoirs publics".J’ai l’impression d’être dans un ring, et d’encaisser les coups
Découragée, Laurence ne se souvient pas avoir entendu suffisamment le personnel politique s'exprimer publiquement sur le devenir du tourisme. Elle vit chaque jour comme un combat : "J’ai l’impression d’être dans un ring, et d’encaisser les coups. Et, à chaque fois, on se relève un petit peu... On essaye de reprendre notre respiration et de positiver.. Mais, à nouveau, on reprend un nouveau coup. Je ne mets pas en cause le virus et la nécessité des contraintes sanitaires… Mais je constate que les voyagistes n’ont en fait que le droit d’accepter les coups et d'envisager qu’ils ne vont peut-être pas s’en relever."
Un manque de transparence de l'Etat
Si Laurence Gaudart reconnaît que le cap est désormais fixé, elle pense cependant que sa profession a légitimement du mal à comprendre les différences de traitement entre les différents acteurs économiques du pays : « On regarde d’autres secteurs qui ont le droit de fonctionner, et on se questionne. D’autres stations de ski vont-elles pouvoir ouvrir, à l’étranger pendant que les notres resteront fermées ?. Doit-on assister à tout cela sans réagir, et avoir le sentiment de ne plus du tout être acteurs de notre propre secteur ? " Consciente de ne pas être la seule dans ce cas -elle cite le monde de la culture, la restauration, les salles de sport- elle sait que ses possibilités de résister risquent d'atteindre leurs limites, notamment financières … « Moi, j’ai un combat à livrer depuis des mois, avec des voyages annulés, reportés, puis re-reportés. Cela entraine un travail double qui n’est évidemment pas facturé , in fine, à nos clients. » Elle redoute, à terme, de perdre leur confiance. A force de voir toutes ces annulations et ces reports, ne vont-ils pas finalement réclamer un remboursement ? "Lors du premier confinement, une ordonnance nous avait permis de déclencher des avoirs, permettant à nos clients de pouvoir reporter ses projets de vacances . C’était une bonne mesure… Mais au bout de plusieurs reports, les gens vont peut-être vraiment en avoir marre et exiger d’être remboursés. Alors que, de notre côté, des fonds conséquents sont aujourd’hui bloqués un peu partout, en France et à l’étranger. Cet argent là nous sera sans doute jamais remboursé… " redoute-elle.Pour notre interlocutrice, le temps commence à être long. "Même si je comprends la réalité et les difficultés que pose le virus, je dis que les acteurs du tourisme ne sont pas pris en compte à leur juste valeur. On va finir, à force d’être ignorés, par plonger progressivement dans une sinistrose. Au quotidien, nous avons nos clients au téléphone qui nous questionnent. Ce matin, on a à nouveau déprogrammé des week-ends de ski, en essayant de les reporter…" Une tension qui s'ajoute à l'impression d'affronter des décisions incohérentes : " On ne comprend vraiment pas pourquoi on peut aller dans une grande surface, et bientôt dans d’autres commerces... mais qu’on empêche toujours les gens d’aller en station de ski, à 2000 m d’altitude, pour respirer au grand air. On souhaiterait tout simplement travailler et donner la possibilité à tous de prendre l’air. Tous ces confrères qui avaient vraiment travaillé sur les protocoles et accepté de respecter les normes de distanciation, et qui ont le sentiment de les avoir élaboré en vain... Je crois que ce sentiment vient du fait que notre profession n’est pas écoutée." explique-t-elle. "J’ai un peu peur de cette situation. J’en viens même à me demander si nous devons accepter une crise économique sans précédent simplement pour amortir une crise sanitaire gérée par le principe de précaution ? Je ressens vraiment une sorte d’injustice. Je me dis tout simplement que, malgré le danger, les gens ont peut-être tout simplement envie de sortir. Et face à cette attente, nous les professionnels du tourisme, sommes tout à fait capables de mettre en place des protocoles qui respectent des gestes barrières. Nous y sommes tous prets. Ces efforts sont-ils vains ?"
Quelles solutions pour maintenir les emplois ?
Alors quelles solutions envisager ? Laurence Gaudart avance quelques idées : peut-etre développer une concertation au niveau européen, ou mondial, pour encourager les acteurs du tourisme à être logés à la même enseigne. Les bonnes nouvelles viendront effectivement peut-être d'une organisation à l'échelle de l'Europe. Pour sauver des millions d'emplois, la Commission européenne a déjà assoupli les règles en matière d'aides d'État et mobilisé ses programmes et fonds de soutien aux entreprises. À long terme, elle prévoit même d'utiliser le nouveau fonds de relance Next Generation EU de 750 milliards d'euros pour promouvoir le tourisme durable.Au niveau national, Laurence aimerait que l'Etat aide davantage sa profession à maintenir à flot son économie "On est là pour organiser toute cette activité économique, avec un souci de qualité, mais à quel prix , et avec quelles pertes ? Comment récupérer la valeur de cette production ? Faut-il remettre les compteurs à zéro, trouver une méthode pour sauvegarder nos emplois, avoir un horizon un peu plus clair ?" demande-t-elle. Le tourisme est un secteur qui pèse. Il représente 10% du PIB en Europe, avec ses 2,4 millions d'entreprises, dont une grande partie en France.
Autre paramètre alarmant : le chiffre d’affaires de son entreprise, de mars à août 2019, s’élevait à deux millions d’euros. En 2020, sur la même période, c’est à peine 30 000 euros. Laurence s'inquiète aussi pour l'avenir de son personnel : "J’ai joué le jeu, et mis une partie de mes équipes en chômage partiel. Je suis quelqu’un d’humain, et je n’ai pas opté pour des baisses de salaires jusqu’à présent, car je ne veux pas mettre en difficulté mes 7 salariés permanents (et 2 saisonniers) mais je dois dire que j’atteint mes limites… Aujourd’hui, je ne parviens même plus à savoir ce que je vais pouvoir dire aux salariés."
Avant de conclure, cette patronne tient à rappeler qu'elle ne veut pas donner l'impression de s'inquiéter uniquement pour ses bénéfices "Je ne parle ni de marge, ni de profit. On sait depuis un moment qu’on en est plus là. Mais là, croyez-moi, ça devient très compliqué".