En Forêt, c’est d’abord une invitation. Découvrir ces espaces autrement, les protéger, les respecter. Une exposition qui plonge le visiteur dans la peau d’un photographe et cinéaste animalier. Vincent Munier, multi primé pour ses photos du bout du monde, raconte ici les forêts de son enfance, entre poésie et engagement.
Une brindille qui craque. L’ivresse sonnante et saccadée d’un Pic noir. Au musée des Confluences, il faut presque plisser les yeux comme dans le clair-obscur d’une forêt étouffée par la brume... En Fôret, c’est avant tout une mise en scène pour tromper les sens... Une exposition pour reconstruire l'émotion du photographe... “Souvent, tout se passe entre chiens et loup, au crépuscule ou à l'aube... C'est des moments où il y a des réveils, où il y a des mouvements et ça, j'adore”. Vincent Munier a l’art du récit. Celui du passionné, plus que celui de l’artiste.
“Cette photo, je l’ai prise au milieu de la nuit”, nous explique-t-il devant la silhouette indécise d’un renard. “Je suis dans un sac de couchage en lisière de forêt, il fait à peu près moins 10°. C'est au mois de février, pendant la période des amours des renards et c'est fabuleux parce que ça crie dans tous les sens”.
Saisir l’instant
Une série d’images, fixes et animées, qui racontent l’art d’attendre. L’art de retenir son souffle. Comme une marque de fabrique, la plupart des clichés sont subtils et suggérés, presque abstraits : c’est le paysage qui habille l’animal et pas l’inverse. “J’essaye d'être assez fidèle à ce que je vois, j’essaye de pas de pas me mentir parce que ce qui me donne le poil, ce qui me donne des frissons et des émotions très fortes, c'est ça, c'est d'attendre longtemps, de ne rien voir et puis... Une ombre... C’est vraiment ce qu’on voit, c'est la réalité, c'est très furtif, on ne sait pas si c'est vrai ou pas”.
La technique ne l’emballe pas, "l'agace” même. Ce n’est pas la photo qu’il vole qui intéresse Vincent Munier. C’est l’instant. “J'aurais vraiment préféré être un peintre et avoir juste un crayon, ça aurait été beaucoup plus léger”, sourit simplement celui que tout le monde s’accorde à qualifier comme l’un des plus grands photographes animaliers au monde. C’est l’un des seuls à avoir reçu trois fois de suite (2000, 20001 et 2002) le prestigieux prix Eric Hosking Award du BBC Wildlife Photographer of the Year. “Parfois je me dis, c'est un drôle de métier quand même : photographe animalier. En faire une profession, c'est très étrange parce qu'avant tout c'est une passion”.
Des montagnes du Tibet aux forêts des Vosges
Si le photographe est surtout connu pour ses clichés du bout du monde - son César 2022, il le doit à la panthère des neiges du Tibet - c’est sous les frondaisons de son enfance, celles des Vosges qu’il invite ici les visiteurs. Hommage au père et à ses leçons d’humilité. “Ces forêts, je les connais depuis que j’ai l’âge de douze ans... Je dors en forêt, j’y passe un temps fou et il y a des rendez-vous que je ne veux pas louper”. Comme pour rappeler que le voyage ne commence jamais très loin... “Parfois j'étais partagé, au mois de mars quand je devais aller au Tibet et que la neige était annoncée chez moi et que le lynx était en train de préparer sa saison des amours, je ne voulais presque plus partir”.
Dans l’objectif de Vincent Munier, on découvre donc les espèces de chez nous : cerf, renard, castor... Et à la frontière de sa photographie, forcément, un engagement. Une invitation à percevoir les forêts autrement. A les utiliser autrement. Des chasseurs aux exploitants forestiers, des marcheurs aux cueilleurs, en passant par les motos, les quads, les trails, “à chaque fois, le but, c’est quand même de l’exploiter pour notre petit bonheur, un bonheur assez court mais qui a un impact non négligeable. Il faudrait revoir un peu notre façon d'appréhender les forêts, je trouve”.
Appréhender les forêts autrement
En fin de parcours, apogée de l’expérience immersive dans l’univers du photographe, l’exposition propose de découvrir les outils de l’artiste. “Là on est près des pièges photos justement, on en pose pas mal pour en connaître plus sur les mouvements des bêtes. Et parfois on a des humains qui passent, le bordel qu'ils font, le fracas... Ils hurlent et c'est surprenant. Alors que moi, on m'a toujours appris à chuchoter, à être attentif, à observer”.
La préservation des milieux, de la biodiversité - dans une région où la monoculture crée le vide -, ce sont évidemment des combats qu’il porte à bout de clichés. “Quand on rentre dans une forêt, c'est un peu comme dans une cathédrale, on doit être quand même sacrément saisi par tout ce qui s'y passe, c’est un lieu extrêmement habité par des... des gens j'allais dire, c'est un drôle de laïus...”, sourit le naturaliste. “C’est un milieu où il y a déjà des êtres vivants... En y pénétrant (...) il faudrait qu'on ait le sentiment de respect et qu'on ne soit pas bruyant”.
Une vision de la nature née, sûrement, de ces longues heures à l’affût, entre qui-vive anxieux et attente méditative. “Moi j'adore dire qu'il y a une espèce de perfection, une espèce de beauté, rien n'est excessif, chacun a sa place, tout est imbriqué. C'est un le grand tout, l'unicité. Sauf que nous, des fois, on a tendance à venir mettre un coup de pied là-dedans, à tout désorganiser”.
Alors pour saisir cette poésie du vivant, celui qui ne craint ni la solitude ni le froid, amateur de l’extrême sans confort, propose une solution toute simple : s’adapter. “Mon rôle, mon but, c'est quand même de m'effacer. C'est vraiment ça : d'être végétal, d'être animal. J'observe beaucoup les animaux et j'essaie de calquer leur comportement. Quand il y a une lisière ou un une clairière, je ne vais pas la traverser au milieu. Tout le monde me voit. Donc je vais faire comme un prédateur, je la longe discrètement et là je peux voir des choses”.
La promesse d’une rencontre presque mystique, diront certains, nécessaire diront d’autres, avec la beauté du monde, brute, sauvage. “Si on a un comportement différent dans ce milieu qu'est la forêt, on aura plein de cadeaux, plein de surprises, et on va voir des choses qui vont être fabuleuses”.
En forêt, une esthétique sensible, minimaliste et engagée, à découvrir au Musée des Confluences jusqu’au 25 avril 2025.