Les demandes des anciens verriers de Givors, décimés par les cancers, rejetées par la cour d'appel de Lyon

C'est un scandale industriel et sanitaire qui a éclaté au début des années 2000. Les verriers de Givors ont été décimés par des cancers après avoir été exposés pendant des décennies à des produits toxiques sur leur lieu de travail. Le combat en justice des verriers et de leurs familles dure aussi depuis des années. Dernier épisode de cette procédure fleuve.

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Ils connaissent l’enfer des procédures de reconnaissance pour maladie professionnelle par la justice. Les anciens verriers de Givors disparaissent un à un, avant la fin d'interminables allers-retours devant les tribunaux. Les proches, épaulés par l'association des anciens verriers de Givors, reprennent le flambeau. Les anciens verriers de Givors et leurs familles mènent un combat depuis dix ans pour obtenir justice. Une décision de la cour d'appel de Lyon était attendue ce 29 février 2024. À la mi-journée, elle n'était toujours pas tombée.

En toute fin de journée, les verriers ont finalement pris connaissance des arrêts de la cour d'appel de Lyon : le rejet des demandes. Contacté par téléphone, leur conseil Me Lafforgue déplore cette décision, "particulièrement contestable". "La cour n'a pas pris soin d'étudier les dossiers dans toutes leurs composantes, des dossiers très documentés", a réagi l'avocat. Ce dernier devrait leur conseiller un pourvoi en cassation.

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Intervenants : Jean-Claude Moioli, Président de l'association des anciens verriers de Givors. Jacky Ollivier Trésorier de l'association des anciens verriers de Givors et Bruno Cordero, ancien verrier. Reportage de V.Benais et V.Bachtik ©France Télévisions

Le combat d'une vie

Dans le local de l'association, à quelques encablures de l'ancien site industriel, des coupures de presse, des photos s'étalent sur les murs. Les vestiges d'un combat de plus de dix ans. "C'est tellement long que ça en devient risible", déplorait encore ce matin un ancien verrier du collectif dans l'attente de la décision de la cour d'appel de Lyon. Elle aurait dû intervenir fin janvier et elle a été reportée à fin février. Elle pourrait tomber dans la journée ou pas. L'incertitude planait encore à la mi-journée. Mais les anciens verriers sont patients.

Pour ces ouvriers malades ou qui vivent dans l'angoisse de développer un cancer, le combat semble encore loin d'être terminé. Il paraît même interminable et douloureux. Douloureux à plus d'un titre, car ces anciens ouvriers sont aussi confrontés à un dilemme de loyauté envers une usine qui les a nourris pendant des décennies. Leur détermination à obtenir gain de cause reste malgré tout intacte. "Pourquoi on abandonnerait ? On n'abandonne pas. Ce sont des combats qui sont longs et c'est là-dessus qu'ils comptent pour qu'on abandonne", assurait, en octobre dernier, Laurent Gonon, ancien salarié de la verrerie BSN de Givors.

Une procédure qui s'enlise 

C'est en juin 2013 que soixante anciens verriers de Givors ont saisi le conseil des Prud’hommes de Lyon pour demander réparation. Une tentative de conciliation échoue en septembre 2013. Un an plus tard, les conseillers Prud’homaux ne peuvent se départager. Février 2016, retour devant les Prud'hommes de Lyon. Le conseil, réuni avec un juge professionnel, rejette la requête des anciens verriers. Ces derniers décident immédiatement de faire appel. Décembre 2019 : nouvelle tentative de médiation, mais l'ancien employeur refuse. Une audience était prévue en février 2021. Nouvel échec. C'est sans compter les revers des anciens verriers devant la justice administrative concernant le classement en site amiante de leur ancienne entreprise.

Dix ans plus tard, la procédure piétine et le dossier semble s'enliser. La dernière audience a eu lieu le 26 octobre 2023. Les anciens salariés de BSN se sont retrouvés une nouvelle fois devant la justice, devant la Cour d'appel de Lyon. Ils étaient une quarantaine à avoir fait le déplacement pour réclamer une nouvelle fois des attestations d'exposition à l'amiante et autres produits toxiques.

Depuis plusieurs années, ils réclament la reconnaissance de leur exposition à l'amiante et autres substances cancérigènes, et la reconnaissance de leur préjudice d'anxiété. Après un premier rejet en février 2021 pour des questions de procédures, les membres du collectif des anciens verriers ont réitéré leurs demandes.

Devant la cour, l'entreprise avait alors assuré avoir respecté toutes les règles de sécurité et avoir limité le nombre d'employés exposés aux produits chimiques. 

Casse sociale et cancers

La vallée du Gier, qui s'étire entre Lyon et Saint-Etienne, a été aux avant-postes de la première révolution industrielle. Elle a accueilli la toute première ligne de chemin de fer pour voyageurs. Pour Givors, ancienne place forte française de la révolution industrielle, l’heure de la désindustrialisation avait sonné. L'un des symboles forts de cette débâcle : la fermeture de l’usine BSN. La dernière coulée de la dernière verrerie a eu lieu en janvier 2003. Fermé, le site a été détruit et dépollué. La cheminée est le dernier vestige de cette histoire industrielle.

L'Association des anciens verriers de Givors est née avec la fermeture de ce fleuron local. Elle a compté plus de 600 membres. Beaucoup ont disparu précocement, d'autres sont tombés malades alors que la justice n'a toujours pas bouclé ce dossier. "Sur les 60, il y en a pas mal qui sont décédés. D'autres sont malades. Beaucoup sont malades, ils ont des cancers et des pathologies lourdes. Presque la moitié. Ça fait beaucoup. Il faut se poser des questions", a expliqué aujourd'hui le président de l'association. 

L’usine qui fabriquait des bouteilles et bocaux en verre, fabriquait aussi des cancers. L'arrêt de BSN a mis au chômage près de 350 personnes. Au-delà de la casse sociale, les ouvriers verriers qui ont travaillé sans protections sont peu à peu décimés par des cancers. Une mortalité industrielle précoce. Conséquence de leur exposition prolongée à un cocktail de produits toxiques et cancérogènes comme de l'amiante, divers hydrocarbures et des solvants. "Tous les gens qui travaillaient aux fours, à l'entretien ont été exposés aux produits toxiques. Tout le monde était exposé aux produits toxiques",  assurait encore aujourd'hui Jean-Claude Moioli.

Lutte collective, combats individuels

Il y a déjà eu des victoires collectives ou individuelles pour les verriers de Givors. Des batailles qui les ont soudés. Les ouvriers se sont notamment battus pour défendre leur usine, puis pour sécuriser des reclassements. C'est finalement un petit nombre d’anciens de BSN qui a décidé d’entamer un nouveau combat, quelques années après la liquidation du site.

À partir de 2013, soixante anciens ouvriers ont entamé un combat devant la justice pour faire reconnaître leur exposition à ces substances cancérigènes. Ils luttent aussi pour faire reconnaître le préjudice d'anxiété qui en découle. Les verriers de Givors veulent que soit reconnu le manquement de leur ancien employeur à ses obligations de sécurité. Ces ouvriers parlaient alors pour la première fois de la mortalité précoce qui les frappe. Très vite, il apparaît que le taux de cancer chez les verriers est dix fois plus élevé que la normale. Pour les anciens verriers décimés, l'exposition à des substances chimiques cancérigènes en est la cause.

"Voilà 21 ans que c'est fermé. Un des 60 m'a dit un jour : heureusement que la verrerie de Givors a fermé. Sur le coup, ça m'a choqué, on s'était battus pour que ça reste ouvert. Avec le recul, il avait raison. Si c'était resté ouvert, on ne serait peut-être plus de ce monde", a déclaré un ancien verrier ce matin.

Un des visages du combat des verriers

Christian Cervantès a été l'une des figures marquantes de ce combat du pot de terre contre le pot de fer. Après plus de trois décennies dans cette entreprise, il avait 55 ans quand l’usine givordine a fermé. Deux ans plus tard, une première tumeur cancéreuse à la gorge lui était diagnostiquée. Six ans plus tard, nouvelle tumeur. Ses cancers ont été reconnus par la justice en mars 2017, par un arrêt de la Cour de cassation. Une reconnaissance individuelle. Christian Cervantès n'en a rien su. Il s'est éteint en 2012 à l'âge de 64 ans, des suites d'un double cancer du pharynx et du plancher buccal.

La reconnaissance de l'exposition à des substances toxiques permettrait surtout à ces anciens salariés de bénéficier d'un suivi médical et d'obtenir des indemnités au titre du préjudice d'anxiété, "pour vivre confortablement le reste de ses jours", selon Jean-Claude Moioli.

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