"Ce n’est pas tous les jours qu’un papa ou un mari soit femme", témoigne Beatrice Denaes, dans "Ce corps n'était pas le mien"

A 63 ans, Bruno Denaes change d'identité. Et de corps. Elle s'appellera désormais Béatrice et vivra enfin dans le corps de la femme qu'elle a toujours su qu'elle était. Une renaissance vécue avec le soutien de sa famille. Et qui lui permet aujourd'hui d'être une femme formidable, qu'elle raconte dans son livre. Rencontre sur France 3.

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« On n’est pas malade, hein… », sourit Béatrice Denaes, co-présidente de l’association Trans’Santé, à propos des personnes trans. La précision fait partie de ses habitudes. Dans une autre vie, alors qu’elle s’appelait Bruno, elle était une journaliste chevronnée. Au fil de sa carrière, Bruno Denaes a notamment accompagné le développement des stations locales de Radio France, la naissance de la radio France Info, et a achevé son parcours en assumant le rôle de médiateur des antennes de la Maison ronde. Quel parcours !

« Ce que je regrette, c’est d’être parti tôt. Honnêtement, c’est le plus beau poste que j’ai occupé », enchaine Béatrice, qui raconte ce formidable parcours, notamment dans son livre « Ce corps n’était pas le mien ». « Moi qui suis passionnée par la déontologie, l’éthique… de ce poste, j’ai fait aussi une lutte contre le sexisme au quotidien. De réagir, quand, par exemple, un présentateur d’émission dit, sur France Inter, au moment de la rentrée scolaire « Super, toutes les mamans vont pouvoir m’écouter cet après-midi, maintenant que les enfants sont à l’école ! » C’est important sur le service public. »

Vers 4 ou 5 ans, je savais qu’un truc ne collait pas, en moi. Je me sentais petite fille, dans un corps de garçon.

Juste après son départ en retraite, Bruno a décidé de s’accorder, enfin, le droit de vivre en tant que femme. Celle qu’il a toujours estimé être au plus profond de lui. Le mercredi 13 février 2019 est le jour de sa renaissance. Adieu Bruno, et bonjour Béatrice.

Elle a alors 63 ans, et elle attendait ce moment depuis l’âge de 5 ou 6 ans. « Et on pourrait même dire depuis ma naissance. Mais à ce moment-là, on ne s’en rend pas forcément compte. » Evitez, donc, de lui dire que, ce mercredi-là, elle est « devenue femme ! ». « Moi je m’en suis rendu compte, comme beaucoup de personnes trans, quand j’étais enfant, au début des années 60. On ne parlait pas de transidentité, à l’époque. Vers 4 ou 5 ans, je savais qu’un truc ne collait pas, en moi. Je me sentais petite fille, dans un corps de garçon. »

Un souvenir pas forcément très agréable. « J’ai vécu du harcèlement, à l’école. J’avais la chance d’aller dans une école publique mixte, ce qui était plutôt rare. Et c’est vrai que j’étais tout le temps avec mes copines de classe. Je m’entendais bien avec elles. Je n’aimais pas la bagarre, ni le foot… je ne discutais pas avec les garçons. » Durant toute son enfance, elle a ainsi vécu un mal-être, repliée sur elle-même.

« Je ne parlais quasiment qu’à mes parents. Je n’osais pas aller seule dans un magasin faire la moindre course », détaille-t-elle, sans pour autant imaginer alors une quelconque « dysphorie de genre » (aujourd’hui, on parle plutôt d’incongruence). « A cette époque, on écoutait pas les enfants. Mes parents n’étaient pas des monstres. Mais on n’en parlait pas. J’ai pris ça sur moi. A l’adolescence, et notamment au moment des amours, cela a été hyper compliqué. En particulier concernant les relations avec les filles, alors que j’avais un maximum de copines. Je me suis interrogé sur moi-même. Est-ce que j’étais un garçon ? Une fille ? ou un monstre ? Je ne savais pas mettre un mot sur ce que je ressentais. Je n’avais pas confiance en moi… Jusqu’à ce que je rencontre celle qui est devenue la femme de ma vie. » Cette dernière se prénomme Christine, elle est toujours, aujourd’hui son épouse.

Un beau jour, cependant, Béatrice met enfin des mots sur ce qu’elle ressent. Et rien n’est pour autant réglé. Comment vivre en sachant que l’on vit dans un corps qui n’est pas le bon ? « On le vit très mal. Je m’étais créé des sas de survie. Tout petit, j’adorais faire de la photo. Avec mon grand-père on avait créé un petit labo dans une pièce sombre. Un endroit où j’étais sûr de ne pas être dérangé. Une fois enfermé, pendant plusieurs heures, j’étais femme, ou fille, notamment grâce à des affaires piquées à ma mère. »

Un premier pas libérateur pour elle. « C’est vrai que c’était uniquement une tenue, une attitude. Mais cela me permettait au moins de tenir. Et cela a duré, ainsi, une bonne partie de ma vie. Avec des moments de grande dépression, et d’autres où j’avais envie d’en finir aussi… »

Pour « tenir », elle s’appuie sur deux piliers de sa vie : le journalisme et sa famille. Elle relativise tout de même. « Toutes les personnes trans ne vivent pas forcément la même situation. C’est pour cela que l’on parle de transidentité. Mais certaines personnes, dites non binaires, se sentent bien dans leur corps de naissance, même si elles n’ont pas le bon genre », précise-t-elle.

je ne voulais pas mourir dans un corps qui n’est pas le mien

C’est ainsi, avec ce mal-être, que Bruno va accomplir, en parallèle, son destin. Sa carrière progresse, et il se marie. Avec Christine, ils deviennent parents. Mais un jour, il décide de parler de ses questionnements à sa toute sa famille. « J’avais lu sur internet que lorsqu’on annonce sa transidentité à sa famille, cela se termine souvent par un divorce ou un foyer qui éclate. Mais j’avais dépassé la cinquantaine, et je ne voulais pas mourir dans un corps qui n’est pas le mien. »

La première personne à qui il a dû en parler était donc sa femme. « Cela a été dur. Pour moi, évidemment, mais surtout pour elle, qui l’a vécu comme un tsunami. Apprendre que son mari était une femme. On a beaucoup discuté. Elle m’a appris, plus tard, qu’elle avait beaucoup pleuré… Un jour, elle m’a demandé ce qu’on allait devenir. Je me suis dit à ce moment-là qu’on allait sans doute rester ensemble », raconte aujourd’hui Béatrice.

Finalement, Christine -et les enfants- ont vécu un choc, mais l’ont surmonté, et ont accepté les événements. « Fondamentalement, je n’ai pas changé. L’emballage a changé. Mais je reste la personne qu’elle a choisie, et aimée. Et que, visiblement, elle aime encore. »

L’opération arrive. Elle est risquée et compliquée. Il s’agit d’abord d’une « ablation des deux testicules, des corps caverneux et du bulbe du corps spongieux, création d’une cavité vaginale tapissée par la peau de la verge, création d’un néo-clitoris vascularisé et sensible, d’un méat urétral, de grandes et de petites lèvres...». Rien que ça !

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Avec Yannick Kusy, dans "Vous êtes formidables" ©france tv

« Pour moi, cela s’est bien passé, mais c’est vrai que ce n’est pas simple, car il s’agit d’une zone hyper vascularisée. Il peut y avoir de gros risques d’hémorragies. Des poches de sang sont prévues », confirme notre interlocutrice. « C’est pour cela, aussi, que certaines personnes trans ne veulent pas aller jusqu’à l’opération, parce que cela fait peur. »

Mais cette peur ne l’a pas arrêtée. « Je ne me voyais pas du tout être la femme que je sentais être sans passer par le fait d’être enfin opérée. La première fois que je me suis vue dans un miroir, à l’hôpital, j’ai un malaise de bonheur, parce que j’avais enfin le corps dont je rêvais depuis des décennies », explique Béatrice.

On te prenait pour un papa poule. Finalement, t’es une maman poule, aussi 

Avec un bémol passager. Lorsqu’elle réalise qu’elle possède désormais un corps de femme sans utérus, elle s’inquiète. Mais c’est une amie, collègue journaliste, qui la rassure. « Certaines femmes en sont parfois privées pour des raisons de santé, et elles n’en restent pas moins des femmes », lui avait-elle expliqué.

« Cela reste tout de même le plus gros manque de ma vie. Le fait de ne pas avoir donné la vie moi-même », modère-t-elle. A ce sujet, sa fille la console un peu, au moment où la situation lui est révélée, en lui disant « On te prenait pour un papa poule. Finalement, t’es une maman poule, aussi ». Elle sourit…

Une transition entièrement gratuite

Dans le livre de Béatrice Denaes, les informations se mêlent aux émotions. Le récit est touchant, sensible, mais aussi très informatif. Elle rappelle, par exemple, que l’ensemble de cette opération et des soins qui l’accompagnent, sont pris en charge totalement par la Sécurité sociale. « Nous sommes un de très rares pays au monde, où l’ensemble est pris en charge dans le cadre de l’Affection longue durée (ALD). Une prise en charge qui avait été mise en place en raison du grand nombre de suicides. Une mesure de santé publique, en quelques sortes, pour aider les personnes trans, mal dans leur peau, à être enfin elles-mêmes. »

Au passage, elle témoigne de la bienveillance, globalement, du corps médical, lors de sa transition. Mais, en tant que co-présidente de l’association Trans’Santé, elle signale que, dans certains endroits, les choses ne se passent pas aussi bien. « Souvent, de la part de médecins qui ne connaissent pas bien la transidentité. Certains le rejettent aussi », signale-t-elle. « C’est pour cela que notre association plaide pour qu’il soit mis en œuvre une véritable formation de tous les médecins sur ce sujet, pour comprendre, tout simplement, ce que c’est. Et que l’accompagnement se déroule de manière bienveillante. »

Sans négliger le fait que, derrière l’opération, il reste de nombreuses étapes difficiles à franchir. Et notamment psychologiques. « Une psy m’a un jour expliqué que j’étais dans la même situation qu’une maman qui vient d’accoucher. Le baby-blues est remplacé par le grand bonheur d’être enfin soi-même. Un moment donné, moralement, on traverse un passage à vide. On voudrait que cela aille beaucoup plus vite. »

Elle prend l’exemple de sa famille. « Elle m’a toujours soutenue. Mais je devenais assez casse-pied. J’avais tout le temps envie de parler de cette situation, et d’être enfin reconnue. Il y avait des différences évidentes de temporalité entre moi, qui attendait tout cela depuis ma naissance, et ma famille, qui avait besoin de temps pour s’adapter. Ce n’est pas tous les jours qu’un papa ou un mari soit femme. Psychologiquement, ce n’est pas facile. »

Affronter le "mégenrage"

Et puis il faut affronter le reste de la société, l’administration. Il faut refaire tous ses papiers. Et encaisser les indélicatesses. Ce fut notamment le cas lorsque Béatrice recevra son nouveau passeport, comprenant son identité de femme sauf… que le sexe apparait toujours comme masculin. « J’étais tellement contente, sur le coup. Dans ces moments-là, on a envie de l’afficher partout. Quand on constate l’erreur, c’est un peu dur… »

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face à Yannick Kusy dans "Vous êtes formidables" ©france tv

Elle est, aussi, fréquemment victime de « mégenrage ». « C’est assez insupportable. Notamment quand on n’a pas encore sa carte vitale, avec le bon prénom et le bon sexe », témoigne Béatrice. « Quand on va faire une analyse de sang, et que l’on prévient l’accueil du laboratoire à ce sujet. J’ai demandé, si possible, à être appelée madame, ou Béatrice... Mais l’infirmière est arrivée dans la salle d’attente et a appelé « Monsieur Denaes ». Tous les regards ont convergé vers moi. » Un moment de grande difficulté racontée avec émotion dans son livre...

La transidentité n'est pas une pathologie

A présent, Béatrice milite pour les autres. Avec l’association Trans’Santé France, elle souhaite surtout dépathologiser le sujet. « Depuis 2010 a été retirée l’appellation « maladie mentale » sur la transidentité. Rendez-vous compte. Si j’étais venue vous rencontrer il y a 15 ans, vous auriez eu une malade mentale en face de vous » souligne Béatrice, qui souhaite aller plus loin.

Avec l’appui de l’Assurance Maladie, et de la Haute autorité de santé, son association fait avancer le dossier. « Malheureusement, pour beaucoup de médecins, il faut encore produire un certificat psychiatrique qui atteste que l’on est bien une personne trans » explique-t-elle. « C’est quand même fou ! Comment demander à un médecin d’attester que l’on est bien une personne trans ? On le ressent. A-t-on besoin d’un psychiatre pour le dire ? »

REPLAY : Voir l'intégralité de "Vous êtes formidables"

PODCAST : Ecouter l'entretien avec Béatrice Denaes

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