Elle est installée depuis des décennies sur le quai de la pêcherie, en presqu'île de Lyon. Si la quincaillerie ne trouve pas de repreneur, elle fermera définitivement, au plus tard, en septembre 2024.
Le patron de la petite quincaillerie du quai de la Pêcherie a décidé de passer la main. Une mauvaise nouvelle pour les habitués. "C'est le genre de boutique bien pratique et qui dépanne. Ce genre de commerce qui ferme, c'est dommage. D'autant que c'est sympa et authentique", explique Fabrice, un client venu chercher un raccord pour de la tuyauterie dans ce commerce de proximité. D'autant que la quincaillerie est presque ouverte toute la semaine.
"Quand on vient ici, on trouve ce qu'on veut, dans des quantités raisonnables, à des prix raisonnables", confirme Bruno, un autre client. La fermeture de la boutique, il la déplore aussi : "c'est dommage pour le quartier et la ville de Lyon où beaucoup de commerces ferment", explique-t-il. Pourquoi baisser le rideau ? Les explications de Morgan Gresset.
Commerce à l'ancienne
C'est une petite quincaillerie au décor néo-rétro qui a été ouverte il y a douze ans par Morgan Gresset, originaire de Paris. Ce dernier s'est installé sciemment dans le quartier, à proximité immédiate d'autres commerces de bricolage. "C'est de la saine concurrence de se mettre à côté des autres. Ça constitue un pôle. Il y avait Art 2000 et Terreaux Bricolage, on était complémentaires", explique-t-il. Fidéliser la clientèle a pris du temps : "il a fallu 3 ou 4 ans avant que les gens me fassent confiance", avoue Morgan Gresset. L'ouverture de cette boutique, l'antithèse d'une grande surface, c'était aussi une forme de militantisme, avoue le patron. "Moi, je trouvais tout le temps des réponses dans les quincailleries et je trouvais que ça se perdait".
Aujourd'hui, ce commerce de proximité risque de disparaître faute de repreneur. Depuis plus de deux ans, le patron tente de céder l'enseigne. En vain. Son bail arrive à échéance et il n'a encore trouvé aucun acquéreur. L'échoppe a pourtant belle allure avec ses meubles de métiers à l'ancienne, aux tiroirs de bois clair. Plomberie, tuyauterie, outils, pinceaux, peinture, droguerie, visserie… L’importance du stock contraste avec la taille de l'échoppe. Pas moins de 6 à 7000 références. En plus du conseil, le quincaillier est aussi un pro du rangement.
"Enchères"
Au départ, Morgan Gresset espérait vendre son commerce à 150 000 euros, en plus de la valeur de son stock. Mais il a très vite déchanté. "Je suis descendu à 120 000, puis à 90 000. Il y a trois mois, c'était 50 000 et là, c'est au plus offrant. Mais je ne peux pas faire moins que vendre ma boutique, juste au prix du stock, ce qui est un gros cadeau", explique le quincaillier lyonnais.
De guerre lasse, il s'est effectivement résolu à poster une annonce originale le 8 mars dernier sur les réseaux sociaux pour tenter d'éventuels acquéreurs pour sa boutique. "J'ai pris la décision de la vendre "façon enchère" avec un minimum fixé à la valeur du stock avant de poser ma dédite à la fin du mois !" écrit cet indépendant. Le prix de départ annoncé pour ce commerce est aujourd'hui de 60 000 euros. Soit la valeur du stock.
"60 000 euros, c'est juste le prix du pas-de-porte. Quand je suis arrivé, j'ai payé pour rentrer dans un endroit vide. Il n'y avait rien. Si je trouve un repreneur, il y a une clientèle faite, douze ans d'ancienneté de boutique. C'est cadeau", explique le quincaillier. Son salut pourrait passer par le rachat de son échoppe par un grand groupe de bricolage, mais le commerçant n'y croit pas.
Gentrification du centre-ville
Si ce commerçant indépendant veut se séparer de sa boutique, c'est parce qu'il a d'autres projets, mais pas seulement. L'activité a bien fonctionné pendant une dizaine d'années. Mais depuis la crise sanitaire, il a noté un recul sensible de l'activité. En bref, les habitants de la presqu'île semblent se détourner du bricolage. "Je sais qu'aujourd'hui, il faut redynamiser l'activité et pour cela changer de concept. Les gens bricolent de moins en moins, à part des passionnés. Ce n'est plus une activité quotidienne," assure le commerçant.
Les gens ne veulent plus se salir les mains ? Des produits trop coûteux dans une petite enseigne par rapport aux mastodontes du secteur ? Pas vraiment concernant ce commerce proximité. Morgan Gresset l'assure, il n'est pas plus cher qu'une grande surface. "Je me suis toujours battu pour rester en centre-ville et conserver de bons prix. Mais le marché a changé".
Ce changement d'habitudes, il l'explique notamment par une gentrification du centre-ville de Lyon. "La population a évolué. Les nouveaux arrivants ont un niveau de vie bien plus élevé qu'avant. Restent quelques propriétaires anciens. Moi, j'ai perdu toute la classe moyenne. Les actifs qui s'installent, les familles avec des enfants, aujourd'hui, ne peuvent pas se payer le centre-ville. Il y a eu un exode périurbain avec le Covid. Moi, je ne peux pas les suivre. J'ai perdu une grosse partie de ma clientèle", confie Morgan Gresset. La baisse d'activité a même contraint ce dernier à se séparer de son salarié, embauché il y a sept ans.
Ses confrères commerçants se sont aussi faits plus rares dans sa boutique, question de trésorerie. Quant aux artisans, ils désertent le centre-ville à cause du coût du stationnement ou des PV. "Ils viennent de moins en moins en ville (..) ils préfèrent bosser à l'extérieur, c'est plus simple pour eux, ils perdent moins d'argent et de temps. Je les perds aussi !", ajoute le quincaillier. Quant aux plus jeunes générations, elles boudent le bricolage et les conseils du quincaillier. Morgan Gresset en est persuadé, "vider un siphon, changer un joint ou un interrupteur, il faut aller vers le service à la personne Tout le monde serait demandeur pour ces choses basiques. Le marché a changé".
Avec Arnaud Delayre et Daniel Pajonk.