COVID-19. Le personnel soignant face à "une forme d'épuisement professionnel ou de burn-out généralisé"

Alors que le pic de la 2e vague semble être derrière nous, le Professeur Jean-Luc Fellahi, anéstésisthe et chef de service aux Hospices Civils de Lyon, s'inquiète de l'état d'épuisement du personnel soignant. Un état à prendre très au sérieux, surtout dans l'hypothèse d'une 3e vague de la Covid-19.

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Le Professeur Jean-Luc Fellahi dirige le service d'anesthésie-réanimation de l'hôpital Louis Pradel, l'hôpital cardiologique aux Hospices civils de Lyon. Alors que la région Auvergne-Rhône-Alpes a subi de plein fouet la deuxième vague de la pandémie de la Covid-19 qui touche la France depuis le début de l'automne, le médecin estime probable l'arrivée d'une troisième salve dans quelques semaines. Une vague qui sera sans doute plus difficile encore à surmonter par le personnel médical déjà sérieusement mis à contribution, voire éreinté, par les deux premières. 

Alors que la première vague avait vu un pic de 3 055 hospitalisations en Auvergne-Rhône-Alpes (13 avril), celle de l'automne a été sans commune mesure sur le territoire régional. En effet, 7 125 malades de la Covid-19 étaient hospitalisés le 16 novembre, date qui semble correspondre au pic puisque, depuis, le nombre est repassé sous la barre des 6 000.


Question : Nous sommes confrontés à une crise sanitaire sans précédent, en tout cas dans l'ère moderne. En tant que médecin, est-on préparé à affronter ce genre de situation dans cette extrême-là ?
Professeur Jean-Luc Fellahi : Vous avez raison, elle est sans précédent parce que la dernière crise équivalente, en Europe en tout cas, c'était il y a un siècle avec la grippe espagnole, et la réanimation n'existait pas à l'époque. Donc, du coup, la réponse est non, on n'a pas de précédent et on n'est jamais vraiment préparé. D'ailleurs, est-ce qu'on est préparé de manière générale à ce qui nous arrive dans l'existence, je ne suis pas très sûr. On essaye d'avoir toujours un coup d'avance pour ne pas être débordé. Et on a évidemment appris de la première vague, ce qui nous a permis de mieux gérer la seconde alors qu'elle était d'une ampleur inégalée, en tout cas en Auvergne Rhône-Alpes, de ne pas boire la tasse si on peut dire.

Comment dans votre situation, face à ce quotidien, on arrive à faire en sorte que l'homme et le médecin se parle ? Le médecin prend-il le pas sur l'homme ? Est-ce l'inverse ?
J'ai envie de vous dire en médecine, la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle, elle est floue et puis, surtout, elle est poreuse. Finalement, que ce soit dans le contexte d'une crise sanitaire ou que ça soit dans le le quotidien d'un réanimateur, ça fait pas tellement de différence parce que ces malades-là sont graves, en tout cas ceux que nous on prend en réanimation, mais les patients graves, c'est notre quotidien, la mort, on la côtoie quotidiennement tout au long de l'année pour les équipes qui travaillent dans ce type de service. On fait comme on peut, je dirais, avec plus ou moins de réussite et, selon les moments, je crois que c'est important d'être épaulé. Lorsqu'on est bien dans sa dans sa vie, dans sa tête, et qu'on est bien entouré, c'est probablement plus facile d'absorber tout ce qui se passe.Il s'en passe des choses dans un service de réanimation sur une année.

Il y a une forme d'épuisement professionnel ou de burn-out qui est un peu généralisé.

Est-ce qu'on est affecté malgré tout par ce qu'on voit ? Ou est-ce qu'on essaie de ne pas le voir ? Comment gère-ton la mort au quotidien ?
Les  deux... Bien sûr qu'on l'est... On l'est en tant qu'être humain. En même temps, avec le temps et l'expérience, on apprend à se blinder un peu parce que, sinon, ça ne serait pas tenable dans la durée. Après, encore une fois, on fait du mieux qu'on peut. Dans notre société moderne, je me demande souvent qui côtoie encore quotidiennement la mort, à part peut-être les anesthésistes-réanimateurs, les cancérologues, parce que même pas tous les médecins je pense, y sont confrontés. Ça dépend beaucoup de la discipline et du mode d'exercice. Et puis en dehors de ça, on a sorti, je pense, la mort et tout ce qu'elle comporte du quotidien de la plupart des gens, ce qui fait qu'on est moins préparé qu'on pouvait l'être à une certaine époque. Nous, on vit avec.

On a le sentiment, en tout cas les témoignages qu'on entend ou lit ici où là nous laissent penser que le personnel soignant dans son son entité globale a été particulièrement affectée par cette crise. Des failles se sont révélées. C'est le sentiment que vous avez vous aussi de l'intérieur, ce sentiment d'un burn-out global ?
C'est complètement vrai ça. Sur la première vague, il y a eu énormément de générosité, beaucoup de solidarité, parce que, justement, c'était quelque chose d'inédit et tout le monde s'est attelé à surmonter cet épisode qui était difficile. Personne n'était réellement prêt à replonger, moi le premier d'ailleurs, à l'issue des vacances d'été. Et puis, il a bien fallu. Malheureusement, la deuxième vague a été pire que la première et, aujourd'hui, au moment même où le pic épidémique est passé, et où on a amorcé une lente décroissance qui va prendre plusieurs semaines, parce qu'il va falloir au moins deux à trois mois pour vider nos réanimation de ces derniers patients Covid, l'ensemble du personnel médical, non médical, accuse le coup. Il y a comme vous dites une forme d'épuisement professionnel ou de burn-out qui est un peu généralisé. C'est vrai.

Et ça vous inquiète pour l'après ?
Oui, ça m'inquiète pour l'après parce que les prévisions sont toujours difficiles, mais raisonnablement, on peut quand même s'attendre à une troisième vague. Je pense qu'elle est vraisemblable. La résilience, c'est vraiment le mot clé pour cette année 2020, mais je crois qu'il va falloir en faire preuve encore en 2021. Et qu'on le veuille ou non, parce que c'est notre métier, parce que c'est ce qu'on a choisi de faire, il faudra affronter possiblement une troisième vague. 

La résilience, c'est vraiment le mot clé pour cette année 2020, mais je crois qu'il va falloir en faire preuve encore en 2021.


Est-ce que vous pensez que cette crise sanitaire peut avoir un effet aussi sur la vocation de certains à devenir médecin ou infirmier ? Est-ce qu'il peut y avoir une crise dans la vocation dans quelques mois, quelques années, un risque qu'on se retrouve peut-être avec des difficultés pour remplir les écoles ?
Ou dans l'autre sens finalement, parce que, évidemment, cette crise sans précédent met les professions de santé en lumière. Et j'entends aussi des jeunes dans mon entourage qui n'avait peut-être pas forcément songé à faire des études en santé et qui, du coup, se posent la question, sont curieux, ou ont envie de devenir voir. Donc, ça peut marcher dans les deux sens. Alors, oui, ça peut aussi décourager peut-être des gens à venir, et même des gens qui étaient des professionnels ont déjà arrêté d'ailleurs pour faire complètement autre chose. Après, vous savez, d'une manière générale, la durée de vie, si on peut dire ça comme ça, d'une infirmière de réanimation, c'est assez court. Leurs carrières durent généralement moins de 10 ans, ils ou elles sont passés à autre chose. Ce qui montre bien à quel point ce n'est pas facile malgré tout.

Est-ce que l'homme que vous êtes, le médecin que vous êtes, a changé entre ce qu'il était avant cette crise et aujourd'hui ?
C'est une question difficile, peut-être que ce n'est pas à moi qu'il faudrait la poser mais à ma femme et à mes enfants. J'ai envie de vous dire non. Je ne crois pas fondamentalement parce que, dans ma carrière, j'ai eu l'occasion de gérer d'autres crises différentes à travers les expériences que j'ai eues en médecine humanitaire dans des pays d'Afrique extrêmement défavorisées, le Burkina Faso en l'occurrence, et puis, la gestion qu'on peut avoir de la traumatologie grave en réanimation, qui touche de manière brutale des gens qui ne sont pas malades au départ. Donc non, je ne pense pas fondamentalement. On savait quelque part que ça pouvait arriver ou que ça arriverait un jour et puis, voilà, c'est arrivé. On y est. On est surtout concentré vers l'avenir à court terme et la façon dont on va pouvoir collectivement se sortir de ça, et non pas revenir à la situation d'avant. Je suis pas sûr qu'on y reviendra, mais revenir à une situation plus saine et plus simple qui ressemblera à ce qu'on aime. 
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