Plus d'une centaine d'associations féministes appelaient à se mobiliser partout en France contre l'extrême droite, le dimanche 23 juin, dénonçant son "immense obsession" à "casser les droits et libertés" notamment des femmes. Des féministes qui ne parlent pas forcément aujourd'hui d'une seule et même voix.
"Alertes féministes contre l'extrême droite": des dizaines de milliers de personnes ont défilé le dimanche 23 juin en France pour dénoncer le "danger" pour les droits des femmes que représenterait une victoire du RN, à une semaine des législatives. Ces associations appellent à faire barrage au parti de Marine Le Pen lors des prochaines élections.
Mais ces élections législatives anticipées ont plus que jamais mis l'accent sur les divisions dans les rangs des associations féministes. Ainsi, pas de participation de l'association "Regards de Femmes" à ce rassemblement. Pas de signature non plus de l'appel qui a suivi la dissolution de l'Assemblée nationale. Explications.
"Alerte féministe", la manifestation lyonnaise
Croisées dans le rassemblement lyonnais ce dimanche, Annie et Régine, deux manifestantes aux cheveux blancs. Elles ont encore bien à l'esprit le début des années 70, juste avant l'autorisation de l'IVG. "Ça fait longtemps qu'on vote contre eux. Après toutes ces luttes, et on a lutté pendant des années et des années pour obtenir un minimum de droits, je trouve incompréhensible, Que ce soit remis en cause en l'espace d'un instant...pour moi, c'est incompréhensible que les gens réagissent de cette façon," se navre Régine. "Nous, on a connu l'époque de Simone Veil, même si on n'était pas de son bord, elle a fait quelque chose d'extraordinaire. Ça nous fait peur", rétorque Annie.
C'est incompréhensible et inadmissible. Je serais prête à faire n'importe quoi pour qu'on ne revienne pas en arrière.
Réginemanifestante lyonnaise
Des femmes prêtes à tout pour conserver leurs acquis sur fond de sirène d'alerte. Elles ont retenti durant la manifestation lyonnaise. À Lyon, dimanche dernier, près de 3000 personnes étaient présentes sur la place des Terreaux pour dire non au Rassemblement National. #NousToutes 69, le collectif Droit des Femmes et de nombreuses autres associations sont venues protester sous les fenêtres de l'Hôtel de Ville. Les slogans trahissent les inquiétudes d'un "retour en arrière" des droits des femmes et des autres minorités. Pour preuve, les slogans appelant au "respect de la différence".
"Féminisme de façade"
À Lyon, Paris et dans d'autres villes de France, dans les cortèges, les associations féministes, syndicats et ONG ont dénoncé le "féminisme de façade" de l'extrême droite. Quelques jours auparavant, dans une vidéo sur les réseaux sociaux adressée à "toutes les femmes de France", son président Jordan Bardella a accusé "l'extrême gauche" de "s'arroger le monopole des droits des femmes".
La réponse des manifestantes est cinglante. "On n'est pas dupe, cette réappropriation du féminisme est révoltante. On sait que l'extrême droite, ce sont des idées qui mettent en danger les droits des femmes et des minorités en général," explique Louise, une jeune manifestante lyonnaise. À une semaine du premier tour, elle avoue "un mélange de colère et de désespoir". Cette dernière est venue aussi manifester pour défendre ses convictions et elle lâche :
Le féminisme, c'est la lutte pour les droits des femmes mais aussi pour minorités et des minorités racisée.
Louisemanifestante lyonnaise
"Le discours de Bardella est tiré du collectif Némésis, un collectif féminin d'extrême droite qui relie les violences sexistes et sexuelles à l'immigration (...) Rappelons que l'extrême droite est un danger pour les femmes et les minorités de genre et on figurerait parmi les premières victimes", martèle Charlène, militante du collectif #NousToutes 69 et Les Arpenteureuses Urbaines.
"Incompréhensible"
Parmi les associations manquant à l'appel ce dimanche, Regards de Femmes. Michèle Vianès, cofondatrice et présidente de cette ONG lyonnaise, ne cache pourtant pas son inquiétude non plus dans un entretien, deux jours avant cet appel à manifestation. Une inquiétude teintée d'incompréhension.
Revenant sur le vote des femmes lors de ces dernières européennes, le constat est sans appel mais sans explication aussi. "Ces dernières années, le vote des femmes est analogue à celui des hommes. Sauf en ce qui concerne l'extrême droite. Aux Européennes, le RN a recueilli 32% des suffrages des électrices, alors qu'avant elles étaient plus hostiles," constate cette républicaine. "On s'interroge, vu les prises de position des élus du RN sur les droits des femmes". Un parti qu'elle juge aussi "peu émancipateur" pour la gent féminine.
Mais Michèle Vianès souligne que pour LFI comme pour le RN, ce sont des femmes jeunes, de moins de 35 ans, qui constituent la plus grande part de leur électorat féminin. "Après, c'est la dégringolade : elles étaient 3%, âgées de plus de 64 ans à voter pour LFI. Et, c'est la même chose chez le RN", indique-t-elle à titre d'exemple, sans avancer d'explications. "Vote passionnel ? Ras-le-bol ? On cherche les raisons mais c'est incompréhensible".
Droits des minorités
À une semaine du premier tour des élections législatives anticipées, des femmes de tous âges s’interrogeaient sur leurs droits en cas de victoire du Rassemblement National. Que faut-il redouter à l'issue de ces élections législatives anticipées ? "Moi j'ai peur par rapport au droit à l'avortement. On a des exemples en Pologne, en Italie, c'est un droit qui est remis en question", explique Louise, la jeune manifestante croisée ce dimanche place des Terreaux.
"Le droit à l'IVG est à présent inscrit dans la Constitution", n'a pas manqué de souligner Michèle Vianès. Une garantie ? Insuffisant visiblement pour les associations féministes qui manifestaient dimanche. Ces membres s'inquiètent surtout de potentielles coupes budgétaires en cas d'élection du RN. Avec à la clé : une atteinte au droit à l'IVG, bien qu'il soit "constitutionnalisé" en raison d'un manque de moyens. Elles redoutent aussi une atteinte aux droits des "minorités de genre". "On ne pourrait plus accompagner les personnes victimes de violences, les personnes qui vivent des transitions", résume à titre d'exemple, Charlène, militante du collectif #NousToutes 69.
Laura, militante écologiste et membre du collectif Droits des Femmes 69 venue manifester, ne cache pas sa crainte. "J'ai la trouille en tant que femme, j'ai très peur de à quoi va ressembler le 8 juillet (...) ma solution c'est d'essayer de me mobiliser (...) j'ai envie de me mobiliser pour que ça n'arrive pas, j'ai envie de faire des actions tous les jours pour inciter à gens à aller voter, à tenir des bureaux de vote, à distribuer des tracts de campagne... ", assure la jeune femme qui évoque "un horizon effrayant".
Laïcité en péril
Pour Michèle Vianès, ce sont les menaces pesant sur la laïcité qui sont aujourd'hui un pesant sujet de préoccupation. "La laïcité, c'est un outil d'émancipation face aux extrémistes religieux", rappelle fermement l'ancienne conseillère municipale à l'égalité hommes/femmes de Caluire. Une position farouchement défendue.
L’accusation d'être d'extrême droite est proférée à tout bout de champ, sitôt que l'on défend la laïcité.
Michèle Vianès
Malgré des combats communs, les féministes "universalistes", militantes historiques prônant la laïcité, se sentent aujourd'hui renvoyées par la nouvelle garde dans les rangs de l'extrême droite. Une "relégation" particulièrement mal vécue. "Être laïc, c'est être d'extrême droite", ironise Michèle Vianès, dénonçant un raccourci intellectuel. Elle fustige les positions radicales de certaines militantes de la cause des femmes. Sans les nommer, cette dernière pointe notamment du doigt à des associations qui "sous prétexte de modernité effacent les femmes".
Malaise et fracture
Amalgames idéologiques et prises de position parfois confuses. Les effets sont dévastateurs, avant tout pour les femmes d'après la cofondatrice de Regards de Femmes. "On rencontre des femmes qui sont mal à l'aise, qui ne savent plus où se positionner et disent ne plus être écoutées. Des femmes qui sont désorientées," assure Michèle Vianès. Son association voit débarquer de nouvelles adhérentes "qui ne se retrouvent pas dans ces mouvements qui font le buzz".
"Je crois qu'il y a une angoisse pour les jeunes à être femme. Et on va se retrouver face à des problèmes énormes : des réactions extrêmes ou des abandons," prédit la fervente républicaine lyonnaise. "Certaines femmes se diront peut-être que ce qu'ont fait leurs mères n'a pas donné de résultats, qu'il vaut mieux rester chez soi... C'est un discours qu'on entend aussi et on tente d'y répondre. Mais il est parfois plus simple de se laisser porter que de réagir", déplore la combative Michèle Vianès. Cette militante de la défense de la laïcité dénonce en filigrane une perte d'énergie.
Au lieu de faire avancer les droits des femmes, on doit se battre sur des combats gagnés par nos mères !
Michèle Vianès
Pour elle, les voix qui s'expriment sur les réseaux sociaux sont bel et bien une partie du problème. N'y prospèrent que "des voix extrémistes qui font le buzz", des "discours qui fracturent" au lieu de rassembler. Les voix des modérés, tout autant acteurs des combats pour les droits fondamentaux des femmes, apparaissent aujourd'hui bien faibles, voire inaudibles. Alors faire du bruit, une solution ?
Voter : un acte "fondamental"
Comme les militantes féministes des autres courants, la présidente de Regards de Femmes appelle à voter lors des législatives. "C'est fondamental. Notamment parce que dans certains pays, des femmes ne peuvent pas le faire". "Le scrutin comporte deux tours et c'est la force de la 5e République et de la Constitution," rappelle Michèle Vianès. Pas de consigne de vote mais du bon sens.
Il faut se poser la question : qui défend réellement les droits des femmes ? Quels sont les mouvements émancipateurs ? Il faut continuer à se battre pour les droits des femmes. Voter pour le candidat le plus à même de les faire avancer.
Michèle Vianès
Des progrès, "des avancées très fortes", ont eu lieu cette dernière décennie, souligne-t-elle. Pour la militante, il ne faut pas hésiter à regarder dans le rétroviseur. L'ancienne conseillère municipale encourage néanmoins à voter au premier tour "pour les personnes qui partagent le plus ses convictions". La féministe humaniste dit regretter toutes ces alliances qui "empêchent d'avoir un réel choix". Elle renvoie aussi dos à dos les extrémistes de tous bords et de tous crins.
Agressions
Droit à l'avortement, lutte contre les violences, éducation, égalité hommes/femmes, lutte contre la pauvreté des femmes... "Regards de Femmes mène des combats concrets dans le monde entier. La France est un modèle à suivre mais l'arsenal juridique passe par perte et profits face aux discours excessifs", regrette Michèle Vianès. L'ONG a célébré son 25e anniversaire en 2023.
La campagne des législatives n'aura pas permis aux militantes d'enterrer la hache de guerre. L'association Regards de Femmes ne s'est pas associée à la marche du 23 juin. Sa fondatrice a notamment évoqué des agressions physiques survenues le 8 mars dernier ou encore le 25 novembre (journée internationale de lutte contre les violences faîtes aux femmes), contre des féministes universalistes. Une autre manifestation a été organisée ce même dimanche dans la capitale, avec d'autres mots d'ordre, comme le soutien aux Iraniennes et Afghanes à l'approche des JO.