Elle réclame l'extradition d'un prêtre accusé d'agressions sexuelles : une délégation inuite est attendue à Lyon

Une demande d'extradition du Canada visant le père Joannes Rivoire, 92 ans, soupçonné d'agressions sexuelles sur de jeunes Inuits, dans les années 60 et 70, place sa congrégation dans une situation délicate. Le sujet est au coeur de la prochaine visite d'une délégation d'Inuits en déplacement du 12 au 15 septembre, à Paris et Lyon, dans l'espoir d'obtenir justice.

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C'est aujourd'hui un nonagénaire qui vit dans une maison de retraite de Lyon et qui n'a jamais été inquiété. Le père Joannes Rivoire est visé par une demande d'extradition déposée début août par Ottowa. Ce dernier conteste toutes les accusations concernant des sévices commis sur des jeunes Inuits dans le Grand Nord canadien, pendant sa mission. Des abus qui remonteraient aux années 60, lorsqu'il était prêtre oblat au Nunavut.

Cette affaire est au cœur de la prochaine visite d'une délégation d'Inuits qui se déplacera du 12 au 15 septembre à Paris et Lyon dans l'espoir d'obtenir justice. 

Plaintes et demande d'extradition

Les six membres du groupe veulent faire pression et appuyer la demande d'extradition faite par le Canada. "Nous exhortons le président Macron, la Première ministre, madame Borne, et le ministre de la Justice à extrader monsieur Joannes Rivoire" a déclaré à la presse Aluki Kotierk, présidente de l'organisation Nunavut Tunngavik qui représente les Inuits de cette région du Nunavut.

"Les actes odieux de M. Rivoire ont hanté mon défunt père Marius", a également indiqué dans un communiqué Tanya Tungilik. La plainte déposée par son père contre le religieux avait conduit à un premier mandat d'arrêt entre 1998 et 2017 pour agressions sexuelles contre trois mineurs. Elle fera partie de la délégation qui doit se rendre en France.

Le père Rivoire fait de nouveau l'objet d'un mandat d'arrêt au Canada depuis février, après le dépôt d'une nouvelle plainte, en septembre, pour une agression sexuelle survenue il y a environ 47 ans.  

" un paquet empoisonné"

L'ecclésiastique, aujourd'hui âgé de 92 ans, est soupçonné d'agressions sexuelles sur des jeunes Inuits entre 1968 et 1970. Le nonagénaire appartient à la congrégation des Oblats de Marie-Immaculée (OMI), dont le siège français se trouve sur les hauteurs de Lyon. Cette congrégation religieuse se retrouve aujourd'hui dans une situation délicate: contrainte "d'assumer" cet héritage encombrant. Elle réfute vigoureusement l'avoir "dissimulé". Pour le  provincial Vincent Gruber, qui fait office de responsable national, l'affaire Rivoire, "c'est un paquet empoisonné".

L'ordre comptant 3700 missionnaires dans le monde, dont 87 en France, dit n'avoir été informé qu'en 2013 de l'existence du premier mandat d'arrêt délivré contre lui en 1998 au Canada. Pourquoi et comment, cette congrégation a-t-elle pu ne rien savoir pendant toutes ces années? 

"C'est incompréhensible, insensé... Il y a eu des dysfonctionnements inexcusables. Nous n'avons eu aucun document chez les Oblats du Canada. Le gouvernement français n'a pas cherché non plus à informer les oblats en France. A moins que quelqu'un l'ait su et ne l'ait pas dit... ", assure Vincent Gruber.  "Cela crée la situation d'aujourd'hui, avec le temps qui presse et des victimes face au vide. Tout aurait dû être réglé dès 98!", déplore le responsable, en poste depuis 2014. 

La protection de l'ordre ?

Vincent Gruber sait que cette "situation" expose sa congrégation aux critiques, comme celles de François Devaux, cofondateur de l'association La Parole libérée, aujourd'hui dissoute mais à l'origine de deux procédures pour abus sexuels qui ont ébranlé l'Église de France : les affaires Preynat et Barbarin.

Personne ne s'est posé la question sur son arrivée à Lyon en catastrophe en 1993?

François Devaux

co-fondateur de la Parole Libérée

L'Ordre a "trop protégé" Rivoire, "ceux qui devaient savoir savaient que des questions sérieuses se posaient sur lui", avance François Devaux. Les Inuits l'ont contacté pour préparer leur visite à Lyon. Et de lancer: "personne ne s'est posé la question sur son arrivée à Lyon en catastrophe en 1993?", au moment où deux premières plaintes sont déposées contre lui.

Dans un mail récent à Vincent Gruber, Kilikvak Kabloona, une représentante inuite, assure qu'en 1993 l'évêque du diocèse de Churchill-Baie-d'Hudson dont dépendait Joannes Rivoire avait été informé de ces plaintes. Et que, "peu de temps après", le missionnaire s'est enfui "avec seulement un sac à dos, probablement sous les instructions" de l'évêque, "afin d'éviter toute publicité négative" aux oblats.

"Je sais que dans l'Église, des gens ont caché, tu, couvert, exfiltré" des auteurs de crimes sexuels, "mais, que l'on nous croie ou pas, nous n'avons jamais fait ça!", plaide le père Vincent Gruber. 

Retour à Lyon ou fuite ?

En 1993, après 33 ans de terrain, le père Rivoire a quitté le Grand Nord pour Lyon, officiellement pour s'occuper temporairement de ses parents. Il n'y retournera jamais. Il rejoint ensuite le site de Notre-Dame-des-Lumières, dans le Vaucluse, de 1993 à 2015, et y "fait principalement du jardinage", selon Vincent Gruber.

Il est transféré à Strasbourg en 2015, dans une "maison de seniors" gérée par l'OMI. Il est placé "sous surveillance" lorsque les oblats apprennent qu'il est recherché : "il reste sur notre radar", assure Vincent Gruber et un signalement est fait au parquet de Strasbourg. Le religieux revient à Lyon en 2021 pour des raisons de santé et de convenance personnelle, dans un Ehpad du quartier de la Croix-Rousse. 

On ne peut pas le ligoter et le mettre dans l'avion!

Vincent Gruber

responsable national des Oblats

"On ne peut pas le ligoter et le mettre dans l'avion!", lance le responsable national des Oblats qui soutient la demande d'extradition. "Il a toujours réfuté", souligne-t-il en assurant l'avoir plusieurs fois exhorté à "aller affronter la justice au Canada". 

Le vieil homme "conteste énergiquement les faits" et estime "n'avoir de comptes à rendre à quiconque", selon son avocat, Me Thierry Dumoulin. Le père Rivoire a refusé de rencontrer la délégation d'Inuits, comprenant une de ses victimes présumées. Le père Gruber, lui, recevra le groupe le 14 septembre: "on croit ce que nous disent les Inuits" et "c'est ce qu'on leur dira".

Pèlerinage pénitentiel... 

"Par ses actions, M. Rivoire nous a condamnés à souffrir toute notre vie", a expliqué Tanya Tungilik, qui a expliqué avoir évoqué l'histoire de son père et de sa famille avec le pape François lors de son voyage au Canada en juillet.

Dans le Grand Nord canadien, cette affaire est vue par beaucoup comme le symbole de l'impunité des agresseurs sexuels au sein de l'Église catholique, surtout depuis le récent "pèlerinage pénitentiel" du pape François au Canada, centré sur les violences perpétrées dans les pensionnats autochtones.

Le Canada et la France partagent bien un traité d'extradition, mais celui-ci n'oblige aucun des deux pays à extrader ses propres citoyens.

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