Polluants éternels : enquête sur les PFAS dans le sud de Lyon, l'Etat rassure, les scientifiques s'inquiètent

En mai dernier, une enquête journalistique dénonçait une pollution aux perfluorés au sud de Lyon. Six mois plus tard, les services de l’État confirment et demandent à l'industriel Arkema d’arrêter l’utilisation de ces molécules avant la fin 2024. D’ici là, que risquent les habitants concernés ? Que pensent les scientifiques de ces résultats ? Faut-il continuer de boire l’eau du robinet ?

C’est un dossier compliqué. Un dossier qui traite de chimie, de molécules au nom barbare et de seuils de toxicité. De quoi en décourager plus d’un. Et pourtant, sur le fond, c’est bien une question de santé publique. Que risque-t-on à respirer l’air de Pierre-Bénite ? Que risque-t-on à boire l’eau du robinet lorsqu’on habite au sud de Lyon ?

Et qui dit dossier compliqué, dit réponse compliquée.

Pourtant, depuis que l’émission Envoyé Spécial a révélé en mai dernier une pollution aux perfluorés au niveau de la plateforme industrielle de Pierre-Bénite, dans le Rhône, ce sont les questions qui agitent les pouvoirs publics, les élus, les riverains et les associations…

340 kg de PFAS dans l’eau en un seul mois

Pour y répondre, première difficulté : évaluer l’ampleur de la pollution. La préfecture a donc exigé d’Arkema et de Daikin, les deux entreprises installées sur la plateforme, une surveillance journalière de leurs émissions. Dans l’air, dans le sol et dans l’eau. Le directeur d’Arkema se plie aux exigences depuis le mois de juin. « Ça ce sont les capteurs d’air », explique Pierre Clousier en désignant une sorte de petite soucoupe volante dont la silhouette se fond aisément dans l’architecture industrielle. « Il y a une éponge à l’intérieur, qui va absorber l’air ambiant et comme les débits sont relativement faibles, il faut un temps d’exposition important, donc on va devoir laisser ses prises d’échantillons pendant au moins trois mois ». Arkema a été contrainte d’installer une vingtaine de capteurs dans un rayon d’un kilomètre autour de l’usine.

Nous on se base sur la fiche de sécurité qui est fournie par le fabricant et on applique ce qu’il y a dans cette fiche 

Pierre Clousier, directeur Arkema

En attendant les résultats sur l’air et sur le sol prévus pour la mi-novembre, Arkema a aussi pour obligation de faire analyser ses eaux usées. «Un préleveur pompe en continue dans les effluents, c’est-à-dire dans les eaux traitées avant rejet dans le Rhône. On remplit un bidon par 24h avant de l’envoyer au laboratoire pour analyse ».

Et les premiers résultats sur l’eau viennent d’être publiés par les autorités. Arkema rejette entre 200 et 340 kg de 6 :2 FTS, un PFAS nouvelle génération, directement dans le fleuve. Pour Pierre Clousier, ce n’est pas une surprise. « Aujourd’hui, il n’y a pas de norme, donc nous on l’utilise… Par contre, on va réduire nos rejets », promet le dirigeant. « Cette molécule n’a pas le même profil éco-toxicologique que les perfluorés à chaine longues, elle est moins persistante et non bioaccumulable ».

La nappe phréatique contaminée

 En ce qui concerne les eaux souterraines, la pollution est significative et assez hétérogène

Dreal Auvergne Rhône-Alpes

Problème : une fois dans l’eau, la molécule se dégrade en d’autres composés – toxiques, ceux-là - et se retrouve dans la nappe d’accompagnement du Rhône.

« En ce qui concerne les eaux souterraines, la pollution est significative et assez hétérogène », explique la direction de l’environnement, la DREAL Auvergne Rhône-Alpes, tout en essayant de se montrer rassurante. « 300 à 340 kilos, ça paraît beaucoup, mais une fois dilué dans le Rhône, ça donne des teneurs extrêmement faibles, on parle de millionième de grammes, donc c'est très difficile de dire ce qui est dangereux et ce qui ne l’est pas… », ajoute Jean-Phillipe Deneuvy, le directeur de la DREAL.

Les poissons, selon des résultats qui viennent d'être dévoilés par les autorités, présentent également des taux inquiétants de PFAS, et en particulier du PFOS. Des résultats allant jusqu'à 110 microgrammes par kilo et qui dépassent les teneurs maximales prévues dans le futur règlement européen sur les denrées alimentaires 

Mais là où l’affaire se complique –encore- c’est qu’on peut clairement distinguer deux types de pollution. Une pollution plutôt récente, avec notamment le 6 :2 FTS, utilisé depuis 2016 seulement. Et une autre, plus ancienne. « On suppose, sans avoir beaucoup de chance de se tromper, que l'origine de ce qu'on trouve sous la nappe de la plateforme industrielle est aussi liée aux utilisations passées qui ont été faites de ces molécules et notamment d’une substance assez préoccupante qui s'appelle le PFOA ».

Le PFOA. Interdit depuis 2020. Hautement toxique, cancérigène et connu pour l’important scandale qu’il a provoqué aux USA, le scandale Téflon, sujet du film Dark Waters, sorti en 2019. Et même si sa présence dans les eaux est relativement « faible » selon la DREAL, « c'est effectivement un sujet de préoccupation ».

L’eau potable d’une centaine de communes touchées soit 200 000 habitants

Préoccupant, parce que c’est précisément dans la nappe phréatique du Rhône que l’on pompe l’eau potable d’une centaine de communes, au sud de Lyon. Ces molécules – les jeunes et les moins jeunes – on les retrouve donc au robinet d’au moins 200 000 habitants. A Ternay, Communay, Chasse-sur-Rhône, Grigny et dans une vingtaine d’autres communes, les taux dépassent même les moyennes nationales. Entre 100 et 197 ng/L pour la somme de 20 PFAS (découvrir les résultats ville par ville).

Et s’ils sont moins élevés que ceux dévoilés par l’enquête d’Envoyé Spécial, ces taux restent au-dessus de la future norme européenne. Appliquée en 2026, elle limitera la présence des PFAS les plus toxiques à 100 ng/L.

Les molécules les plus présentes dans l’eau potable ne sont pas les plus préoccupantes

Marielle Schmitt, Agence Régionale de la Santé

« On peut parler de pollution trop importante, clairement, et nécessitant que les pouvoirs publics prennent des mesures pour la réduire », affirme Marielle Schmitt, responsable du pôle santé publique à l’Agence Régionale de Santé Auvergne-Rhône-Alpes. Mais d’une pollution, inquiétante ? Non, on ne préfère pas. « Il n’y a pas de valeur toxicologique de référence qui permette de dire, à partir de ce seuil, c’est dangereux », affirme encore Marielle Schmitt. « Nous ne sommes donc pas inquiets, car les molécules les plus présentes dans l’eau potable ne sont pas les plus préoccupantes ». L’ARS n’a d’ailleurs imposé aucune restriction concernant l’eau du robinet et continue d’assurer que l’eau reste parfaitement potable en l’état.

Les PFAS sont les substances les plus toxiques jamais crées par l’Homme, elles sont industrielles, donc notre corps n’a pas les défenses naturelles pour lutter contre elles

Philippe Grandjean, professeur de santé environnementale à la Harvard TH Chan School of Public Health.

Une affirmation que ne partage pas l’ensemble de la communauté scientifique. « Nous avons fait un survol des teneurs dans l’eau potable au Québec et sur plus de 400 échantillons à travers le monde, et nous avons une seule occurrence qui dépasse les 100 ng/L pour la somme des PFAS », rapporte Sébastien Sauvé, professeur en chimie environnementale à l’Université de Montréal, au Canada.  

« Les PFAS sont les substances les plus toxiques jamais crées par l’Homme, elles sont industrielles, donc notre corps n’a pas les défenses naturelles pour lutter contre elles. On ne connait pas exactement le seuil de toxicité, c’est vrai, mais on sait que ces molécules s’accumulent dans le corps, dans le sang, dans les organes et qu’on ne peut pas s’en débarrasser », ajoute Philippe Grandjean, professeur de santé environnementale à la Harvard TH Chan School of Public Health.

Quels sont les risques ?

Car c’est la deuxième difficulté, évidemment : évaluer le risque sanitaire. Cancer du rein, cancer des testicules, colite ulcéreuse, cholestérol, la liste des maladies que les PFAS pourraient provoquer est longue et inquiétante. Ces molécules sont également suspectées d’interférer avec tous les systèmes endocriniens (dysfonctionnement de la thyroïde, diabète…).

« Une fois accumulées dans le corps, les femmes enceintes transmettent ces molécules à leurs enfants pendant la grossesse et puis par l’allaitement. Le nouveau-né pourrait alors se retrouver avec des taux dans le sang dix fois supérieurs à ceux de sa mère », explique Philippe Grandjean.

Le risque principal, c’est que les enfants puissent attraper plus de maladies par la suite ou qu’ils ne répondent pas aussi bien aux vaccinations

Jacob de Boer, expert en PFAS et professeur de chimie à la Vrije Universiteit of Amsterdam.

Des molécules très toxiques, donc, surtout pour les bébés et les enfants. Avec un effet important sur le système immunitaire. « Le risque principal, c’est que les enfants puissent attraper plus de maladies par la suite ou qu’ils ne répondent pas aussi bien aux vaccinations » raconte Jacob de Boer, expert en PFAS et professeur de chimie à la Vrije Universiteit of Amsterdam.

Et s’il n’existe pas de seuil à partir duquel on peut affirmer que l’exposition aux PFAS devient dangereuse, il existe néanmoins de plus en plus de recommandations, émanant de scientifiques, de rapports mais aussi de différentes autorités. En Europe par exemple, l’EFSA a établi une zone hebdomadaire tolérable (DHT) de 4,4 ng par kilo de poids corporel et par semaine (pour la somme de 4 PFAS).

Et après analyse des résultats détaillés fournis par l’ARS, et avec l’aide d’une calculatrice, il est facile de constater que dans le sud de Lyon, cette recommandation est difficile respectable. En effet, un bébé qui pèse dix kilos et qui boit l'eau polluée au sud de Lyon est trois fois plus exposé que la recommandation européenne, un enfant de 20 kg l'est deux fois plus (cf infrographie). Un adulte, lui, reste en dessous, mais cela sans prendre en compte toutes les autres sources d'exposition possibles (aliments, vêtements, emballages alimentaires...). 

 « Il faut par conséquent limiter notre exposition à ses molécules extrêmement toxiques le plus possible, c’est-à-dire aussi près de 0 que possible. On ne pourra jamais les éliminer totalement, car dans les dernière décennies, on a pollué toute la planète, mais il faut agir avec responsabilité et protéger au moins les populations les plus vulnérables, c’est-à-dire nos futures générations », estime Philippe Grandjean.

Faut-il continuer à boire l’eau potable ? 

C’est évidemment la question que tout le monde se pose. Car si les taux retrouvés dans le sud de Lyon sont cent fois moins importants que ceux retrouvés en Virginie (USA) ou dans le nord de l’Italie, ils dépassent la future norme européenne et les recommandations de l’UE.

Les scientifiques seraient donc d’avis d’appliquer le principe de précaution. « Je suis très embêté lorsque l’on me pose cette question, pour toutes les conséquences économiques et écologiques que cela peut avoir… Mais dans ce cas-ci, cela pose beaucoup de questions, les niveaux sont au-dessus de la norme et je serai plus enclin à trouver une alternative… », tente de répondre Sébastien Sauvé.

 « Plus on fait d’études, plus on trouve d’effets à des taux de plus en plus bas, et une grande partie de cette exposition vient de l’eau, particulièrement quand on habite dans une zone polluée comme au sud de Lyon », ajoute Philippe Grandjean.

Aux USA, les autorités viennent d’abaisser à nouveau seuils réglementaires dans l’eau potable. On parle désormais de 0,004 ng/L pour le PFOA et de 0,02 ng/L pour le PFOS. Des valeurs cent fois plus basses que celles retenues par l’Union Européenne.  

« Ces substances sont particulièrement dangereuses pour les enfants. Donc si ces enfants sont nourris au lait en poudre et à l’eau, il ne faut pas utiliser l’eau du robinet polluée, parce que le lait représente la grande partie de l’alimentation pour les tous petits, et donc, proportionnellement, ces enfants seraient beaucoup trop exposés à ces molécules, alors qu’ils sont par ailleurs bien plus vulnérables à leur toxicité que les adultes »,

Philippe Grandjean, toxicologue

 « Les PFAS n’ont pas une toxicité aigüe et immédiate, on parle d’impacts qui prennent du temps… », étoffe Sébastien Sauvé. C’est l’ingestion répétée et continue de ces substances qui devient problématique. « Une exposition élevée pour quelques jours, ou pour une fois ou deux par année, ça va… mais quand ça fait plusieurs années, et qu’il n’y a pas d’échéance pour régler le problème, les autorités devraient prendre les mesures nécessaires ».

Une pollution déjà connue par les autorités 

Les autorités, elles sont pourtant au courant de cette pollution depuis au moins dix ans. Une affaire qui fait grincer, du côté des scientifiques français qui avaient déjà donné l’alerte en 2011. 

 « Le vrai scandale, c’est la non utilisation des données par les pouvoirs publics, mais que font-ils ? », s’impatiente Pierre Labadie, spécialiste des polluants persistants au CNRS, lassé de prêcher dans le désert. En 2017, il participe à une étude confirmant la présence de perfluorés dans les poissons du Rhône. «  On parle de valeurs qui sont extrêmes, on parle de microgrammes, 360 microgrammes par litre, on ne voit jamais ça… », ajoute le scientifique, auteur d’une étude sur l’imprégnation de tous les cours d’eau français aux PFAS.

« A l’époque, déjà, on s’est rendu compte qu’il y avait une anomalie forte sur le Rhône, avec des endroits où il y avait des concentrations très élevées à l’aval de Lyon », explique Marc Babut, alors chercheur à l’INRAE.

En plus de cela, en 2009, alarmé par le récent scandale Téflon aux USA, l’Etat missionne l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation (ANSES) pour évaluer la présence de ces polluants perfluorés dans les eaux brutes de toute la France. Et cette dernière conclut que le réseau d’eau douce est contaminé, conseillant par ailleurs « de mettre en œuvre les moyens permettant de diminuer les concentrations en PFAS dans les eaux destinées à la consommation humains dans les meilleurs délais possibles » (avis de 2015).

A la suite de l'avis de l'ANSES, en 2015, la Direction régionale de l’environnement (Dreal) demande à Arkema de réaliser une campagne de mesure sur la faune et la flore. Mais dans un rapport d'inspection datant de 2017 , la Dreal note qu’Arkema n’a toujours pas donné suite à ses demandes d'analyses. 

Nous sommes en 2022.  « Jusqu’à présent, il n'y avait pas de référence scientifique qui permettait de dire que ce qu'on trouvait dans l'environnement posait un problème de santé publique. Ce qui a finalement fait bouger les lignes, c'est la future norme européenne sur l’eau, on est maintenant capable de dire si ce qu'on trouve dans l'environnement dépasse ou pas la norme et s’il y a ou pas un problème, mais seulement maintenant », explique le directeur de la DREAL.

Et la suite ?

Cette fois-ci, les autorités prennent donc les choses en main. En imposant d’abord une surveillance renforcée aux industriels, mais aussi en les sommant de réduire puis d’arrêter d’utiliser du 6 :2 FTS. « On n'est pas sûr que cette molécule ait un impact sur la santé, on pense même le contraire puisque jusqu'à présent, cette molécule n'a jamais fait l'objet de de de suspicion, mais malgré tout principe de précaution, on a pris un arrêté qui acte la sortie définitive de l'utilisation des PFAS par Arkema au 31 décembre 2024. Et dans moins de 6 mois, Arkema aura déjà dû réduire de 2/3 ses rejets de ces molécule », promet-on à la DREAL. 

Mais l'industriel avait déjà annoncé sa sortie progressive des PFAS, et les autorités n'ont fait que se caler sur son calendrier. « Sans attendre l’évolution des réglementations, le Groupe a développé une technique industrielle qui permet de fabriquer les produits de Pierre-Bénite sans aucun recours aux additifs fluorés. Cette transition est déjà en cours et s’achèvera fin 2024 », assure Pierre Clousier, le directeur du site de Pierre-Bénite. 

Une sage décision, selon Philippe Grandjean, car « il n’y a pas assez d’études sur les PFAS nouvelle génération, et il serait dangereux de supposer que ces molécules PFAS n’ont aucun effet toxique simplement parce qu’elles n’ont pas été assez étudiées ».

Mais est-ce suffisant ? Selon la DREAL, « à partir du moment où on va supprimer les rejets d’Arkema, on aura vraisemblablement un effet sur les teneurs en eau potable. En tout cas c'est l'hypothèse qui est la nôtre ». C’est oublier que ces molécules sont appelées « polluants éternels » et que toutes celles qui sont déjà présentes dans la nappe ont peu de chance de se volatiliser.

Mais avant de parler de solutions plus radicales ou de dépollution, extrêmement couteuse et difficile à mettre en œuvre sur une nappe phréatique aussi grande que celle qui concerne le Rhône, les pouvoirs publics souhaitent « comprendre pour agir ».

« Il va falloir multiplier les analyses, maintenir cette surveillance, pour accumuler les connaissances et nous donner plus de certitudes qu’une seule analyse qui peut varier en fonction du moment où on l’aura faite », explique Fréderic Le Louedec, responsable santé et environnement à l’ARS.

En attendant, une vingtaine d’associations ont porté plainte contre l’industriel Arkema. Elles militent pour l’interdiction totale de tous les PFAS, le plus tôt possible.

Spécial 19/20 France 3 Rhône-Alpes à suivre ce jeudi 20 octobre 2022, dès 19H.

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