Il y a quelques semaines, une émission d'Envoyé Spécial révélait une pollution aux perfluorés autour du site industriel de Pierre-Bénite, dans le Rhône... En conséquence, l'eau potable de nombreuses communes bien plus au sud est contaminée. Plus de 200 000 habitants sont concernés... Quelle est l'ampleur de cette pollution ? Quels sont les risques de ces "polluants éternels" pour la population ?
Il faut se méfier de l'eau qui dort. C'est ce que dit le proverbe. Comme de celle qui court sous le Rhône, discrète et silencieuse, et fait rarement parler d'elle.
Et pourtant, elle alimente les robinets de plusieurs centaines de milliers d’habitants.
Sur le champ de captant de Grigny, au sud de Lyon, on pompe l’eau directement dans la nappe d’accompagnement du Rhône. On peut l’apercevoir, au fond de l’un des puits de captage. Une eau claire, limpide. … « Elle vient du fleuve, elle se filtre dans les alluvions, et elle est naturellement potable, mais visiblement ils ne filtrent pas tout… », regrette Bernard Chaverot, président du SIEMLY. « En tout cas, pas les PFAS »…
L’eau de la nappe d’accompagnement du Rhône, polluée au sud de Lyon
Les PFAS, le président de ce syndicat de gestion et d’approvisionnement en eau potable, n’en avait jamais entendu parler. Et pourtant, elles sont présentes dans l’eau du Rhône. C’est ce qu’a révélé une enquête d’Envoyé Spécial, diffusée il y a plusieurs semaines.
« On fait tout pour avancer sur le sujet, parce qu’on veut savoir, mais sans affoler tout le monde et en gardant raison. Des molécules de toutes sortes, il y en a partout, il y en a tout le temps, il n’y en n’a pas que dans l’eau, il y en a dans les sols, il y en a dans l’air qu’on respire, dans tout ce qu’on mange, donc il faut rester très prudent »,
explique Thierry Vanel, l'élu en charge de la qualité des eaux au SIEMLY.
Ces molécules indestructibles, aussi appelés PFAS ou polluants éternels, sont encore peu connues en France. Et pourtant, elles sont très appréciées des industriels pour leurs propriétés antiadhésives, anti-inflammables, imperméables… Seules quelques entreprises fabriquent ces composés perfluorés. Le site d’Arkema, à Pierre-Bénite, près de Lyon, en fait partie...
Au sud de la plateforme, les quantités de PFAS analysées dans le fleuve par l’enquête d’Envoyé Spécial sont étonnement élevés. Une pollution qui se retrouve logiquement dans l’eau de la nappe, et puis dans l’eau du robinet.
A l'aval de l'usine, le captage de Ternay, juste en face de celui de Grigny, est lui aussi concerné. A eux deux, ils desservent une centaine de communes et plus de 220 000 habitants…
Des révélations qui suscitent de nombreuses questions…
Alors cette eau reste-t-elle potable ? Quels sont les risques ? Alors que les pouvoirs publics viennent de confirmer la présence de ces polluants dans l’eau potable de plusieurs communes, habitants et élus se posent de nombreuses questions.
« Qu’est-ce qu'on fait maintenant ? », interroge Xavier Odo, le maire de Grigny, qui vient de recevoir la confirmation des résultats par un laboratoire indépendant. Les mairies n’ont pas la compétence en eau potable, il est donc obligé de s’en remettre à l’Etat.
« Il y a des habitants qui vont me poser la question... Il faut qu’on les rassure, qu’on leur dise quel est le risque, si risque il y a, à quel niveau c’est acceptable ou pas acceptable, et surtout qu’est-ce qu’on va faire pour corriger cela ? »,
ajoute l’édile.
Car dans l'eau potable des communes concernées, on retrouve de 110 à 240 ng de PFAS par litre. Des mesures qui sont toutes au-dessus de la future norme européenne, de 100 ng/L, qui sera applicable en France à partir de 2026.
La préfecture assure cependant que l’eau reste tout à fait potable. Mais pour Sébastien Sauvé, professeur en chimie environnementale à l'Université de Montréal, ces mesures restent anormalement élevées. Il est l’auteur de nombreuses études sur ces molécules. « C’est étonnant que ce soit un journaliste qui identifie un problème dans l’eau potable qui est aussi exceptionnel, et qui bat tout ce que nous on a pu analyser dans d’autres sites, à travers le monde ».
Sébastien Sauvé a étudié plus d’une centaine d’échantillons, provenant du monde entier. Quand on lui demande si les habitants du Rhône concernés doivent continuer de boire cette eau, le scientifique est embêté. « Je n’aime pas que l’on me pose cette question, à cause évidemment de l’impact écologique que peut avoir l’alternative, soit la consommation d’eau en bouteille… ».
Aujourd’hui, il n’existe aucun seuil de toxicité scientifiquement établi, à partir duquel la consommation de PFAS pourrait être jugée dangereuse pour la santé. Mais les risques sont de plus en plus documentés et la liste des effets sanitaires s’allonge à chaque fois : cancer des testicules et du rein, dysfonctionnement hépatique, réduction des taux d’hormones et diminution du système immunitaire.
« Les PFAS ne sont pas toxiques dans un impact aigu et immédiat, donc une exposition plus élevée que ce qui est sur le chronique pour quelques jours, pour une fois ou deux par an, ça va, mais quand cela fait plusieurs années, et qu’il n’y a pas d’échéances pour régler le problème, les autorités devraient prendre les mesures nécessaires »,
ajoute le professeur Sauvé.
…Et qui nécessitent des mesures urgentes de la part de l’Etat
Des mesures nécessaires et urgentes... Mais les pouvoirs publics avaient-ils connaissance de cette pollution ? Marc Babut fait partie des tous premiers scientifiques à avoir donné l'alerte. A l'époque, il cherchait des PCB dans le Rhône... Il y a trouve aussi des PFAS. Et en informe immédiatement les pouvoirs publics dans un rapport. C'était il y a dix ans... «On a constaté une forte anomalie sur le Rhône, c’était évident, et c’est peut-être même pire que les PCB, parce qu’il s’agit de composés encore plus persistants, donc ça doit être un vrai sujet de préoccupation...», explique le chercheur qui regrette l’absence de réaction de l’Etat à l’époque.
Comme de nombreux scientifiques, il est signataire de pétitions internationales demandant l’interdiction immédiate de ces composés.
« On devrait arrêter de produire et surtout d’utiliser des PFAS chaque fois que cela est possible, il y a certains usages dont on n’aura du mal à se passer, comme les vêtements de protection des pompiers, ou dans le domaine médical, mais sinon il faut utiliser des produits de substitution. Maintenant, et pas dans dix ans».
Marc Babut
Si la pollution dénoncée dans Rhône est bien inférieure à celle de l’Ohio, aux Etats-Unis, dans ce que l’on a appelé le scandale Téflon, elle reste néanmoins élevée… Et les élus demandent aux pouvoirs publics d’agir rapidement et de lancer une étude épidémiologique de grande ampleur pour connaître les risques réels sur la santé.