Akram Kachee, chercheur spécialiste de la crise syrienne et enseignant à Sciences Po Lyon, analyse la situation dans le pays après la chute de Bachar al-Assad.
Après la chute de Bachar al-Assad en Syrie, Akram Kachee, chercheur spécialiste de la crise syrienne à Sciences Po Lyon, livre son analyse des récents évènements. Le politiste souligne la "période d'incertitude" qui s'ouvre dans le pays et le "soulagement" de la fin d'une dictature de plus de 50 ans.
France 3 Lyon : Pouvez-vous revenir sur votre parcours, de la Syrie à la France ?
Akram Kachee, chercheur spécialiste de la crise syrienne : J’ai grandi à Alep, avant de m’installer à Lattaquié. J’étais, ce que l'on peut appeler, un opposant naturel au régime de Bachar al-Assad, comme beaucoup de Syriens. Durant mes années étudiantes, j’étais syndicaliste. Je nourrissais l’espoir de faire changer le régime. Après mes études, je suis devenue fonctionnaire au sein de l’équivalent de la Cour des comptes. Là, j’ai vu en profondeur la corruption et le despotisme qui gangrenaient chaque institution. J’ai alors décidé de m’exiler, puis je me suis installé en France où j’ai entrepris des recherches à l’université sur la crise syrienne de 2011, tout en rejoignant des groupes d'opposants politiques exilés. Du fait de ces écrits, je ne pouvais plus retourner en Syrie.
Quelle a été votre réaction à l’annonce de la chute de Bachar al-Assad ?
C'était un soulagement bien sûr. J’étais abasourdi, je n’y croyais pas, c’était un choc. Je suis né sous les Assad, je n’ai connu aucun autre régime. C’est un régime qui a fait au moins un million de morts. Au-delà de ce sentiment, il y a forcément des inquiétudes concernant ce que sera la Syrie de demain. Le pays souffre des longues années de guerre civile, et du régime. Il est très difficile de se procurer de la nourriture, de l’électricité, des médicaments. Avec les sanctions américaines, je ne peux même pas envoyer 100 dollars à mon père.
Quelle est votre analyse de la prise de pouvoir par le chef de la coalition armée, Abou Mohammad Al-Joulani ?
Al-Joulani envoie des signaux pour rassurer concernant son passé jihadiste. L’image du libérateur est associée à Joulani ces derniers jours, mais en réalité, il a très peu combattu le régime. Son arrivée dans Damas a été remarquée aussi parce que ses hommes ont distribué du pain. Il faut savoir que le quotidien d’une grande partie des Syriens est de lutter au jour le jour pour sa survie, ne serait-ce qu’alimentaire. Ce renversement du régime ne constitue par la continuité de la révolution de 2011, mais davantage une forme de confiscation de cette dernière. L'expérience d'Al-Joulani à Idlib peut être un éclairage de ce qui pourrait se faire à l’échelle nationale. Il y a été contesté par la population locale pour sa gestion très autoritaire, calquée sur celle du régime.
Et qu’en est-il de l’opposition démocratique syrienne ?
L’opposition syrienne a été très affaiblie par la répression du régime et par les années de la guerre. Raison pour laquelle est agitée la menace d’affrontements confessionnels. Pourtant, il est bon de souligner que des figures majeures de l’opposition au régime étaient alaouites. Dans les zones considérées comme restées fidèles au régime, la population n’était pas en faveur d’Al Assad. Avant tout, il va falloir que le pays puisse entamer sa mue politique, ce qui passe par une Constitution. Or le pays est très fragmenté.
Le pays est-il profondément fracturé ?
Une justice transitionnelle est nécessaire pour la reconstruction du pays. Or, les différentes factions se sont battues les unes contre les autres pendant des années, il paraît difficile de se dire que cela va être enterré du jour au lendemain. Pour le moment, chacun a son récit, ce qui complexifie la possibilité de faire nation autour d’une vision commune. La chute du régime est un soulagement mais une période d’incertitude s’ouvre. Les conditions pour un retour des millions de réfugiés syriens ne sont pas réunies. Il faudra des années pour reconstruire le pays. Il serait aussi important de se pencher sur la santé mentale des Syriens, traumatisés par l’extrême violence dans laquelle ils vivent depuis tant d’années.
L'Union européenne a annoncé ce vendredi 13 décembre le lancement d'un pont aérien humanitaire destiné à la Syrie, via la Turquie, après que le Programme alimentaire mondial a lancé un appel urgent à des crédits de 250 millions de dollars pour fournir "une aide alimentaire" en Syrie.