Dans un entretien exclusif, le maire de Lyon nous parle de son déplacement en Ukraine pour constater les dégâts de la guerre, rencontrer son président Volodymyr Zelensky et signer des accords d'aide à la reconstruction.
Sa visite s'est faite dans le cadre d'un accord de coopération entre le réseaux Eurocities, dont fait partie la ville de Lyon, et les autorités ukrainiennes pour aider à reconstruire le pays. Il a pu visiter Kiev, Irpin, Bucha et Borodianka avec d'autres élus de grandes villes européennes. (Marseille, Florence, Athènes, Helsinki, Oslo, Riga et Tirana).
Vous avez pu constater les dégâts sur place. En tant qu’homme, qu’avez-vous ressenti à la vue des horreurs que provoque une guerre ?
Grégory Doucet : On est d’abord touché. On est épouvanté parce qu’on voit. Bien sûr des soldats ukrainiens sont morts mais ce sont surtout les populations civiles, comme dans la plupart des conflits aujourd’hui, qui paient le prix le plus fort. Des dizaines d’enfants sont déjà décédés, notamment dans les bombardements. On a vu à Irpin ou Bucha des bâtiments qui sont dans des zones uniquement civiles. Il n’y a pas d’installations militaires à côté, même pas un commissariat et les bâtiments ont été bombardés. Il y a des quartiers où il y a eu des bombardements et pas de combats. Donc les civils ont été ciblés de manière volontaire. Cette guerre est épouvantable. Mais si je suis venu en Ukraine c’est justement par volonté de se résigner en rien sur tout ça. Cette guerre doit cesser au plus vite.
On engagera nos expertises, on lèvera des fonds pour faciliter la reconstruction du pays parce que c’est fondamental.
Grégory Doucet, maire de Lyon
Justement, avec 7 autres élus de grandes villes européennes faisant partie du réseau Eurocities, vous êtes venus signés des accords de coopération pour soutenir la reconstruction rapide des villes ukrainiennes. En quoi consiste cet accord ?
G.D : Il s’agit d’un accord général où l’on s’engage à venir répondre aux besoins très précis des Ukrainiens. On engagera nos expertises, on lèvera des fonds pour faciliter la reconstruction du pays parce que c’est fondamental. Les autorités ukrainiennes ont déjà établi une liste précise des équipements aussi bien scolaires, sanitaires et autres qui ont pu être détruits. A nous de travailler en bonne coordination. L’idée c’est de répondre à l’ensemble des besoins de la population. Tout cela dans un contexte bien particulier puisque la guerre est encore là.
La ville de Lyon participera donc de manière financière ?
G.D : Oui, mais on a pas encore établi d’enveloppe. Néanmoins, il n’est pas simplement question d’argent, il est aussi question d’expertise. On a rencontré plusieurs professionnels, notamment des transports, qui nous ont fait part de leur intérêt pour l'expertise que l’on pourrait leur apporter. Cela peut être celle de la ville ou de la Métropole de Lyon. On fera en sorte d’aider financièrement mais aussi de faciliter l’établissement de fonds de soutien. L’idée ce n’est pas que les villes fassent tout elles-mêmes mais puissent, par exemple, constituer des fonds d’aide sur une commune ou un territoire donné. La ville va abonder les fonds mais cela peut être aussi des donateurs privés comme des entreprises qui viendraient aider à reconstruire une école, une crèche ou un dispensaire par exemple.
Comment s'est déroulée votre rencontre avec Volodymyr Zelinsky ?
G.D : Le président Zelensky nous a parlé de la situation du pays, de la situation du conflit. Il nous a parlé de la reconstruction qu’il souhaite la plus rapide possible parce que les besoins de la population sont énormes. Il nous a aussi parlé de la nécessité de s’engager dans la guerre de l’information. Entre ce que disent les autorités et médias russes et ukrainiens, il y a une grande différence. Ne serait-ce qu’aujourd’hui sur une actualité brulante, celle de la centrale de Zaporijia. Les Russes accusent les Ukrainiens de la bombarder, les Ukrainiens accusent les Russes de le faire également et d’y stocker des armes et des équipements militaires.
Le président Zelensky s'est emparé de cette guerre de l’information. On le voit tous il est très présent sur les médias et les réseaux sociaux auprès de sa population. Il sait l’importance que cela a et il sait l’importance que revêtent les soutiens politiques qu’il peut engranger. A la fois parce que cela va aider, à terme, à la reconstruction mais aussi à l’établissement de la vérité. Ce qui est assez remarquable en plus des chantiers de reconstructions que l’on a pu observer, c’est qu’il y a un travail énorme qui est fait sur le terrain. D’ailleurs c'est fait avec l’aide de professionnels de différents pays, y compris de gendarme français, pour documenter les situations d’exactions : les potentiels crimes de guerre, crimes contre l’humanité.
Bien sûr on doit continuer les efforts diplomatiques pour que cette guerre s’arrête mais il ne faut pas se voiler la face : pour faire la guerre il faut des armes.
Grégory Doucet, maire de Lyon
La République Française fournit des armes à l'Ukraine pour qu’elle puisse se défendre. Nous avons déjà entendu des leaders politiques de différents bords militer pour employer la diplomatie plutôt que l'aide militaire pour éviter une escalade de la violence. Quelle est votre position sur cette question ?
G.D : Ma position est simple et je l’ai exprimée dès le début du conflit. Ce n’était pas dans mes premières déclaration car à ce moment-là je voulais surtout parler de solidarité avec le peuple ukrainien mais je suis favorable à ce qu’on puisse fournir des armes aux autorités ukrainiennes. C’est une guerre asymétrique. Vous avez en face la première armée du monde, la plus équipée au monde. L’armée ukrainienne a beaucoup de qualités mais dispose de moins d’équipements, moins de munitions. Elle a besoin d’armes modernes. L’invasion russe, si elle a pu être arrêté à quelques kilomètres de Kiev, à Irpin, c’est bien parce qu’il y avait une armée ukrainienne avec des équipements et des armes de qualité. Bien sûr on doit continuer les efforts diplomatiques pour que cette guerre s’arrête mais il ne faut pas se voiler la face : pour faire la guerre il faut des armes.
En parlant d'efforts diplomatiques, vous avez finalement refusé de rencontrer l'ambassadeur russe en mars sur des questions ouvertes avant la guerre. Si aujourd'hui vous aviez de nouveau l'occasion de vous entretenir avec le pouvoir russe, le feriez-vous ?
GD : En mars on était au début de l’agression russe. Il s’agissait de la condamner d’envoyer un message très clair à la Russie : ce que vous faites c’est inacceptable. Aujourd’hui c’est toujours le cas. Quand je parle de renforcer les efforts diplomatiques, ce n’est pas simplement pour engager des discussions de comptoir. D’abord il y a un travail à faire sur les sanctions. Il y a encore la possibilité et le besoin, à mon avis, de renforcer les sanctions contre les Russes parce qu’on est engagé dans un bras de fer et qu’il faut mettre toutes les chances de notre côté.
Pour autant, quand on fait la guerre on peut continuer à se parler. Il faut continuer à ce qu’il y ait des discussion pour qu’on puisse commencer à préparer la fin de la guerre. Mais est-ce que c’est au maire de Lyon de le faire ? Certainement pas. Ce sont des discussion qui doivent se faire au niveau des Etats. Il ne s’agit pas de venir brouiller les pistes et de parler avec des voix différentes avec le risque d’avoir des voix discordantes. Je suis en cohérence avec les efforts diplomatiques de la France, même si par ailleurs vous m’entendez dire qu’ils doivent aller plus loin et que l’on doit davantage aider en matière d’armement les Ukrainiens. Mais ce n’est pas à moi de mener les échanges diplomatiques, c’est à la diplomatie française d’être en première ligne.