Jean Moulin était un haut fonctionnaire consciencieux, efficace, mais il a toujours exprimé sa liberté dans le dessin. Il a eu un double, Romanin l’artiste. Une facette méconnue de sa personnalité.
“Le véritable journal intime de Jean Moulin, ce sont ses dessins”, dit Daniel Cordier, son secrétaire particulier pendant la guerre.
Un esprit espiègle dès l'enfance. Jean Moulin passe une jeunesse heureuse à Béziers à la belle époque : dès six ans, il dessine, échange même ses premières œuvres avec la voisine de ses parents contre des gâteaux. Élève dissipé, il croque ses professeurs dans la marge de ses cahiers et manifeste déjà un vrai talent pour camper ses personnages.
Un talent dès le plus jeune âge
Le musée de Béziers possède un fonds de 540 des œuvres de Jean Moulin. Roxelane Cicekli, responsable des collections, enfile ses gants blancs, soulève les papiers calques qui protègent les dessins très rarement sortis des réserves. Elle est fière de mettre en lumière le talent de Jean Moulin. Les yeux brillants, elle relate un témoignage de Laure Moulin, sa sœur : “il commençait toujours par dessiner les pieds et remontait jusqu’à la tête et tout le monde s’étonnait et s’amusait que ses petits personnages tiennent debout”. Le fonds Jean Moulin est le fruit d’un legs de sa sœur en 1975.
À 16 ans, il signe pour la première fois de son nom, dans La baïonnette, un hebdomadaire national, ses débuts comme dessinateur de presse. Il est payé 10 francs. Son trait révèle déjà un réalisme touchant et un sens aigu de l’observation.
Jean Moulin dessine quotidiennement, sur le vif, partout et sur tous les supports : nappe de restaurant, bout de carton... Roxelane Cicekli responsable des collections à Béziers le voit comme “un dessinateur compulsif."
Dans ses carnets, il a tout un répertoire de figures, des pages noircies de têtes, qu’il réutilise pour les compositions abouties de ses personnage. Il y a une économie de coups de crayon, mais tout y est.
Roxelane Cicekli, responsable des collections au musée de Béziers
En 1922, il choisit le pseudonyme de Romanin, son avatar artistique. Gouache, gravure, aquarelle, encre lui apportent la liberté. Il mène deux existences parallèles, celle du haut fonctionnaire et le bon vivant facétieux.
L'historienne Bénédicte Vergez-Chaignon, autrice de “Jean Moulin, l’affranchi”, décrit "un haut fonctionnaire efficace, impliqué et aussi un homme qui aime danser, faire du ski, conduire de belles voitures. Ses camarades disent de lui qu’il est plein d’humour, attachant et au fond très amusant."
Un trait mordant ou tendre
Après un mariage éclair, Jean Moulin retrouve les joies du célibat : il aime les cabarets de Montparnasse, prend des cours de fox-trot et fréquente des artistes en quête de gloire, comme le peintre japonais Foujita. Il publie dans les journaux nationaux. Le dessin de presse, la caricature deviennent un temps son second métier. Un coup de crayon incisif sur ses contemporains, pas méchant, mais bien senti. Selon Roxelane Cicekli du musée de Béziers, “Il dépeint toute la société qui l’entoure en n’excluant personne, mais avec des regards distincts. Il est tendre avec les gens en souffrance, et plus mordant envers les mondains”.
Sous-préfet en Bretagne, Jean Moulin fréquente des poètes, Max Jacob, Tristan Corbière. À leur contact, sa veine artistique se confirme dans un registre plus sombre empreint de spiritualité, souffrance et mort. Face à la montée du nazisme, Moulin renonce à Romanin.
Dans les expositions, il découvre l'art moderne et devient collectionneur. Des années plus tard, sous couverture à Lyon, le résistant Jean Moulin cherche une activité professionnelle crédible pour ses déplacements dans le sud, ce sera une galerie. Il choisit Nice où il n’a aucune activité clandestine. Les Allemands ont envahi la zone libre depuis quelques mois. Cela peut paraître incroyable, L’inauguration a lieu le 9 février 1943.
Jusqu’à ses derniers jours d’homme libre, il conjugue l’organisation des mouvements de la Résistance et son amour de l’art. Le 21 juin 1943, Jean Moulin est arrêté à Caluire par la Gestapo avec d'autres résistants. Il est torturé puis transféré vers l'Allemagne, il meurt à bord d'un train le 8 juillet.
À Lyon, le Centre d'Histoire de la Résistance et de la Déportation présente l'exposition "Jean Moulin, les voies de la liberté" jusqu'au 26 mai 2024.