Le 115 est le numéro qui s’occupe des mises à l’abri pour l‘ensemble du département du Rhône. Avec peu de places d'hébergement mais de plus en plus d'appels, ceux qui décrochent le combiné ont la très difficile mission d'attribuer 72 places dans le département et de répondre qu'il n' y a pas de solution pour les autres appels.
"115 du Rhône, j’écoute !". À l’autre bout du téléphone, l’espoir d’obtenir une place au chaud pour le soir. Le 115 est le numéro d’urgence sociale qui vient en aide aux personnes à la rue ou en grande difficulté sociale, en répartissant les places de mises à l'abri.
Mais les écoutants du 115 semblent être des agents de l’impossible. Ce jour-là, elles ne sont que deux à prendre les appels. Le téléphone sonne près de 400 fois par jour, tandis que 72 places d’hébergements sont disponibles pour tout le département du Rhône. Un système saturé, qui contraint les agents à écouter la détresse sans moyen d'y répondre.
Un scénario qui se répète chaque jour
"Il nous reste quelques places des maraudes, si jamais on a une urgence. Mais sinon on a plus rien" soupire l’une des deux agents du 115, ce lundi 6 mai. Les écoutantes préfèrent rester anonymes. C’est un travail de l’ombre jusqu’au bout. Leur journée est bien rythmée : à 7 heures, le 115 commence à prendre les appels. À 10 heures, ses agents attribuent les places pour les femmes et pour les couples, puis à 14 heures, celles réservées aux hommes. Très vite, il n'en reste plus aucune.
Puis, en fin de journée, les écoutantes reçoivent la liste de ceux qui ne se sont pas présentés à l’hébergement. Si jamais il y a des désistements, elles peuvent ainsi redistribuer ces places à d’autres personnes. Les demandeurs ont le droit à une place tous les quatre jours.
Mais bien, souvent le même scénario se répète. Celui de devoir dire qu’il n’y a plus de solutions d'hébergement à la personne dans le besoin. "Il y a trop d’appels pour le peu de places qu’on a. Au début, quand on arrive ici, on se dit que ce n’est pas normal, que c’est injuste. Mais malheureusement, avec le temps on prend l’habitude" témoigne l'écoutante.
"Quand on n'a pas de places, on se sent impuissants"
Face à face sur leur bureau, les deux agents ont le micro du téléphone d’une main, et les yeux rivés sur l’écran d’ordinateur qui leur indique les places disponibles. "Il faut que l'on se consulte pour ne pas en donner plus !" glisse l’une d’elles entre deux coups de fil.
Lorsque les écoutantes sont au combiné, de nombreuses personnes patientent en essayant de joindre le 115. La ligne ne peut pas prendre plus d’une dizaine d’appels. Face à la situation, elles sont obligées de faire des choix, qui relèvent souvent d'un dilemme cornélien.
"La priorité ce sont les plus vulnérables, par exemple les personnes malades, les femmes enceintes" précise la seconde écoutante. Mais de plus en plus de ces profils appellent. "Les familles à la rue, c’est non-stop ! Et ça fait mal quand une femme nous dit "je suis à la rue avec mes enfants, ils ont faim, ils ont froid, il a plu hier et on a plus de couvertures"" soupire-t-elle.
Depuis deux ans, la professionnelle constate qu’il y a de plus en plus de femmes et d’enfants à la rue. Alors, décrocher le téléphone est parfois un poids. "C’est à double tranchant, quand on n'a pas de places on se sent impuissant, mais dès qu’on peut attribuer une solution d’hébergement, on se sent utile" ajoute l’écoutante.
Une situation inédite dans le Rhône
Tous les acteurs sociaux s’accordent pour dire que la situation est inédite dans le Rhône. Selon l’association Alynea, 14 000 personnes vivent à la rue. "La demande est très forte et nos dispositifs et ceux qui sont mis à disposition manquent" explique Samuel Duroux, le directeur de la maison de la veille sociale, gestionnaire du 115. "Quand on a plus de mises à l’abri, la mission des écoutants est d’orienter la personne vers d’autres solutions du tissu de veille sociale" ajoute-t-il.
Le directeur fait le constat amer que le 115 ne jouit pas d’une bonne réputation. Dans 80% des cas, un écoutant 115 va répondre par la négative à une demande d’hébergement. C'est donc un métier complexe, difficile. Samuel Duroux y oppose la problématique d’un véritable manque de moyens. "Ce ne sont pas des machines qui répondent aux personnes qui sont à la rue" rappelle-t-il.