Le journaliste Aurélien Martinez a enquêté plusieurs mois dans les villes remportées par les Verts lors des élections municipales de 2020. Nous l'avons interrogé sur les particularités de la politique écologiste lyonnaise.
Dans le livre "Quand les Verts arrivent en ville", Aurélien Martinez passe en revue l'évolution des élus Verts depuis deux ans. Interview sur la politique écologiste à Lyon.
France 3 : Vous avez examiné diverses grandes villes remportées par les écologistes. Quelles sont les particularités des dirigeants lyonnais ?
Aurélien Martinez : En 2020, une dizaine de maires Verts, tous très différents, sont élus à la tête de grandes villes françaises. Mais à Lyon, c’est l’essence même de ce qu’est la vague verte qui s'installe au pouvoir, avec l’arrivée aux responsabilités de militants qui ne sont pas des pros de la politique, à commencer par Grégory Doucet lui-même ! Il vient de l’humanitaire et il décide, face au danger du réchauffement climatique, de s’investir en politique pour "changer les choses par le bas". Il aborde d’ailleurs pratiquement tous les sujets par le prisme de cette urgence climatique.
Bruno Bernard, à la tête de la métropole, a un profil plus classique : c’est un politique pur jus, un ancien socialiste, fils d'élu socialiste... Mais il s'est lui aussi entouré de gens venus de la société civile, des spécialistes des questions écolos.
Le maire de Lyon, Grégory Doucet, a fait l'objet de plusieurs polémiques d'ampleur nationale, avec ses propos sur le Tour de France "machiste et polluant", ou encore son choix de menus sans viande dans les cantines scolaires... Comment analysez-vous ces polémiques ?
Sur ces sujets, il fait valoir des erreurs d'interprétation, ou considère que ses propos ont été déformés. Mais cela démontre tout de même des maladresses, voire une impréparation face à la chose politique. Comme Pierre Hurmic à Bordeaux qui a désigné le sapin de Noël comme un "arbre mort", ces polémiques à répétition ont fortement affecté la crédibilité du maire de Lyon. Même si les soutiens aux différents élus verts empêtrés dans des polémiques l’ont assuré à l’époque : "si le gouvernement tape sur nous, c'est qu'on est une menace. A la limite, tant mieux".
Quoi qu'il en soit, on remarque qu'aujourd’hui, on voit moins de polémiques : soit le focus médiatique est moins pointé sur eux du fait de leurs scores électoraux moins importants, soit ils se retiennent. C’est sans doute un peu des deux !
Dans votre livre, vous parlez d'une "impréparation". Les Verts n'étaient pas prêts à gouverner ?
Forcément, quand on ne vient pas du monde politique pour, justement, "gouverner autrement", on est inexpérimenté. Mais les Verts mettent en avant leur fraicheur et leurs convictions ! Et surtout, ils assument d'avoir un œil de citoyens engagés et non de professionnels de la politique.
Les Verts, à Lyon comme ailleurs, restent l'objet de nombreuses critiques après deux ans de mandat...
C'est vrai, et ça vient notamment des conditions mêmes de leur élection. En 2020, il y a eu une forte abstention lors des municipales (58,4 %). Finalement, peu d'électeurs ont élu les maires verts. Et ces élus donnent parfois l’impression de ne répondre qu’aux seules préoccupations du cœur de leur électorat. Alors qu’ils devraient montrer qu’ils sont les maires de tous les habitants et pas seulement, pour caricaturer, des bobos qui veulent du bio, des pistes cyclables et des cours d’écoles dégenrées !
Les critiques qu’ils subissent viennent également du fait qu’ils essaient des choses, ils y vont parfois à tâtons. Par exemple, en laissant plus de place à la démocratie participative, ils obtiennent des résultats plus compliqués. Ça a été le cas avec le projet de téléphérique lyonnais, abandonné après une consultation de la population : parfois, ils sont piégés par leur propre façon d'aborder les problèmes.
Et même en interne, il y a parfois des critiques. On voit poindre le risque d'une désillusion chez certains adjoints venus du monde militant. Je l’ai senti lors de mon enquête, quelques-uns me l’ont même dit en Off : "on est surpris que ça n'aille pas plus vite"... Ils ne s’attendaient visiblement pas à la dureté du jeu politique, à son temps long…
Mais les maires, eux, bien sûr, ne montrent pas de failles, de doutes, ils ont une carapace. On le voit bien à Lyon : Grégory Doucet et Bruno Bernard ne se laissent pas impressionner, ils rendent coup pour coup, et assument leur action, quitte à cliver.
Quels sont les plus grands défis qui les attendent selon vous ?
A Lyon comme dans les autres villes où j’ai enquêté, je remarque que deux ans après leur élection, les élus adoptent toujours des réflexes d’opposants. Ils accablent encore leurs prédécesseurs, sont dans la confrontation lors des conseils municipaux… Mais maintenant qu'ils sont aux responsabilités, il faut qu’ils prennent conscience qu’ils sont les dirigeants et non plus les opposants.
Et, surtout, ils vont avoir une grande contradiction à résoudre : beaucoup d’élus verts, et pas seulement à Lyon, ont une vision honteuse de la ville, alors que c'est grâce aux électeurs des villes qu’ils font leurs meilleurs scores ! C'est très contradictoire : ils veulent changer la ville, tout en ayant un discours très négatif sur l'idée même de ville ! C'est un paradoxe difficile à mettre en œuvre...
Aurélien Martinez a sillonné toutes les grandes villes remportées par les Verts pendant plusieurs mois. Il y a rencontré les nouveaux élus, leurs adversaires et des acteurs de terrain. Dans le livre "Quand les Verts arrivent en ville", il passe en revue leurs actions et leur projet politique.