"Je ne veux pas juger les malades" : témoignages sur l'alcoolisme à travers une pièce de théâtre

"Avoir envie de" ou "Craving" en anglais. Ainsi se nomme une pièce intime qui raconte le parcours d'une jeune femme dont le père souffre d'alcoolisme. Créée par Laurie Iversen, elle sera présentée à partir du 28 novembre au théâtre de l'Elysée à Lyon. Rencontre avec l'autrice et metteuse en scène.

"Comment rester forte ? Pourquoi rester vivre avec un père alcoolique ?" Ces questions, Laurie Iversen, actrice et metteuse en scène, se les pose souvent. Son père, 62 ans aujourd'hui, a toujours eu une consommation d'alcool plus élevée que la moyenne, mais il y a trois ans, il s'enfonce dans la maladie. 

Avec son frère, Laurie commence à s'occuper de leur père. "Je n'étais plus sa fille, j'étais devenue son infirmière, son addictologue, son administratrice", se remémore la jeune femme. Aujourd'hui encore, elle gère l'administratif, les courses ou les déplacements. Un "rôle inversé" difficile à vivre.

L'intime universel

Après son diplôme de l'École Régionale d'Acteurs de Cannes & Marseille (ERCAM), Laurie Iversen revient dans sa ville natale à Lyon où elle crée sa compagnie de théâtre, TERRA FORMA en mars 2022. Un mois plus tard, elle rassemble quatre comédiennes, un régisseur technique ainsi qu'un vidéaste/scénographe autour de son projet "CRAVING". 

"Craving" (NDLR: avoir envie de, un désir insatiable) s'écrit en deux ans. "Au début, je souhaitais aborder le sujet tabou de l'alcoolisme au féminin, j'ai beaucoup lu, écouté la série documentaire de France culture et j'ai interviewé beaucoup de femmes alcooliques ou dont les proches souffraient de cette maladie", explique Laurie Iversen. L'alcoolisme touche toutes les classes sociales, tous les âges et tous les genres. Laurie Iversen utilise ces témoignages dans sa pièce. 

Au fur et à mesure, la jeune femme comprend que c'est un prétexte pour parler de sa propre expérience et de celle de son père. "Je ne voulais pas être dans une démarche narcissique, mais le théâtre permet de raconter l'intime, et l'intime c'est aussi commun et universel", résume l'actrice et metteuse en scène.

"On ne laisse pas tomber un malade"

Parler de l'alcoolisme, c'est rappeler qu'il s'agit d'une maladie. "Parfois, on voit l'alcoolisme comme un défaut, un vilain trait de caractère, mais c'est une pathologie. Mon premier message, c'est de ne pas juger les personnes qui en souffrent et ensuite rappeler qu'il ne faut pas les abandonner". 

Laurie le reconnaît, rester n'est pas évident et parfois des pauses sont nécessaires pour se protéger. Un monologue d'une comédienne illustre cette difficulté à aider. "Dans le spectacle, je montre ces contradictions, ce courage qu’il faut pour rester alors que l’autre veut que tu partes et que tu le laisses mourir. Mais ce n'est pas lui qui parle, c'est comme un petit monstre à l'intérieur qui parle à sa place".

Dans la pièce, la musique est très présente. Plusieurs morceaux sont diffusés. "Quand mon père était au plus mal et dans un état léthargique, on lui faisait écouter de la musique, c'est ce qui permettait de rester unis dans notre lien car on jouait beaucoup ensemble avant", explique Laurie.

"Delirium tremens"

D'autres scènes sont plus violentes comme celle dans laquelle la jeune femme prépare les affaires de son père qui doit partir en cure et qui lui dit finalement qu'il ne partira pas. "L'ambulance part, et là le père fait un 'delirium tremens' c'est-à-dire qu'il se met à transpirer, convulser au sol et se vider de partout. C'est une scène que j'ai vécue avec mon père", rapporte l'autrice. Seul moyen d'arrêter la crise : donner de l'alcool à la personne pour "équilibrer le manque".

Ironie de la société de consommation et du marketing de l'alcool : il existe une marque de bière portant le nom de cette crise qui peut être mortelle. Un passage vidéo illustre la perversité des marques d'alcool : "on voit une déambulation dans un supermarché, la caméra montre tous les rayons alcool avec les étiquettes les plus envoûtantes et vendeuses possibles". En parallèle, les comédiennes scandent des noms d'alcool de toutes sortes comme un chœur de tragédie grecque.

La place de l'alcool dans nos vies

Mais "Craving" ne juge pas : ni les malades, ni les consommateurs. Mieux, elle laisse le spectateur partir avec une interrogation : quelle est la place de l'alcool dans notre quotidien ? 

"Il ne s'agit pas de moralité, de bien ou de mal, mais de comprendre les rouages de l'alcool et de l'alcoolisme en parallèle. Créer cette pièce m'a permis de les expliquer aux autres mais aussi à moi-même", conclut Laurie Iversen. Son père est au courant de sa création. "S'il venait la voir, je ne serais pas angoissée, ni honteuse car je ne veux accabler personne".

"Craving" a été présentée en résidence au théâtre La Cité à Marseille en décembre 2022 et à la Comète /L’usine à Saint-Etienne en janvier de cette année. Pour les Lyonnais, la pièce est programmée au théâtre de l’Elysée du 28 novembre au 1er décembre prochain

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