Jugée pour avoir assassiné son grand-père, "l'adultère de son compagnon a été un élément déclencheur" soutient l'experte psychologue

Deuxième jour du procès d'Emilie G. : la parole est aux experts psychologue et psychiatre. La jeune femme de 33 ans encourt la réclusion criminelle à perpétuité pour l'assassinat de son grand-père, Manuel âgé de 95 ans. Le nonagénaire, grabataire, est mort asphyxié sur son lit médicalisé le 23 août 2020.

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Elle a l'air à peine sortie de l'adolescence avec son visage poupon, son petit chemisier blanc, son pantalon sombre et sa coiffure sage. Pendant les dépositions, Emilie G. baisse souvent la tête, à l'air parfois absente, pleure beaucoup à l'évocation de la mort de son grand-père. Une jeune femme aux yeux rougis à une allure ordinaire, avec quelques kilos en trop qui lui ont sans doute valu "un peu de harcèlement" au collège. Comme il a été dit au premier jour du procès. Comment Emilie G., professeure d'espagnol bien vue par sa hiérarchie, mère famille, fille dévouée, s'est-elle retrouvée sur le banc des accusés, sa vie suspendue à un verdict de condamnation à perpétuité ? C'est la première question qui vient à l'esprit en la voyant. 

Le procès de la jeune femme de 33 ans se déroule sur deux journées devant les assises du Rhône, à Lyon. Sa famille fait bloc autour d'elle et ne s'est d'ailleurs pas portée partie civile. Accusée d'assassinat sur ascendant, un acte qualifié de prémédité, elle comparait libre. Ce mercredi matin, les experts, une psychologue et un psychiatre, ont pris la parole. 

Déposition de l'expert psychologue

"Elle parlait beaucoup, répondait sèchement, presque agressive (...) C'est une femme pas désagréable mais un peu brutale". "Elle est plutôt directe dans sa manière d'échanger, peut être assez directe dans ses propos". Annie Dubost, psychologue clinicienne, a rencontré l'accusée le 30 mars 2023. Elle l'a interrogée sur son entourage familial. La jeune femme a tenu "un discours ambivalent" sur sa propre mère. Elle a décrit "une figure maternelle discrète, renfermée, pas joyeuse, qui ne montre pas ses émotions (...) Jamais eu vraiment de conversation avec ma mère, elle nous a éduquées de loin", rapporte l'experte de ses entretiens avec l'accusée. "Elle est critique à l'égard de sa mère qui a eu un rôle maternel peu étayant".

Sur la figure du père, davantage présent durant son enfance, Emilie G. s'est montrée plus sévère : "Il est dans les apparences avec tout le monde, c'est sa propre image qui compte", a rapporté l'experte. "Sa mère était seule, son père aurait eu de multiples relations extraconjugales dont elle a été au courant et qu'elle aurait préféré ignorer", ajoute-t-elle. L'experte évoque un "univers familial empreint de non-dits". "Elle s'est beaucoup attachée à ce grand-père. Il a pallié les carences paternelles et maternelles", résume l'experte

Elle dit que dans cette famille on pratiquait la politique de l'autruche. Que ça ne parle pas vraiment.

Annie Dubost

experte psychologue, psychologue clinicienne

Sur sa personnalité, l'experte ajoute : "Elle n'est pas facile à décrire, c'est quelqu'un qui est dépressif de longue date, qui manque de confiance en elle, qui a peu d'estime d'elle-même. Elle m'est apparue dans une grande solitude psychique, apparue dans une angoisse d'abandon, de sentiment d'abandon". La psychologue décrit aussi une femme dans une recherche de "solution pratique" quand elle rencontre une difficulté.

Études, faculté de lettres et en master. Emilie G. connaît 17 établissements en six ans. "Une précarité professionnelle qui ne l'a pas aidé à se construire", note l'experte. Sa rencontre avec son compagnon s'est faite via internet. Deux enfants sont nés, 2014 et 2017. Le matin des faits, elle aurait eu une dispute avec son compagnon qui lui aurait annoncé une relation extraconjugale. "Ça l'a effondrée. Après la dispute, elle était en plein désarroi," assure la psychologue.

"L'adultère a été un élément déclencheur, déterminant"

"Le passage à l'acte est intervenu alors qu'elle dit avoir été effondrée", affirme l'experte. "C'est un événement traumatique qui est venu percuter sa fragilité. Elle a été désemparée par la violence des propos de son compagnon", ajoute-t-elle."Je pense que ça l'a mise à l'envers, ça l'a complètement retournée, le peu qui tenait a cédé", indique la psychologue.

Elle ne se reconnait pas dans le terme d'assassinat (...) Elle était complètement perdue, toute seule avec ses enfants. Elle aurait pu demander de l'aide, mais je pense qu'elle était complètement en désarroi.

Annie Dubost

En résumé pour l'experte, l'accusée ne présente "pas de déficience mentale, mais des dépressions anciennes, des carences affectives, une précarité affective et professionnelle, une angoisse d'abandon sur le plan affectif". "Elle reconnaît les faits mais est dans le déni de la qualification des faits. Le problème est qu'elle a du mal à en parler. Elle présente son passage à l'acte comme un acte d'euthanasie pour soulager son grand-père", explique l'expert.

"Pourquoi le feu ?" demande la présidente. "J'ai mis beaucoup de temps à rédiger ce rapport ; ça m'a fait penser à la politique de la terre brûlée, mais je n'ai pas vraiment trouvé... c'est une question sans réponse" pour l'experte. "Je reste sur ma faim sur le mode opératoire, pas sur le choix de faire mourir son grand-père".

Cette dernière insiste sur le bouleversement de la jeune femme le jour du drame, "Sacrifice" ? "Elle se sacrifie beaucoup, elle se sacrifie beaucoup, ce sont les autres d'abord et elle après... il y a sans doute cette notion-là".

Déposition de l'expert psychiatre

Emilie G. a été examinée en octobre 2021, par le docteur Meunier :  "J'ai rencontré une personne qui allait extrêmement mal, en état de stress post-traumatique, avec des cauchemars (...) Au moment de l'examen, elle a une pathologie mentale post-traumatique". Mais la jeune femme n'a pas de troubles de la personnalité, selon l'expert. 

"Elle parle de vision d'horreur de son grand-père dans ses excréments (...) Elle avait perdu le sommeil dans les jours qui précédaient l'acte", "Elle n'a pas mentionné la rupture avec le compagnon, mais plutôt "d'un burn-out familial".

"Un état dissociatif"

"Au moment des faits, elle était dissociée, elle agissait de manière automatique et sans y penser", explique le docteur Meunier. "Peut-être est-elle traumatisée par ses propres actes, mais le traumatisme s'est peut-être déroulé sur plusieurs années, avec la dégradation de l'état de son grand-père", ajoute l'expert. "Dissociation de sa personnalité au moment du passage à l'acte", répète l'expert. "La question du choix du moyen (pour donner la mort) est très relative". Les difficultés accumulées des derniers mois précédents les faits ont sans doute été à l'origine de cet "état dissociatif", selon l'expert. La jeune femme a été soumise à une série de situations stressantes. "Elle se sent dépassée", mais il ne penche pas en faveur de la théorie de l'élément déclencheur constitué par l'annonce de l'adultère de son ex-compagnon. "Les troubles anxieux sont plutôt inhibiteurs", explique l'expert. 

Quid de son discernement au moment des faits ?

Elle savait ce qu'elle faisait, je n'ai pas conclu à une abolition de son discernement mais à une altération.

Docteur Frédéric Meunier

expert psychiatre

Le risque de récidive est "extrêmement faible". Sur la question de l'euthanasie. "Dans les états dissociatifs, on fonctionne de manière assez automatique", explique l'expert. L'expert psychiatre n'a pas réclamé d'injonction de soins. L'avocat général s'interroge sur le risque de récidive. "Elle fait partie d'un groupe de personnes où le risque est faible," assure l'expert.

"Il n'y avait pas dans son passage à l'acte la volonté de nuire à son grand-père, dans son esprit ce n'était pas immoral", déclare l'expert. "Elle est poursuivie pour assassinat mais pour elle, il s'agit de suicide assisté ou d'euthanasie", ajoute le Docteur Meunier. 

Il est 11h 20 : Emilie G. est appelée à la barre. 

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