Alexandre Vincendet, le maire de Rillieux-la-Pape, a convoqué les familles des mineurs interpellés lors des violences urbaines des 31 octobre et 1er novembre dernier. Il se réserve la possibilité de les expulser de leurs logements sociaux.
Après les violences urbaines, les sanctions. Alors qu'une première condamnation a été prononcée lundi 4 novembre, suite aux dégradations commises durant les nuits du 31 octobre et du 1er novembre, le maire de Rillieux-la-Pape a signalé qu'il se réservait la possibilité d'expulser les familles des mineurs condamnés de leur logement social à terme. Si elle est mise en œuvre, cette mesure serait une première en France. Mais pour l'heure, son cadre légal paraît incertain.
Des sanctions "au cas par cas"
Le maire (Horizon) de Rillieux-la-Pape, Alexandre Vincendet, utilise toutes les armes à sa disposition pour répondre aux actes de violences urbaines, quitte à innover. Le 24 mai dernier, il a fait voter une délibération qui l'autorise à couper les diverses aides financières assurées par la ville, et à expulser de leur logement social les familles de mineurs délinquants. Certaines de ces dispositions sont déjà entrées en application.
Ces sanctions interviennent au cas par cas, explique Vincent Matter, adjoint aux politiques de logement : "nous agissons de façon responsable, par étapes, pas aveuglément. D'abord, nous attendons que les individus concernés soient condamnés définitivement par la justice. Ensuite, nous convoquons les parents et proposons un accompagnement de leur enfant. En fonction de la gravité des faits, et si nous constatons que nos propositions sont refusées, là, nous pouvons entamer une procédure d'expulsion." Les familles des jeunes interpellés lors des dernières nuits de violences urbaines entrent donc dans la première étape de ce processus : la convocation par la mairie.
Des motifs juridiques fragiles
D'autres dossiers sont en cours d'instruction, mais pour l’instant, aucune expulsion n’a encore eu lieu, le processus étant complexe à mettre en place. Les baux de logements sociaux relèvent du seul bailleur social. La mairie assure qu'elle travaille en permanence avec ce dernier, et qu'il appliquera ses requêtes. Néanmoins, l'aspect juridique semble fragile.
La mairie s'appuie sur des motifs déjà existants du droit en la matière, tel que "l'usage détourné du logement", qui permet d'expulser légalement un locataire. "Ce motif me paraît délicat à utiliser", estime Benoït Content, avocat intervenant en droit immobilier. "Le trouble à l'ordre public ne me paraît pas correspondre à un usage détourné du logement, puisque les délinquants agissent en dehors. A priori, il faudrait que le locataire ne remplisse pas les obligations prévues par le bail pour pouvoir l'expulser".
La procédure d'expulsion doit être validée par le juge des contentieux et de la protection. C'est lui qui pourrait refuser la demande d'expulsion, s'il estime qu'elle n'est pas conforme au droit. Il devrait bientôt se prononcer, certaines demandes d'expulsions étant déjà émises par la mairie.
La mairie déterminée
L'équipe municipale balaie néanmoins les doutes juridiques et affirme que des expulsions auront bien lieu. "Il y a des procédures d'expulsions qui sont en cours actuellement pour des condamnations précédentes, donc ça peut aller très vite. Dans quelques mois, une première famille devrait être expulsée", assure Vincent Matter, l'adjoint aux logements.
Par ailleurs, très concrètement, la mairie intervient déjà dans toutes les nouvelles attributions de logements sociaux : "je regarde 100% des nouvelles demandes de logements sociaux avec le bailleur. Toute demande de personnes défavorablement connues des autorités compétentes peut être refusée. Nous étudions avec un œil très précis et très clair chaque attribution", insiste-t-il.
Théoriquement, les familles qui verraient leur dossier refusé pourraient exercer un recours devant le juge des contentieux, garant des risques de discrimination. Mais dans la pratique, peu de familles dont le dossier serait refusé lancent ce type de démarches. En revanche, des associations pourraient se mobiliser. Le collectif Droit au logement 69 a d'ailleurs déjà réagi, lundi 4 novembre, suite aux annonces du maire de Rillieux, indiquant se tenir "à disposition des familles menacées".
📛 Menaces d’expulsions suite aux incidents à Rillieux-la-Pape : non au retour des châtiments collectifs contre les familles locataires HLM 📛
— Droit Au Logement 69 - Lyon et environ (@droitlogement69) November 4, 2024
Toute expulsion locative est une violence sociale injuste & inutile ‼️ pic.twitter.com/widqNGt5AU
Des mesures déjà effectives
Autre volet d'intervention de la ville, la possibilité de couper les aides financières qu'elle verse aux familles concernées. Cette disposition a été votée en même temps que la délibération prévoyant la possibilité d'intervenir sur les logements sociaux. Sur ce volet, la mairie fait face à moins d'obstacles juridiques, et applique déjà sa politique concrètement. Les familles de mineurs condamnés qui refusent l'accompagnement proposé par les services municipaux auprès de leurs enfants peuvent ainsi se voir privées des aides alimentaires, aides au passage du permis de conduire, ou à l'accès aux loisirs par exemple, délivrées par la ville.
D'autres communes exercent une politique similaire en France. Dans certains cas, leurs sanctions sont contestées en justice : en mars 2023, le tribunal administratif de Versaille, saisi par la Ligue des Droits de l'Homme, avait ainsi annulé une telle sanction prononcée par la ville de Poissy, la mesure étant considérée trop générale. Rillieux n'a pas encore vu sa mesure contestée juridiquement. Le droit ne s'y oppose pas forcément : "il est possible de suspendre ou de stopper des aides de ce type, mais dans des cas très précis, très clairs", explique maître Content, avocat au barreau de Lyon et de Bourg-en-Bresse.
Réactions après l'annonce du maire de Rillieux-la-Pape : reportage de Mathieu Boudet et Amandine Poncet (Dimanche 3 novembre)
Au-delà de la légalité, le maire veut montrer qu'il agit : "quand vous avez un enfant qui est mineur, il est sous la responsabilité de ses parents. Ce ne sont pas les élus qui les éduquent, pas les professeurs, pas les policiers. En premier lieu, ce sont les parents", explique-t-il sur le plateau de France 3 Rhône-Alpes, au lendemain des violences urbaines.