"Les Minguettes sont au cœur de l’histoire de France", le père Delorme joue au prof en racontant la marche des beurs de 1983

Les élèves d’une classe de terminale du lycée professionnel Hélène Boucher, à Vénissieux, ont pu échanger ce jeudi matin avec des organisateurs de la Marche pour l’égalité et contre le racisme qui a eu lieu en octobre 1983. Une rencontre pour apprendre et qui interroge sur ce qui a changé, ou pas, en quatre décennies. A l’époque, cette “montée” à Paris depuis les Minguettes fut un événement historique.

Il y a quarante ans, des jeunes du quartier des Minguettes (Vénissieux) prenaient la décision de monter à Paris pour faire valoir leurs droits, en qualité d’enfants d’immigrés arrivés des bidonvilles dans les années 70 sur ce plateau qui domine Lyon au sud de Lyon. À l’époque, les politiques d’intégration et de la ville faisaient partie du tout nouveau vocabulaire sociopolitique. On était premier dans les tout débuts du premier septennat de François Mitterrand. Cette volonté d’amélioration suscitait d’énormes attentes : la vie, la qualité de vie, l’égalité : cette reconnaissance de toute une génération à jouir des mêmes droits quelles que soient leurs origines.

Dire stop aux violences

Le déclic ? Au tout début de l’été 1983. Dans le quartier Monmousseau, aux Minguettes, un jeune homme de 19 ans se fait tirer dessus par un policier. Ça s’est passé au pied de la tour numéro 10. Nous sommes le 20 juin 1983. Le jeune homme, Toumi Djaïdja, est blessé. C’est depuis son lit d’hôpital qu’il décide de monter une manifestation pacifique concrétisée par une marche depuis Vénissieux jusqu’à la capitale. Aux côtés du jeune homme, un curé : Christian Delorme, qui officie aux Minguettes, que l’on appellera plus tard le “curé des Minguettes”, même longtemps après, lorsqu'il œuvrera à la Cimade. Delorme soutient son initiative et va largement participer à sa réussite. La Marche des Beurs est lancée physiquement depuis Marseille. Les dizaines de jeunes mettront trois mois pour rallier Paris. C'est l’époque du groupe Carte de Séjour et de son tube qui fait chanter et danser les jeunes de l’Hexagone, Douce France...

Les jeunes ont envie de savoir  

Christian Delorme, c'est cet artisan de la marche que les jeunes ont justement rencontré. À 73 ans, celui qui poursuivit son engagement à la Cimade tout en officiant comme prêtre rue de Marseille, à la Guillotière, puis à Oullins, il tente d’apporter des réponses à la jeune génération. Et évoque les événements d’Algérie, les retombées de la guerre à Lyon, et de l’émergence de Martin Luther King aux Etats-Unis. “J’étais passionné par cet homme. Je me souviens de l’époque où il est venu à Lyon pour un meeting à la Bourse du travail, en 1966. C’était incroyable ! Je suis persuadé qu’en fonction de vos rencontres, vos vies peuvent changer. À ce titre, la Marche a été une aventure formidable”, considère le militant des Droits de l’Homme. Qui reconnaît qu'entre cette époque et la mort de Nahel, il y a des similitudes. Dans certains quartiers des Minguettes, des jeunes voulaient réagir contre les violences policières. En mars 1983, des affrontements très violents ont lieu à Monmousseau. Face à l’opération policière prévue par la préfecture pour ramener l’ordre, un groupe de jeunes lance une grève de la faim, se remémore le père Delorme.

À ses côtés, l’historien Yvan Gastaut le dit et le répète : “les Minguettes sont au cœur de l’histoire de France, pas seulement au niveau local. Des jeunes issus de l’immigration ont voulu monter que la France devait faire avec eux, et qu’ils étaient français comme les autres.

Ce qui a pu être gagné avec la marche il y a 40 ans, leurs parents en ont profité. Et eux, d'une certaine manière en bénéficient même si la situation est encore extrêmement compliquée en France. On ressent que ces jeunes ont envie de vivre en paix avec tous. Mais s'ils parlent de racisme, c'est qu'ils le subissent et qu'ils en sont conscients. C'est ça qui est terrible.

Père Christian Delorme, ancien curé des Minguettes et ancien président de la Cimade

Mattéo, 17 ans, n’avait jamais entendu parler de cette histoire de marche, ni même du film qui en a été tiré. “ Mais on ne peut pas dire que 40 ans plus tard, ça fait écho parce que peu de personnes de mon âge connaissent cette histoire. Après, je pense qu’il est important d’en parler. ” Et Mattéo de conclure sur ce qu’il en retiendra : “Ça montre que l’on n'est pas obligé de passer par la violence pour obtenir des résultats et que c’est en étant unis que l’on peut trouver des solutions.”  

Dans l'assistance, des jeunes s’interrogent à voix haute : pourquoi n’y avait-il pas de mélange de la population ? Pourquoi les gens restent entre eux ?  
Yvan Gastaut, qui travaille avec les lycéens sur ces thématiques depuis maintenant trois ans, décrit les modes de renfermement à partir de la religion, de la couleur de peau, de la situation sociale. On aborde aussi la question de l’intolérance, la France multiculturelle, la France métissée. Mais attention, prévient Christian Delorme : “Il y a des quartiers qui s’enferment, ça concerne presque 10 % de la population française. Et, rappelons-le, à côté une belle mixité, même si elle est moins présente qu’il y a 40 ans.”  

Plus tôt dans la matinée, les élèves s’étaient rendus devant la statue de Marianne installée sur le plateau en 1971. C’est là que leur professeur ainsi que l’historien ont rappelé les événements qui ont conduit à cette marche aussi célèbre que Mai 68 ou la coupe du monde de 1998. Quand le “nous” l’emportait.

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