En 2020, la Cour d'appel de Lyon avait condamné le laboratoire pharmaceutique Merck à indemniser plus de 3300 utilisateurs du Levothyrox. Ces derniers avaient souffert d'effets secondaires après un changement de formule. Le laboratoire avait formé un recours devant la Cour de cassation. Elle vient de se prononcer. Retour sur l'affaire.
Un nouveau coup dur ce mercredi 16 mars 2022 pour l'allemand Merck. La Cour de cassation vient de rejeter le pourvoi du laboratoire pharmaceutique allemand. En juin 2020, 3.329 patients avaient obtenu en appel à Lyon la reconnaissance d'un manque d'information de Merck dans la distribution d'une nouvelle formule du Levothyrox. Ce médicament est prescrit pour lutter contre les troubles de la thyroïde.
Levothyrox nouvelle formule...
Le médicament est administré à plus de 3 millions de personnes en France. C'est en mars 2017 que la nouvelle formule du Levothyrox fait son apparition avec de nouveaux excipients. Une nouvelle formule commercialisée à la suite d'une demande de l'Agence nationale de sécurité et du médicament. Dans ce médicament, le principe actif reste le même. Mais le lactose monohydraté est alors remplacé par du mannitol et de l'acide citrique est ajouté. Il s'agit alors de garantir une stabilité plus importante de la teneur en substance active tout le long de la durée de conservation du médicament, selon l'ANSM.
... des effets secondaires pointés du doigt
L'objectif de cette nouvelle formule est de rendre sa concentration plus stable, élément crucial pour l'efficacité. Mais rapidement, alors qu'ils toléraient bien l'ancienne formule, des milliers de patients se plaignent de nombreux troubles tels que des crampes, des maux de tête, des insomnies, des vertiges ou encore des pertes de cheveux. Des effets secondaires liés, selon eux, à la nouvelle formule du Levothyrox. Près de 31 000 patients auraient affirmé souffrir de ces effets indésirables entre mars 2017 et avril 2018. Une pétition pour réclamer le retour de l'ancienne rassemble plus des milliers de signatures.
Un premier procès hors norme à Lyon
En décembre 2018, un nombre impressionnant de plaignants accusent Merck et poursuivent le laboratoire pour "défaut d'information" : la nouvelle formule du Levothyrox était mise en cause par 4113 patients. L'affaire donne lieu à un procès "hors norme" dans une salle d'exposition spécialement louée pour l'occasion par le tribunal d'instance de Lyon. Entre 200 et 300 plaignants constitués en parties civiles sont attendues alors à Villeurbanne.
Le dossier est délicat, la décision de justice est mise en délibéré : elle intervient début mars 2019. Pour les plaignants, ce premier procès au civil est une cruelle désillusion, une douche froide. Les juges lyonnais ne reconnaissent aucune faute de la part du laboratoire. La justice écarte tout manquement du laboratoire pharmaceutique dans le lancement du nouveau Levothyrox. Sur les 4113 plaignants en première instance, 3329 avaient fait appel.
Défaut d'information et préjudice moral : la cour d'appel condamne Merck
Mais rebondissement en juin 2020 : la cour d'appel de Lyon reconnait "une faute" et condamne Merck pour "préjudice moral" avec une indemnisation individuelle de 1000 euros, soit un total de plus de 3,3 millions d'euros, alors que les plaignants réclamaient 10 000 euros par personne. Selon la justice, les patients n'ont pas suffisamment été informés du changement de la formule du médicament, notamment par des mentions claires sur la notice et l'emballage.
Durant ce nouveau procès, la société pharmaceutique a réaffirmé qu'elle ne pouvait pas informer directement les patients, arguant que la loi le lui interdit. Argument balayé par la cour d'appel pour qui le laboratoire "avait l'obligation légale d'informer directement les malades, notamment par la boîte et la notice". Le laboratoire décide de se pourvoir en cassation à la suite de cette décision de la cour d'appel.
Condamnation confirmée en Cassation
Dans son arrêt, la Cour de Cassation confirme aujourd'hui que "lorsque la composition d'un médicament change et que cette évolution de formule n'est pas signalée explicitement dans la notice, le fabricant et l'exploitant peuvent se voir reprocher un défaut d'information", pouvant "causer un préjudice moral".
"La seule mention du mannitol et de l'acide citrique dans un texte dense et imprimé en petits caractères, est insuffisante pour informer les patients d'une évolution de la formule", a estimé la Cour de Cassation.
De même, concernant le préjudice moral, la Cour indique dans son arrêt que "n'ayant pas été informés de l'évolution de la composition du médicament, ses utilisateurs n'ont pas été en mesure de faire face" immédiatement aux effets secondaires. "Ils ont donc subi un préjudice moral temporaire, qui a duré jusqu'à ce qu'ils aient eu connaissance de ce changement de formule".
"C'est d'abord un soulagement car tout le monde craignait une cassation partielle, or l'arrêt confirme à 100% la décision de la Cour d'Appel", s'est félicité l'avocat des plaignants Christophe Lèguevaques, saluant "la confirmation de la responsabilité" de Merck et la reconnaissance du "fait que les plaignants ont subi des préjudices moraux".
- La réaction de Merck
La condamnation du fabriquant et de l’exploitant est donc confirmée par la Cour de Cassation. De son côté, le laboratoire pharmaceutique a "pris acte" de cette "position", mais a déploré dans un communiqué "qu'aucune expertise médicale n'ait été ordonnée et réalisée (...) pour confirmer l'existence ou non d'un lien de causalité entre le passage à la nouvelle formule du Levothyrox et les symptômes rapportés".
Procédure pénale, toujours en cours
Le dossier du Levothyrox n'est cependant pas bouclé. En mars 2018, une information judiciaire contre X pour des faits présumés de tromperie aggravée, homicide et blessures involontaires et mise en danger de la vie d'autrui a été ouverte. Elle est toujours instruite par le pôle santé du TGI de Marseille.
En juin 2019, l'Agence du médicament (ANSM) avait mené une étude sur plus de deux millions de patients. Ses conclusions concernant le passage à la nouvelle formule du Levothyrox : "les résultats ne fournissent pas d’argument en faveur d’un risque augmenté de problèmes de santé graves au cours des mois suivant l’initiation de la nouvelle formule du Levothyrox".
L'agence est aujourd'hui visée par une action collective pour "défaut de vigilance" et "défaut d'anticipation" de quelque 11000 plaignants. Une action lancée en septembre dernier devant le tribunal administratif de Montreuil.
L'ancienne formule encore distribuée
A ce jour en France, environ 2,5 millions de patients utilisent quotidiennement la nouvelle formule du Levothyrox, selon Merck. Moins de 100.000 patients sont aujourd'hui traités avec l'ancienne formule importée depuis fin 2017 sous le nom d'Euthyrox.
La distribution de l'ancienne formule, qui devait s'arrêter, a finalement été prolongée à plusieurs reprises et se poursuivra au moins jusqu'à la fin 2022.