A Villeurbanne et Vaulx-en-Velin, Malika Bellaribi accueille des habitants et les fait chanter de l'opéra. Cette année, "Didon et Enée" de Purcell sera joué en public en juillet par les stagiaires non professionels. Portrait d'une passionnée.
Un banal décor de salle des fêtes, néons au plafond, un piano droit dans un coin; soudain les voix s’élèvent, dont celle de Malika, très pure, à laquelle se joignent des chœurs, puissants : le groupe se met "en voix" avec des exercices de respiration, que les participants répètent, concentrés et attentifs. Un opéra commence, dans une banlieue lyonnaise.
Ce jour-là, c’est le premier acte de "Didon et Enée" qui est répété. Il y a encore pas mal de travail à faire pour que tout soit en place, mais la magie du chant est déjà là, autour d'une personnalité atypique, celle de Malika Bellaribi.
Cette chanteuse lyrique (mezzo-soprano) a connu un parcours atypique. Née en 1956 dans le bidonville de Nanterre, elle découvre la musique classique grâce à des religieuses après un grave accident à l’âge de 3 ans. Très investie depuis 20 ans dans les quartiers défavorisés pour faire découvrir à des publics divers la musique classique et en particulier l’opéra, elle a rapidement été baptisée la "diva des Cités", un titre peut-être réducteur mais qui résume bien son parcours.
Ses ateliers hebdomadaires de chant lyrique à Villeurbanne et Vaulx-en-Velin font le plein. Cette année, les "nouveaux choristes" découvrent "Didon et Enée", l'opéra baroque de Purcell, un choix très contemporain pour Malika : "Ce qui me motive, c'est que cet opéra demande une qualité vocale très importante, c'est-à-dire du beau chant, c'est épuré. C'est une oeuvre très émotionelle. Elle raconte quelque chose que l'on peut retrouver dans la société: les fake news. Dans l'opéra, il y a de la conspiration, de la manipulation, que l'on retrouve dans la vie de tous les jours, et pour moi, c'est se réapproprier des thèmes intemporels. Toutes ces histoires-là ont toujours existé. On n'a rien inventé de plus."
Dans son groupe pas comme les autres, Malika explique en détail ce qui va, et ce qui doit être amélioré, une pédagogie joyeuse, parfois franche et directe, et jamais complaisante. Elle secoue parfois un peu ses stagiaires, les réconforte, va de l’un à l’autre, et ne cesse de chanter. La mise en scène s’élabore en même temps que le travail des voix, et c’est bien là l'une des plus grandes difficultés.
"J'ai confiance en l'humain"
Malika nous confie que pour elle, chanter n'est pas l'apanage de quelques privilégiés, tout le monde peut s'y mettre: "La voix, en chantant, permet d'avoir accès directement à son coeur et à son âme. J'ai confiance en l'humain. Il y a tout un travail sur le ressenti, puisque le corps est un instrument de musique. Ce sont eux (les stagiaires) qui le façonnent petit à petit. Les gens peuvent gérer leur corps, leurs émotions, leurs sensations aussi. On travaille sur le domaine non verbal. Un peu comme un peintre qui fait une toile, chaque son est une couleur. C'est comme çà que je travaille. Là des personnes sont handicapées. Tout le monde peut chanter, quel que soit l'âge. La difficulté c'est d'être en contact avec sa respiration, d'apprendre à s'écouter. On est dans une société où l'on n'écoute pas son corps. C'est comme un voyage intérieur avec soi-même. L'être humain est bon. Ca veut dire qu'on peut changer, faire plein de choses. On n'est pas obligé d'être dans des valeurs marchandes. L'artiste il n'est pas là-dedans."Apprendre à chanter
Les participants sont de toutes origines, la plupart ont passé la cinquantaine et n’avaient jamais imaginé chanter, encore moins du lyrique. Tous sont emballés par ce qu’ils découvrent, et par la personnalité de Malika.
Nadia est professeur d'anglais à Lyon. Elle n'écoutait pas l'opéra auparavant, maintenant cela fait partie de son quotidien et chante très souvent : "J'ai été conquise dès le premier cours. C'est très fort. Avant, je ne chantais que sous la douche. Je ne pensais pas chanter de l'opéra. Avec la persévérance, la passion, on arrive à beaucoup de choses."
Mohammed est originaire de Tunisie. Il n'avait jamais chanté comme cela, et se dit encore surpris d'avoir réussi: "Dans la vie il faut connaître des choses. L'opéra, ça vous donne confiance. Il y a des gens de toutes les couleurs, et çà me fait plaisir. Dans la vie, il ne faut pas rester dans un coin à rien faire."
Deux représentations sont ouvertes au public, les vendredi 5 et samedi 6 juillet, au parc de la Tête d’Or et à la cathédrale Saint-Jean.