Qu'ils soient associatifs, municipaux ou privés, les jardins familiaux suscitent un engouement qui ne se dément pas depuis la crise Covid. Les listes d’attente s’allongent et les heureux élus bénéficient des avantages de cette offre : la solidarité et des économies substantielles en période d’inflation sur les légumes frais.
Souvenez-vous, on les appelait les jardins ouvriers. À l’époque, à Lyon, à la fin du XIXe, dans les premières années du XXe, ces jardins voient le jour sur proposition d’industriels catholiques, d’autres plutôt d’obédience humaniste. Côtés ouvriers, le syndicat des typographes lyonnais monte au créneau et demande à rencontrer le maire de Lyon. Nous sommes en 1916 et la guerre fait rage. Les familles de la classe ouvrière ont de plus en plus de mal à faire bouillir la marmite. Le maire de l’époque, Edouard Herriot, concède des terrains qui seront parcellisés en jardins pour plusieurs centaines de familles nécessiteuses.
Le jardin familial, un plus pour des économies
Un bon siècle plus tard, les jardins se comptent par milliers dans l'agglomération lyonnaise. Souvent implantés légèrement en périphérie, ils constituent le premier niveau de la couronne verte. Sauf peut-être la trentaine de parcelles du Jardin du Livre (nom relatif aux typographes, l'une des trois sections des jardins de l'AJOCL) en partie intégré au parc de Gerland.
Georges Dufour, 71 ans, y a planté ses choux il y a une dizaine d’années, avant de prendre sa retraite. Il a décidé cette année de noter ses récoltes. Et d’aligner ses chiffres comme on fait ses rangs de poireaux : 100 kg de tomates, 70 kg de pommes de terre nouvelles, 10 kg d’asperges (qui viennent de finir) tout cela dans un potager de 100m², la moyenne des superficies cultivées par chaque famille. “Et ça donne pratiquement toute l’année, différentes variétés de choux en hiver, des poireaux et de la salade 9 mois sur 12 !, avance cet ingénieur météo, plutôt pointilleux sur les chiffres. D'ailleurs, je l’ai lu dans plusieurs revues, mais je n’en connais pas les sources, un potager d’une centaine de m2 nourrit une famille de deux parents avec deux enfants. L’équivalent d’une économie d’un Smic par an.”
Presque autonomes sur les légumes
La plupart, pour ne pas dire tous les cultivateurs urbains, aiment faire leur potager. Rares sont ceux qui le font par nécessité exclusivement, fait remarquer Sylvie Léviller, la secrétaire de l’association “Les jardins du Lyonnais et de la Xavière” dont les 25 sites totalisent 1025 jardins répartis tout autour de Lyon et Villeurbanne.
Il n’empêche, ceux qui sont disposés à consacrer le temps nécessaire à leurs plantations s’y retrouvent largement, bien que ces dernières années, le prix des graines ait considérablement augmenté, fait valoir Gérard Colin, qui gère une parcelle de 200 m², entre les quartiers villeurbannais de Croix Luizet et Cusset. Avec son jardin, il estime parvenir à une autonomie alimentaire de 80% sur les légumes et les fruits rouges.
Pour Christian Bichat, installé à Chassieu (jardins créés en 1983), au milieu de 107 parcelles, ces jardins jouent comme un amortisseur inflation pour certaines familles. “Cela évite pour certaines d’aller au marché ou au supermarché, mais c’est beaucoup de travail et au minimum deux jours de travail par semaine, prévient-il. Ça fait peut-être une économie de 120 à 160 euros par mois.” Une estimation qui rejoint celle de Denis Badard, infirmier de 45 ans, depuis son jardin coincé entre le périphérique, à Vénissieux, et le virage du parc de Parilly. “Je connais des gens qui arrivent à une autonomie de six mois sur l'année. En plus, certains tirent profit de leurs cultures avec un grand nombre de plantes aromatiques et de plantes à vertu médicinale. Et le tout en mangeant bio !"
Des gestes désormais bien ancrés
Manger bio... C’est l’un des points positifs des jardins familiaux. Depuis 2019 notamment, date à laquelle les jardiniers amateurs ne peuvent plus acheter, utiliser ou stocker d’intrants de synthèse pour désherber ou lutter contre les insectes et les champignons. Résultat, les engrais et autres produits chimiques ne sont plus du tout les bienvenus dans les parcelles. Les associations et les collectivités sont scrupuleuses sur cette question.
À Vénissieux, les jardiniers des 52 parcelles cultivent non seulement en bio, mais se lancent dans des expérimentations. “On teste des variantes en permaculture, en culture sur mushage, en sylvioculture (sur des épaisseurs de foin). Grâce à la présence du parc de Parilly pas loin, on essaie de recréer de l’humus dans lequel on ajoute des broyats de branches ou de tonte. Pour le fumier, on fait appel au club de poney du parc.”
À Croix-Luizet, le fumier de bovin provient d’une ferme des environs. Quant aux pucerons, les coccinelles s’en chargent. De partout, le compostage est de rigueur et le paillage pour assurer un bon niveau d’humidité de la terre.
On cultive bien les échanges
Et qui dit bio, qui dit expérimentations, dit aussi rencontres, discussions, échanges et solidarité. “On parle très rarement de politique ou de religion”, disent en chœur la plupart des personnes interviewées. Christian Bichat, retraité de la Direction de jeunesse et sports, apprécie le partage, la vraie mixité qui règne dans ces espaces verdoyants. “Il n’y a pas de communautés, quelles qu’elles soient. On passe beaucoup de temps à échanger nos savoir-faire, un peu comme dans n’importe quelle vie associative, ajoute-t-il.
Si les retraités se taillent la part des rangs d’oignons, les familles avec enfants et les jeunes de 25 à 30 ans sont de plus en plus présents. Tous doivent gérer leur surface avec sérieux, ce que demande la Fédération des jardins familiaux et collectifs. Et naturellement, les familles nouent contact autour du dénominateur commun, le jardinage. “Le fait de privilégier les modes de culture vertueux pour mieux respecter les écosystèmes, d’être sensibles au vivant donne lieu à des rencontres enrichissantes, remarque Denis Badard. Je constate beaucoup d’entraide.“