À Décines, une communauté arménienne fuyant le génocide de 1915, s'est construit un nouveau destin depuis le début du 20e siècle. Génocide, exil, résistance : tous se disent héritiers d'une histoire dont Missak et Méliné Manoukian sont des dénominateurs communs.
La ville de Décines, près de Lyon, a été en partie construite par les Arméniens. Arrivés dans les années 20, plusieurs générations se sont succédé avec, en commun, une histoire tragique et génocidaire. Quelques heures avant l'entrée au Panthéon de Missak Manoukian, les membres du centre national pour la mémoire arménienne installent une exposition en son honneur, leur objectif : montrer comment cette entrée au Panthéon créé un lien indéfectible entre l'histoire de France et l'histoire des Arméniens.
"Le peuple arménien a connu énormément de souffrances et de tragédie dans son histoire et lorsque Manouchian arrive en France il a cela en lui et c'est aussi ce qui lui a permis de devenir ce héros" explique Freddy Hagop Sabuncu, président du CNMA.
Dans les couloirs du centre de la mémoire arménienne, le passé s'affiche aux côtés du présent. Des photos de femmes et d'enfants déplacés pendant la guerre en Azerbaijan invitent à se mobiliser aussi pour les 150 000 exilés, aujourd'hui sur les routes : "Missak Manouchian est un de nos symboles et on s'inspire de lui. À son image, nous devons, nous aussi, avoir cette forme de résistance par rapport à l'actualité qui touche l'Arménie et le peuple arménien", ajoute Freddy Hagop Sabuncu.
Le poète résistant entre dans la culture française
Ses textes sont aujourd'hui réédités et traduits. "C'est aussi le poète qui va faire son entrée dans les établissements scolaires et dans la culture française", estime Razmik Haboyan, coordinateur culturel du CNMA.
Ouvre-toi mon âme, ouvre-toi au soleil, lance tes chagrins d'hier dans le sombre gouffre. Écrase ta conscience, les anciens liens de ton esprit. Et laisse voguer ton bateau dans le moment présent
Missak Manouchian
Une exposition retraçant le parcours du résistant poète peut être visitée au centre national de la culture arménienne, deux projections ont également été organisées dans le cadre de son entrée au Panthéon.
Décines, la petite Arménie
Après le génocide de 1915, 1.5 millions de personnes ont fui en diaspora. Vers 1922, 65 000 Arméniens arrivent en France, essentiellement par Marseille. Les familles sont éclatées et les jeunes grandissent dans des orphelinats puis sont réorientés vers les bassins d'emploi.
À Décines, il y a du travail dans deux usines qui les embauchent, l'usine Gifrer qui fabrique de l'éther et l'entreprise lyonnaise de la soie artificielle. Dans les premières années, la majorité de la population à Décines est étrangère, la moitié de ces étrangers sont arméniens.
En une dizaine d'années, des bâtiments collectifs sont créés, une maison du peuple, une église en 1947. Décines s'agrandit ensuite. Construite par ses habitants, puis les usines ferment, les ouvriers se reconvertissent dans de nouvelles activités. Certains rêvent de partir, d'autres restent... Et aujourd'hui dans cette ville construite sur des fondations d'exils, s'ancrent les destins de plusieurs générations d'Arméniens.