Marche des beurs : 40 ans après, que reste-t-il de la marche pour l’égalité ?

Le 15 octobre 1983, une poignée d'habitants des Minguettes, un quartier de Vénissieux, situé près de Lyon, marchaient en direction de Paris, luttant contre le racisme et pour l'égalité. Rejoint par des centaines de milliers de personnes, le mouvement fut l'un des premiers de son genre en France. Quarante ans après, les habitants des quartiers populaires sont toujours autant esseulés.

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Il y a 40 ans, le 15 octobre 1983, dix-sept personnes, dont neuf issues du quartier des Minguettes à Vénissieux, au sud de Lyon, initiaient une “marche pour l’égalité”. Une réponse à la violence urbaine subie dans le quartier au cours de l’été 1983 : Toumi Djaïdja, président de l'association SOS Avenir Minguettes, se faisait alors tirer dessus par un policier. 

Au départ de La Cayolle à Marseille, le cortège a rapidement pris de l’ampleur, réunissant 1000 personnes à son passage à Lyon, puis 100 000 participants le 3 décembre à son arrivée à Paris. La marche des beurs était née, la première manifestation nationale de son genre en France.  

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Le 03 décembre 1993, un reportage est consacré au 10ᵉ anniversaire de la Marche de la liberté, avec les interviews de plusieurs marcheurs : Farouk Sekkai, le Père Christian Delorme et Farid L'Haoua. ©INA

Pourtant, quelques mois plus tard, le mouvement s’essoufflait déjà. “Trois ans, quasiment jours pour jour après l’arrivée à Paris, c'était la mort de Malik Koussi. C'est-à-dire que cet espoir qui était là en 1983, il n’a pas été suivi d’effets”, explique Renaud Payre, vice-président de la métropole de Lyon, responsable de la politique de la ville.  

En 40 ans, rien n’a changé  

“On est en train de tourner en rond. Il y a eu de la violence il y a 40 ans et cet été, encore de la violence policière. Est-ce que l’on a tiré les leçons de ces années 80 ans dans nos quartiers populaires, je ne pense pas”.  

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Mokrame Kessi lui, est né et a grandi aux Minguettes. S’il n’a pas participé à la “marche des Beurs”, il a attentivement observé ses grands frères et les habitants de son quartier y participer. Aujourd’hui président de France des banlieues, il se désole de voir que depuis 1983, l’objectif de non-violence a complètement disparu.  

“On est en plein dans la violence et cette violence-là, elle vient de certains policiers qui discréditent d’ailleurs l’institution policière. Ce sont ces policiers qui se permettent d’abattre des gamins de nos quartiers à bout portant et c’est ce qui a donné les émeutes ou plutôt les révoltes de nos quartiers en juillet dernier”.  

Une fracture profonde de la société  

Des citoyens de seconde zone, discriminés, isolés. C’est de cette manière que les habitants des quartiers populaires se perçoivent à travers les yeux du reste de la société et de ses gouvernants. “Ça fait très longtemps que les banlieues sont montrées uniquement quand il se passe quelque chose qui flambe”, souligne Isabelle Garcin-Marrou, professeur en sciences de l’information et de la communication à Sciences Po Lyon.  

"Tout ce qui relève du travail quotidien, de l’ordre de la non-violence, des associations, ça n’est pas montré. Ce qui subsiste, ce sont des images de voitures qui brulent”. Et la parenthèse des confinements, ou les travailleurs essentiels issus de ces quartiers ont davantage étaient mis en lumière, n’a pas suffi à redorer l’image des quartiers.  

En 40 ans, que s'est-il passé ? 

"Toutes les structures intermédiaires qui faisaient le tissu social de l’ensemble de nos quartiers se sont dévitalisés. Parce que l’on a moins payé, parce que l’on n'a pas su les accompagner, et ça aussi il faut le dire, la plupart de nos quartiers populaires se trouvent dans des communes pauvres, qui n’ont pas les mêmes budgets que les autres communes.”

Renaud Payre

Vice-président de la métropole de Lyon, responsable de la politique de la ville

Mokrane Kessi regrette que les associations, les éducateurs, toutes ces structures aient déserté les quartiers, là où il y a des années, au sortir de la marche des beurs, “on a créé des associations, mis en place su soutien scolaire […] on a fait du collectif, créer des lieux de vie, refait du lien social pour que les gens se parlent et se connaissent”.  

Aujourd’hui, dans ces quartiers – ils sont 43 et regroupent 173 000 habitants dans le Rhône - on retrouve aujourd’hui 40 % d’habitats pauvres, 30 % de jeunes sans formations. Sur le plateau des Minguettes, 50 % des moins de 25 ans sont au chômage. 

Les jeunes "n'ont trouvé que la violence comme solution" 

Pour Wassim Moulin, responsable de l’association Vaulx Académia, le choix de la violence s'impose aux jeunes pour s’exprimer et compter dans le débat public. “On remarque que les jeunes de banlieue en ont ras-le-bol. Et donc face à ce ras-le-bol, ils n’ont trouvé que la violence comme solution. Grace ou à cause de ces violences, on les regarde et on les écoute, ce que l’on ne faisait pas depuis un certain temps”, explique le jeune homme qui vient en aides aux personnes isolées.  

Les émeutes de juillet dernier qui ont mis à feu et à cendre la France entière l’ont très clairement prouvé. À la suite de la mort de Nahel M abattu par un policier le 27 juin lors d’un contrôle de police avec refus d’obtempérer, s’en sont suivi des jours et des jours de violences dans les rues françaises, y compris à Lyon, jusqu’à provoquer la mort de deux personnes, sur fonds de revendications sociales.  

Des forces de police supplémentaires ?  

“Absolument pas. On a eu la police de sécurité du quotidien, on a eu la BAC. Est-ce que ça a résolu les problèmes dans nos quartiers ? Je ne crois pas”, souligne Mokrame Kessi. Le responsable de France Banlieue préconise le dialogue, afin d’éviter de déporter le problème ailleurs.  

“Je crois qu’il faut à un moment que l’état prenne ses responsabilités et fasse un état des lieux de nos quartiers. En faisant cet état des lieux, il faudra impérativement impliquer les habitants et les jeunes de nos quartiers dans la politique de la ville, ce qui n’est pas fait depuis 40 ans”.  

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