Déjà poursuivi pour "tromperie aggravée" et "blessures involontaires", le groupe pharmaceutique Sanofi a été une nouvelle fois mis en examen lundi 3 août 2020, mais cette fois pour "homicides involontaires", dans le cadre du scandale de la Dépakine. Des victimes ont tenu à réagir.
Karl a tenu à prendre le téléphone lorsque nous avons appelé sa maman, au lendemain de la nouvelle mise en examen du groupe pharmaceutique Sanofi dans le cadre du scandale de la Dépakine. À la question de savoir comment il va, le jeune garçon, âgé de 11 ans, répond que "ça pourrait aller mieux". Karl est né avec une malformation de la boîte crânienne, diagnostiquée à plus de huit mois de grossesse de sa maman, sous Dépakine depuis son plus jeune âge. Mais que sait le jeune garçon de ce médicament et des plaintes des victimes de cet antiépileptique ? Voici sa réponse :
Je pense qu'ils méritent bien leurs plaintes. Ce n'est pas bien d'abandonner les gens comme cela. J'ai eu beaucoup d'opérations à cause d'eux, j'ai une grosse cicatrice. J'ai dû partir en urgence à l'hôpital en hélicoptère quand j'avais 5 ans. Et maintenant quand je reviens à Lyon, c'est un peu dur. Dès que je suis dans les couloirs (de l'hôpital), ça me rappelle des mauvais souvenirs.
Pour ces vacances d'été, Karl indique qu'il ne fait rien de spécial. Sa maman, Corinne Salmagne nous confie qu'il est handicapé à 80% et plus. Qu'en raison de la fragilité de sa boîte crânienne, son troisième enfant ne peut s'amuser comme beaucoup d'autres : balançoire, trampoline, des sports comme le rugby, Karl ne peut pas en faire.
► "Que les enfants soient reconnus victimes"
Corinne Salmagne est sous traitement antiépileptique depuis l'âge de 3 ans. Elle en a aujourd'hui 50, et a mené à terme trois grossesses. Troubles génétiques, autistiques, respiratoires : ses trois enfants subissent les effets attribués à la Dépakine.En 2016, elle prend contact avec l'Apesac, l'Association d'aide aux parents d'enfants souffrant du syndrome de l'anti-convulsivant, à l'origine de l'enquête ouverte la même année auprès du tribunal judiciaire de Paris. Corinne Salmagne commence à constituer un dossier.
La nouvelle mise en examen de Sanofi pour "homicides involontaires" est, pour elle, un signe d'espoir. "J'y crois. La roue, elle tourne" déclare la maman de Karl.
J'attends que Sanofi et l'État soient condamnés, qu'ils assument leurs responsabilités. Les victimes ont été entendues pour le Médiator, pourquoi pas pour la Dépakine ?
La molécule en cause, le valproate de sodium, est commercialisée depuis 1967 sous la marque Dépakine par Sanofi, mais aussi sous des marques génériques. Un traitement à vie pour Corinne Salmagne. "J'essaye d'arrêter" confie-t-elle, mais il n'y a pas vraiment d'alternative. Sans parler de la crainte de "se retrouver seule avec Karl à la maison, son mari travaillant de nuit, et de faire une crise d'épilepsie".
► 8 kilos de justificatifs envoyé pour une indemnisation jugée dérisoire
En France, 15.000 à 30.000 enfants sont handicapés à cause du valproate de sodium, selon les études. Parallèlement aux procédures judiciaires en cours sur ce scandale, plus d'un millier de dossiers ont été déposés à l'Oniam, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux.Corinne Salmagne "a l'impression de faire la manche", face à la proposition d'indemnisation reçue, "un montant dérisoire" au regard de la longueur de la procédure, des justificatifs demandés. "C'est honteux" s'emporte-t-elle alors que plusieurs fois par an, elle fait avec Karl l'aller-retour entre la Haute-Savoie et Lyon pour son suivi médical.
Karl a été trépané 3 fois. Il se réveillait de ses opérations avec 87 agrafes sur le crâne. Il a été en arrêt cardio-respiratoire. Et son taux de souffrance est évalué à 3 ou 4 ? Sans la moindre expertise. Nul n'a le droit de vie ou de mort sur personne. Mais ils tuent nos enfants doucement, ainsi que les parents qui se battent.
"Sanofi Aventis France a respecté ses obligations d'information et conteste le bien fondé de ces poursuites", a réagi le 3 août 2020 le groupe pharmaceutique dans une communication à l'AFP. Il indique avoir "saisi la chambre de l'instruction afin de contester sa mise
en examen" et met en avant le fait que "l'ensemble de ces éléments ne préjuge en rien de la responsabilité du laboratoire".
Selon le quotidien Le Monde qui a révélé la nouvelle mise en examen de Sanofi, "l'information judiciaire vise désormais à déterminer si le laboratoire peut être tenu responsable de la mort en 1990, 1996, 2011 et 2014, de quatre bébés âgés de quelques semaines ou quelques mois, dont les mères, au cours de leur grossesse, avaient pris de la Dépakine".