Des associations attaquent l'arrêté pris par la préfecture du Rhône, interdisant le stationnement des camionnettes dans le secteur de Gerland. Cette zone est historiquement investie par des prostituées. Les travailleuses du sexe et leurs soutiens dénoncent des conséquences sécuritaires, sanitaires et financières délétères.
La fédération Parapluie rouge, qui regroupe des associations et collectifs défendant les droits des travailleurs du sexe, a déposé un référé mardi 16 mai 2023 au tribunal administratif de Lyon contre l'arrêté pris par la préfecture du Rhône sur le stationnement des camionnettes dans le quartier de Gerland.
Pour la fédération, cet arrêté porte "atteinte aux droits fondamentaux des femmes [travailleuses du sexe] et nuisent à leur bien-être et leur sécurité".
Conséquences sur leur santé et leur sécurité
Cet arrêté a entrainé la dispersion forcée des travailleuses du sexe, les éloignant de l'accompagnement sanitaire que les associations tâchent de leur apporter au quotidien. "De nombreuses femmes n'ont pas pu bénéficier de tests de dépistage du VIH et ignorent peut-être qu'elles sont contaminées et nous comptons de nombreuses sorties de parcours de soin : dentiste, gynéco, IVG, vaccinations, etc", écrit la fédération
Les agresseurs disent que la préfecture est de leur bord, ne nous protège pas et que nous sommes prêtes à tout pour un peu de monnaie. Ils se sentent protégés par cette décision publique.
Les travailleuses du sexe en camion-maison de Gerland-GenzymCommuniqué
Cette décision serait également délétère en termes de sécurité pour elles. Dans un communiqué signé des "travailleuses du sexe en camion-maison de Gerland-Genzym", elles expliquent que depuis l'arrêté, des "négociateurs" proposent des rapports sans préservatif, et des "personnes malveillantes" les suivent quand elles quittent leur lieu de travail nocturne.
"Ils disent que la préfecture est de leur bord, ne nous protège pas et que nous sommes prêtes à tout pour un peu de monnaie. Les agresseurs se sentent protégés par cette décision publique", dénoncent-elles.
Conséquences financières
La fédération Parapluie rouge évoque, par ailleurs, des répercussions financières "catastrophiques" pour les TDS. Elles voient leurs revenus "diminuer considérablement". Nombreuses sont celles qui élèvent "seules leurs enfants ou soutiennent un parent malade."
L'arrêté a également entrainé la mise en fourrière de nombreux véhicules dès son premier jour d'application, assortie d'une amende de 135 euros. La mairie du 7e arrondissement de Lyon s'est engagée à prendre en charge les frais de fourrière afin que les travailleuses du sexe puissent récupérer leur véhicule, qui leur sert aussi de toit pour certaines. Entre vingt et trente véhicules seraient concernés.
Mais l'arrêté couvre finalement tout le quartier de Gerland, il touche alors aussi d'autres filles qui travaillent de nuit un peu partout dans l'agglomération et qui viennent de jour pour se reposer. On estime qu'elles sont entre 100 et 300 !
Lola Levy, référente association Cabiria
Conséquences sur le suivi associatif
Au-delà de toutes les conséquences évoquées précédemment, Lola Levy s'émeut particulièrement du tapage politique et médiatique qui nuit particulièrement au travail mené par les associations pour venir en aide à ce public particulièrement vulnérable.
"Premièrement, on a perdu la trace de la trentaine de filles qui se prostituaient de jour dans les rues adjacentes au stade de Gerland", explique-t-elle. Celles-ci étaient au cœur d'une polémique naissante.
En novembre 2022, une pétition demandait le déplacement des camionnettes, du fait que 800 enfants s'entrainent tous les mercredis sur la plaine des jeux. Et la préfecture s'est servie du motif de la prochaine Coupe du monde de rugby pour prendre son arrêté.
"Mais l'arrêté couvre finalement tout le quartier de Gerland, il touche alors aussi d'autres filles qui travaillent de nuit un peu partout dans l'agglomération et qui viennent de jour pour se reposer". D'après Lola Levy, ces filles n'ont aucun rapport avec les travailleuses du sexe des rues adjacentes au stade. "On estime qu'elles sont entre 100 et 300 ", déplore la militante.
"Maintenant, ces filles sont en panique", poursuit Lola Lévy. "Impossible de poursuivre des suivis privés puisque dès que nous venons, elles se massent en groupe pour connaître les avancées de la situation".
Pour la militante, le constat est clair : plus il y a du remous politique et médiatique, plus leur travail de prévention et de suivi de ce public vulnérable est difficile à mener.
Atteinte à la tranquillité publique
De son côté, la préfecture avait justifié son arrêté en raison d'une atteinte manifeste à la tranquillité publique. Il précise que "les activités de prostitution exercées en camionnettes, dont le nombre atteint plus d'une centaine de véhicules en stationnement sur la voie publique (...) entraînent une dégradation des conditions sanitaires (...) et depuis plusieurs mois une augmentation des faits de violence, de vol, de dégradations de véhicules et d'agressions (...). Ces activités de prostitution (...) portent désormais une atteinte manifeste à la tranquillité publique".
Dans un communiqué, la préfecture souhaitait rappeler le travail de prévention et d'accompagnement social, sanitaire, juridique et d'insertion professionnelle entrepris avec l'appui de deux associations agréées par l’État : l'Amicale du Nid 69 et le Mouvement du Nid 69. "Depuis la mise en œuvre fin 2018 de la commission départementale de lutte contre la prostitution, le proxénétisme et la traite d’être humains, 70 personnes ont pu bénéficier d'un parcours de sortie de la prostitution. 82% des personnes sorties sont en emploi, soustraites à l'emprise des réseaux qui les exploitent".
La situation des travailleuses du sexe de Gerland fera l'objet de questions au gouvernement par la députée EELV Marie-Charlotte Garin et la sénatrice écologiste Raymonde Poncet-Monge.