Pendant quatre ans, une infirmière lyonnaise Séraphine Pommier a raconté son quotidien au chevet des gueules cassées, des blessés de retour du front. Le témoignage de cette infirmière de la grande Guerre aurait pu tomber dans l'oubli.
C’est un trésor de guerre inestimable et inédit qui est dévoilé plus d'un siècle après la fin de la première guerre mondiale. Un récit couché sur 1705 pages. Une écriture fine aux lettres serrées, des mots tracés à la plume par une infirmière. Ce récit c'est le quotidien de Séraphine Pommier, jeune Lyonnaise de 30 ans issue d’un milieu bourgeois. Il est rédigé à la manière d'un journal de bord, jour après jour, pendant 4 ans. Durant le conflit, Séraphine Pommier était infirmière auxiliaire pour la Croix-Rouge, en poste à Meximieux dans l’Ain, puis à Lyon.
Récits détaillés
"J’ai assisté ce matin au pansement d'un homme qui a eu les pieds gelés. C'est affreux à voir, la peau toute noire se détache comme un doigt de gant," écrit Séraphine qui ne s'épargne aucun détail. La jeune fille de bonne famille, qui a commencé sans formation, décrit les soldats qu'elle voit arriver à l'hôpital de Meximieux. "Elle note exactement les jours d'arrivée, de départ, la maladie, le type de blessures de ces hommes...Tout est nouveau pour elle. Elle note tout", explique l'historien Patrick Rolland. Les convois de blessés qui arrivent parfois en pleine nuit. Elle va même jusqu'à faire des tableaux détaillés des entrées et des sorties. La jeune infirmière écrit tous les jours absolument tout ce qu'elle voit. Son témoignage est d'une richesse exceptionnelle.
Les soins aux blessés se font le matin et l’après-midi Séraphine occupe les soldats, tente de les distraire. Dans ses carnets, elle fait le récit minutieux de ces journées loin du front. Et pendant toute la durée de la Grande Guerre, Séraphine Pommier ne va pas se contenter d'écrire, elle va aussi dessiner son quotidien au chevet de ces poilus blessés qu'elle a croqué sur le vif.
L'infirmière, qui a acheté un appareil photo, immortalise aussi ces soldats, prend parfois la pause avec eux. Elle écrit aussi aux familles joignant souvent les clichés aux lettres.
Dans les cahiers de Séraphine Pommier, on trouve la trace de 532 noms de soldats. Au total, elle aurait croisé plus de 760 poilus. Ils viennent de toute la France. Ce témoignage écrit était resté dans la famille Pommier jusqu’à ce jour. Et les cahiers auraient pu tomber dans l'oubli.
"Je n'avais pas tout de suite compris que j'avais là quelque chose d'exceptionnel".
Jacques PommierFamille de Séraphine Pommier
"Vous voulez que je vous fasse une confidence ? La première fois que ma marraine me l'a donné, je l'ai rangé dans une bibliothèque et je ne l'ai pas regardé, explique Jacques Pommier, un des neveux de l'infirmière de guerre. Il a attendu près de dix ans avant de revenir ce journal et de le dévorer.
"C'est ma guerre !"
L'historien Patrick Rolland, a lu et relu ce journal de bord. Le quotidien de la jeune infirmière est devenu le sien, il en a fait un livre. "Avant même de le lire complètement, je me suis dis c'est une chance inespérée de trouver un tel trésor quand ont est historien. Une chance inespérée de tomber sur les mémoires, au jour le jour, de quelqu'un qui s'intéresse à tout ce qui se passe autour d'elle". L'historien a relu le texte au moins un dizaine de fois pour parvenir à en tirer près de 300 pages.
Séraphine, je la connais peut-être mieux que sa propre famille... C'est le seul témoigne assez long, sur 4 années, d'une infirmière.
Patrick Rollandhistorien
Mais pas de récit de sa vie privée dans ces pages manuscrites. "Séraphine ne parle pas d'elle, elle ne parle pas de sa vie privée et de son intimité, pas de ses sentiments. Elle est un soldat. Elle fait son service comme les autres. Elle écrit : c'est ma guerre !", explique l'historien. Les carnets de Séraphine seront bientôt exposés au musée de la Grande Guerre de Meaux.
En 1918, Séraphine Pommier termine ses notes par cette réflexion : "Que sont devenus tous ces hommes qui ont passé entre mains ? Beaucoup sont morts, quelques-uns m'écrivent encore. Je vais tâcher de savoir le sort de ceux qui m’ont écrit pendant quelques temps et ont cessé ensuite. J’ai leurs adresses et pourrai me procurer de leurs nouvelles..."
>> Patrick Rolland : "Journal de Séraphine Pommier, infirmière pendant la Grande Guerre - 1914 -1918" (Editions Les Passionnés de Bouquins)