Julie vit dans le 5e arrondissement de Lyon avec son conjoint. A 33 ans, la jeune femme a traversé quinze mois de cancer du sein. Elle vient de célébrer sa rémission fin septembre et revient sur cette maladie qui touche chaque année près de 3 000 femmes de moins de 40 ans.
"En novembre 2020, j’ai senti une petite boule en bas de mon sein sous le mamelon, ça ne se voyait pas, car elle faisait moins d’un centimètre", se rappelle Julie. Inquiète, elle prend immédiatement rendez-vous à l’hôpital de Funchal sur l’île de Madère où elle vit depuis plusieurs mois. Une échographie et une biopsie plus tard, on lui annonce un fibroadénome, bénin. Julie est rassurée et décide de rester vivre un peu plus dans l’archipel portugais, alors en plein confinement.
Pour des raisons personnelles, Julie rentre finalement en France. De son côté, la boule a continué de grossir. "Je la sentais prendre de la place alors, je suis allée chez un gynécologue à Lyon qui m’a à nouveau rassurée, mais j’ai insisté pour avoir un contrôle." Cette fois, après une IRM, on lui apprend qu’il s’agit d’un "hamartome", là aussi, sans risque, mais la masse graisseuse n’arrête pas sa croissance. Six mois plus tard, la jeune femme subit une nouvelle biopsie. Finalement, elle est convoquée le 22 avril 2022 à Lyon pour les résultats. Soit un an et demi après la découverte de son nodule. "Le radiologue m’a informée de manière très froide qu’il s’agissait de cellules cancéreuses. J’avais donc un cancer", explique la jeune femme.
"Je me suis dit, je l’ai cherché"
Deux heures après l’annonce du radiologue, Julie est envoyée chez un chirurgien. "Tout ce qui avait de l’importance s’était évanoui, j’ai enchainé les rendez-vous avec Ugo, mon conjoint. On nous a dit que c’était un cancer lié aux hormones, que j’allais perdre mes cheveux, que ça allait durer un petit moment." Julie ne réalise pas. Comme pour beaucoup de patients, le choc la rend incapable de retenir les détails donnés par le chirurgien et l’ampleur de ce qui l’attend. "Heureusement, Ugo note tout le protocole et les rendez-vous à venir." On lui promet un cocktail d’injections de chimiothérapie pendant un an au moins.
Julie se décrit comme "une fêtarde". Elle voyage dans toute l'Europe, vit en Angleterre puis au Portugal. Elle aime s’amuser, danser et profiter de sa jeunesse. "Je ne prenais pas soin de mon corps, je fumais, je buvais pas mal, je me suis dit que je l’avais cherché." Comme si, tous ces moments passés à vivre "à fond" avaient un prix. "Le cancer signait la fin de ma liberté, de mon insouciance", confie-t-elle. Aujourd’hui encore, Julie éprouve le même sentiment. "Une histoire de karma" selon elle ou bien une manière d’encaisser l’impensable. À 30 ans, on n’imagine pas tomber malade.
"J’avais la sensation de signer un contrat pour un poste que je ne voulais pas." Éprise de liberté, la jeune Lyonnaise a l’impression que son monde s’écroule. "Tous les projets que j’avais étaient désormais en suspens, j’étais terrifiée à l’idée d’avoir ma première opération." Ugo la soutient. Le couple se connait depuis près de quatorze ans, mais vient tout juste de commencer une relation amoureuse. Ensemble, ils affrontent le jargon médical et cochent "des petites croix dans le calendrier" pour chaque jour marquant une séance de chimiothérapie.
La première injection est prévue trois semaines après l’annonce de son cancer. La "boule" mesure désormais 6 cm. "On aurait dit un troisième sein qui poussait", rit nerveusement Julie. Alors, la jeune Lyonnaise décide d’organiser une grande fête pour l’annoncer à tous ses proches. "Je me suis sentie obligée d’en parler, d’expliquer et de prévenir tout mon entourage", explique Julie.
A posteriori, elle regrette ce choix. "J’aurais pu attendre, mais tout allait si vite, tout devenait une urgence. Je devais rassurer tout le monde, promettre que tout irait bien alors que j’étais totalement déboussolée." Gérer l’inquiétude des autres, la fatigue. Julie s’inquiète surtout de voir ses plans tomber à l’eau. "J’allais reprendre mes études en CAP tapisserie en alternance et je quittais mon appartement pour m’installer avec mon conjoint." Elle annonce à son futur employeur sa maladie. "Je ne voulais pas abandonner et heureusement mon entreprise a accepté que je travaille, c’est aussi ce qui m’a fait tenir". Financièrement, aussi, elle est soutenue par ses plus proches amis qui lancent une cagnotte participative pour l’aider. "La majorité des traitements est remboursée en France, mais il y a plein de crèmes, de shampoings, d’autres soins pour le corps et ça coûte très cher."
"Mon corps ne m’appartenait plus"
La première chimiothérapie la met K.O. Deux semaines plus tard, ses longs cheveux auburn commencent à tomber. "Je me rappelle faire le ménage pour rendre mon appartement et des mèches par poignée tombaient en même temps que je passais l'aspirateur." Cheveux, poils, cils. La jeune femme ne se regarde plus dans le miroir, évite le regard de ceux qu’elle croise dans la rue. Nausées, ongles jaunis… Chaque semaine, elle subit un nouveau symptôme. "Mon corps était prêté à la médecine et je la laissais faire. Il ne m’appartenait plus. Le cancer m’a fait perdre mon insouciance, mon corps, ma jeunesse. Tout s’est évaporé."
Malgré tout, la jeune femme continue à aller travailler tous les jours, environ 36h par semaine pour apprendre le métier de tapissière. À sa demande, son entreprise à Villeurbanne la traite "comme une autre employée". "Le travail, c'était ma bulle, on ne parlait pas de mon cancer, on m’apprenait juste un métier", explique Julie. Un emploi physique avec de nombreuses heures passées debout pour coudre. Julie est prise de nausées chaque matin et de pertes de mémoire.
"Le pire pour moi, ça aurait été de perdre mes ongles et là, je n’aurais pas pu travailler. J’étais fatiguée physiquement, mais mentalement, c'était une échappatoire." Julie finit par décrocher son CAP avec la note de 17/20. Julie est reconnaissante. "Après un cancer, retourner au travail peut s’avérer difficile pour bon nombre de malades et moi, je n’ai pas eu cette rupture, je ne les remercierai jamais assez de m’avoir laissé travailler, ça m’a sauvée."
Ugo aussi est son pilier. Il l’accompagne à chaque rendez-vous. "Il ne décidait rien pour moi, m’accompagnait partout, il était présent", se rappelle Julie. "Tous les matins, il m’amenait au boulot à 6h, il venait me chercher, s’occupait de moi, m’écoutait sans jamais me juger." Julie ne s’en cache pas, c’est l’amour qui l’a sauvée. Ugo lui apprend la patience et à prendre "chaque jour comme il vient."
Son cercle amical se réduit. "Comme dans beaucoup de moments difficiles, les gens se révèlent", justifie la jeune femme. Le cancer gêne. Julie ne voit pas sa mère pendant tout son cancer. "C’était trop difficile pour elle de me voir malade, mais elle était très présente au téléphone", glisse-t-elle doucement.
Julie n’est pas rancunière. Pas même contre les médecins qui auraient pu, peut-être, diagnostiquer son cancer plus tôt. "J’ai toujours été discrète, on ne m’a sûrement pas prise au sérieux parce que je suis jeune, je ne fais pas de bruit et moi, j'ai fait confiance." Julie se demande parfois si son année et demie de chimiothérapie aurait pu être évitée. Si les médecins ne s’étaient pas trompés. Quand parfois, elle sent la colère monter, elle finit par se répéter les mots d’Ugo : "un jour à la fois". Puis le passé s’étiole. "À quoi bon rajouter de la colère quand on a une telle bataille à mener ?", se demande-t-elle.
Ramer pour avancer
Fin septembre 2023, Julie a reçu sa dernière injection. Dans le couloir, elle dit au revoir à une infirmière qui la salue sans trop d’effusion. Immobile, Julie réalise qu’elle n’est "qu’une patiente parmi d’autres". Alors qu’Ugo l’attend dans la voiture, heureux, elle s’installe côté passager et se met à pleurer sur le parking de l’hôpital. "Je n’arrivais plus à parler exactement comme le jour de l’annonce du cancer. Je me suis dit : tout ça pour ça ?" Un sentiment d’abandon la saisit. Elle ne ressent ni soulagement, ni euphorie.
Tu te bats pendant un an et demi, tu gagnes, mais tu as tellement morflé que tu n’arrives même pas à te réjouir.
Julie
Depuis, la jeune femme n’attend qu’une chose : "récupérer" son corps. "Il faut du temps pour que les effets de la chimio cessent, là, je vis une seconde adolescence avec de l’acné, des poils de partout, des hormones qui s’agitent". Elle rit. Julie a retrouvé ses cheveux à Noël. "Je ne mets plus de foulards et j’ai fait une énorme session shopping, mais j’ai hâte de me réveiller dans un corps confortable."
Adepte de la randonnée et de sport en nature, elle s’est inscrite à un club d’aviron le long de la Saône dans un cours spécialisé pour les malades en rémission. Ce sport d’extérieur muscle tout son corps et lui permet de reprendre le contrôle. Julie y trouve aussi de la bienveillance et de la compassion.
La trentenaire a changé de rythme de vie, s’est éloigné de la vie nocturne qu’elle ne vit plus comme les autres. "J’ai envie de me coucher à 23 h, les discussions me coûtent encore, car j’ai du mal à suivre le fil de la conversation. J’ai toujours le corps d’une mamie", justifie-t-elle.
Début octobre, ses amis ont tout de même organisé une fête surprise vers Clermont-Ferrand pour célébrer sa rémission. "J’ai été très touchée même si j’ai eu peur que ce soit trop tôt", admet-elle.
Aujourd’hui, la grande voyageuse se projette dans une vie "sans stress", à la campagne avec Ugo. Les amoureux ont acquis une maison près de Mâcon où Julie débutera bientôt son activité de tapissière en indépendant. "Là, j’organiserai une grande bringue pour remercier tous ceux qui m’ont soutenue", promet-elle. Le sens de la fête n’est finalement pas si loin.