Témoignage. "ll fait froid, on n'en dort pas de la nuit", des migrants mineurs ont occupé une église à Lyon

Publié le Écrit par Marie Bail
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Un groupe de 50 mineurs isolés a dormi à l'intérieur de l'église du Saint-Sacrement dans le 3e arrondissement de Lyon. Ces jeunes vivent sous tente dans un campement installé depuis le mois d'avril devant l'église et à quelques mètres du siège de la Métropole de Lyon.

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Un vent glacial secoue les branches des arbres du square Sainte-Marie-Perrin du 3e arrondissement. Il fait 5°C, ce samedi 9 décembre. Casquette rouge vissée sur la tête, Sadio ramasse les déchets dans le square. Ce jeune guinéen de 16 ans, qui est toujours en attente de la reconnaissance juridique de sa minorité, est arrivé en France à la fin de l'été. Il vit dans ce campement lyonnais depuis quelques semaines. "On se soutient ici, on accepte tous les jeunes qui nous rejoignent. C'est dur de vivre ici, il fait froid au point où on n'en dort pas de la nuit.".

Dans sa tente, il dort à même le sol et utilise des sacs-poubelles pour tenter de lutter contre le sol humide, parfois inondé, du square. "Notre couverture est mouillée, quand tu ouvres la tente, il fait vraiment froid", ajoute Sadio. Entre les jeux pour enfants et les grillages, les vêtements des jeunes migrants peinent à sécher ce samedi matin. 

Pour se protéger du froid et poursuivre son perfectionnement en langue française, Sadio, a un emploi du temps bien rodé. "Je me lève à 7h, je vais chercher de la nourriture et je me rends pour 8h au Secours populaire pour étudier. Ensuite, à midi, je vais au centre commercial de la Part-Dieu pour être au chaud, parfois en fin d'après-midi aussi, puis je récupère un repas place Guichard et je rentre me coucher". Et ce, depuis quatre semaines.

L'Église en dernier recours 

Mais la nuit dernière, Sadio et une cinquantaine de jeunes ont pu dormir dans l'église du Saint-Sacrement qui se trouve juste en face du square.

À la sortie de la messe ce 8 décembre vers 19h30, le collectif Soutiens/Migrants Croix-Rousse ainsi que plusieurs jeunes sont rentrés dans l'église, demandant à y passer la nuit. Le prêtre, interloqué, a d'abord refusé avant d'accepter face au froid "intenable" de cette nuit. Le Père Renaud a appelé l'archevêque de Lyon, Olivier de Germay, qui s'est rendu sur place à 23h, à l'issue de la messe du 8 décembre, et s'est entretenu avec les jeunes et le collectif. 

On a l'espoir que l'Eglise nous aide auprès des institutions que ce soit la mairie, la Métropole ou la préfecture.

Sarah Chauleur

Collectif Soutien/Migrants Croix-Rousse

"L'archevêque essaie de se mettre en lien avec les différents services pour que l'on puisse trouver une solution ensemble.", confirme Christophe Ravinet, responsable de la communication du diocèse de Lyon, présent devant le parvis de l'église ce 9 décembre.

"Un Chrétien accueille la personne en face de lui, surtout quand elle est démunie et fragile mais c'est aux pouvoirs publics de prendre des décisions de manière pérenne. Je ne sais pas encore ce qu'il va se passer par la suite mais cette église n'est pas un espace adapté pour les recevoir. Ces jeunes dorment entre les bancs, par terre, ils ne peuvent pas rester dans l'église sans la confisquer aux paroissiens", continue Christophe Ravinet.

"C'est indigne de la part de notre Métropole de ne rien faire, on se dit en tant que citoyen, qu'il doit bien être possible de mettre à l'abri ces jeunes qui vivent dans des conditions inhumaines depuis des mois.", expose Sarah Chauleur du collectif Soutien/Migrants Croix-Rousse. Sadio abonde : "je veux qu'on nous sorte de là, qu'on puisse dormir entre des murs tous les soirs". 

L'accueil des mineurs isolés est une compétence de la Métropole de Lyon. 

"Je n'ai pas eu le choix."

Sadio ne s'attendait pas à cette vie en arrivant en France. "Je n'avais vu le pays qu'en photo. Personne ne m'a dit que j'allais être dans la rue en arrivant. De toute façon je n'ai pas eu le choix". De froid ou de gêne, Sadio frotte ses mains couvertes de gants bleus en plastique, qui grincent contre son pantalon. Il a dû quitter la Guinée pour des raisons familiales et préfère ne pas trop s'attarder sur la question. Son regard se détourne. "Moi je n'avais pas l'intention de quitter mon pays, mais ça ne se passait pas bien à la maison et c'est mon grand frère qui m'a envoyé en France, je suis parti avec l'idée que j'allais étudier. J'ai beaucoup marché pour arriver là.".

Il a fallu un mois à Sadio pour rejoindre la Tunisie, dont des heures de marches dans le désert. "La Tunisie, c'est difficile, tu sens que tu n'es pas le bienvenu, ils n'aiment pas les Noirs là-bas.", confie Sadio qui est resté trois mois. "On m'a dit de rester dans une maison pour ne pas me faire attraper et taper.", poursuit-il. Cet été, de nombreux rassemblements contre la venue de migrants subsahariens ont été organisés en Tunisie, notamment dans la région de Sfax. Les embarcations de migrants en quête d’Europe partent désormais essentiellement depuis les villes côtières du littoral tunisien.

Comme Sadio et tant d'autres avant lui : 127 000 migrants sont arrivés en Italie entre janvier et septembre 2023. "Mon objectif restait la France, je parle la langue", explique le jeune Guinéen. "Les autres jeunes me disent que je dois rester six mois dans la rue mais je ne veux pas trop rester ici, j'ai bientôt 17 ans.", s'inquiète-t-il. Une fois son français perfectionné, Sadio veut poursuivre une formation pour travailler dans le bâtiment. "Il y a du travail, je me sentirai bien."

"On se sent prisonniers de la situation"

Paroissienne de l'église du Saint-Sacrement, Julie a assisté à la "prise d'otage symbolique", selon ses mots, de l'église hier soir. "Le collectif n'a pas laissé le choix au prêtre en réalité, je ne pense pas que ça soit une bonne démarche, ni une bonne solution à terme", explique-t-elle. Les catholiques seraient mis au pied du mur, avec une certaine "culpabilité". "Nous n'avons plus accès au parc, bientôt nous n'aurons plus accès à notre église", explique-t-elle. "Je veux qu'on les aide, on leur apporte souvent des couvertures et des vêtements quand on en a mais je me sens impuissante", confie Julie. Pour elle, l'action du collectif signifie "qu'on a fait le tour des solutions". 

Riveraine du parc, elle constate depuis l'installation du campement, en avril dernier, la dégradation de la vie du quartier. Depuis le début, elle dit avoir appelé les services de la mairie du 3e arrondissement qui lui aurait adressé une fin de non-recevoir, justifiant d'un "vide juridique" en la matière. Toutefois, elle a toujours refusé d'appeler la police. "Voilà neuf mois qu'on subit l'insécurité et l'insalubrité et attention, ce n'est pas la faute de ces jeunes gens, ils sont victimes d'autres personnes qui viennent régulièrement les déranger et des conditions de vie dehors.", affirme la jeune femme. "Comment vivre décemment en étant à la rue avec les rats qui pullulent dans le parc ?"

Julie est également présidente du conseil des parents d'élèves de l'école privée jouxtant l'église. Elle déplore une situation qui semble sans issue et témoigne de sa difficulté à expliquer la situation à ses deux petits garçons. "Qu'on laisse ces jeunes dans le froid et la faim, je ne comprends pas ce manque d'humanité". La jeune femme s'interroge : "que font les institutions, qui ne prennent même pas en considération la présence de deux écoles autour de ce square ?". 

Contactée, la Métropole de Lyon n'a pas encore répondu à nos sollicitations. Côté préfecture, seule une "demande du propriétaire des lieux", peut entraîner une action des services préfectoraux. 

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