Une réforme de la Police Nationale, voulue par le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, doit entrer en vigueur en 2023. Au sein de la Police Judiciaire, l’inquiétude des enquêteurs est particulièrement vive. Ces flics d’élite redoutent un nivellement par le bas, pire, ils craignent de voir leur spécificité disparaître. L'agenda du DGPN Frédéric Veaux prévoyait une visite à Lyon ce lundi 10 octobre. Mais le report de son déplacement prévu à Versailles a changé la donne.
Les Brigades du Tigre se rebiffent. Une petite phrase qui sonne comme un mauvais roman de gare mais qui traduit la vive inquiétude de la Police Judicaire face à la réforme qui pointe son nez. Les 5000 enquêteurs et fonctionnaires de la Police Judiciaire mènent des enquêtes au long cours notamment sur de la criminalité organisée ou de la délinquance en col blanc. Plus d'un siècle après la création de l'ancêtre de la PJ par Georges Clémenceau - surnommé le Tigre - ces policiers d'excellence se sentent menacés. Explications.
Réforme de la Police, la PJ vent debout!
C'est un accueil glacial qui s'est déroulé à Marseille, ce jeudi 6 octobre pour le grand patron de la Police Nationale, Frédéric Veaux, venu présenter la réforme des services. Une réforme qui rime avec restructuration des services et départementalisation. Comme on peut le voir sur la vidéo, c'est une haie silencieuse de près de 200 policiers de la PJ marseillaise, bras croisés, muets et arborant leurs brassards, qui accompagne la venue du directeur général de la police nationale (DGPN). Une manifestation silencieuse, devoir de réserve oblige, teintée d'hostilité pour exprimer l'opposition de ces policiers d'excellence.
Le patron de la PJ de la zone Sud, Eric Arella, a été démis de ses fonctions vendredi 7 octobre, au lendemain de cette manifestation de policiers au sein de l'hôtel de police de Marseille. L'opposition des enquêteurs de la PJ contre la réforme est montée d'un cran. Des rassemblements spontanés ont eu lieu vendredi après-midi un peu partout en France.
L'éviction d'Eric Arella a suscité l'indignation dans les rangs de la PJ et dans le monde judiciaire. En signe de protestation, des centaines d'enquêteurs se sont rassemblés devant leurs services dés vendredi après-midi. Les rassemblements ont eu lieu "dans plus de 40 villes", selon l'ANPJ qui a fait part samedi de son "indignation et sa consternation" après le limogeage d'Eric Arella.
Le tour de France de Frédéric Veaux prévoyait un passage à Lyon ce lundi 10 octobre 2022, pour présenter sa réforme. Après l'éviction du patron de la PJ marseillaise et l'annulation de la visite prévue à Versailles, l'agenda du DGPN a été bousculé. "Lyon est une plaque très forte de la résistance à la réforme", a indiqué Eric, un enquêteur de la PJ depuis plus de 20 ans.
DDPN : le projet controversé et décrié
Comment expliquer cette levée de boucliers ? Pour ces policiers spécialisés, la PJ c'est avant tout une histoire d'excellence, voire davantage : "Il y a une fierté d'appartenir à la PJ. On est des policiers au long cours, intégrés à l'histoire de la PJ. Travailler à la PJ, c'est le Saint Graal pour un policier. C'est presque un sacerdoce ! " ajoute cet enquêteur lyonnais.
La réforme de la Police Nationale, déjà expérimentée dans plusieurs départements, est prévue pour 2023. Elle vise à rassembler à l’échelon départemental tous les services de police, les quatre grands métiers opérationnels : la sécurité publique, la police aux frontières (PAF), le renseignement territorial et la police judiciaire (PJ). Ces services seraient ainsi placé sous l’autorité d’un responsable unique, le Directeur départemental de la police nationale (DDPN). Le projet suscite de vives craintes de la part des enquêteurs de la PJ : le gouvernement souhaite intégrer au sein d'une filière investigation les enquêteurs de PJ, spécialisés dans les enquêtes complexes, avec ceux de la sécurité publique en charge de la délinquance au quotidien.
Objectif affiché de la future réforme voulue par le Ministre de l'Intérieur : désengorger les commissariats et "remettre du Bleu sur la voie publique". Pour les promoteurs du projet de réforme, il s'agit surtout d’unifier pour obtenir davantage d'efficacité.
Les enquêteurs de la PJ n'ont de cesse de mettre en avant leur spécificité : ils sont chargés d'investiguer sur les crimes "les plus graves", de la criminalité organisée qui ne connaît pas de frontières départementales ou encore des affaires financières délicates et complexes. "Nous nous occupons du spectre haut de la délinquance".
En outre, en matière de sécurité publique, certains pointent du doigt la fausse bonne idée : "Les services de la PJ seront noyés. On va perdre énormément", explique l'enquêteur qui redoute une "aspiration vers le bas", avec le risque d'une démotivation des enquêteurs.
Vers une perte d'expertise et de moyens ?
C'est un fait suffisamment rare pour être souligné. En août dernier, des enquêteurs de la PJ ont lancé l’Association nationale de la police judiciaire (ANPJ) contre ce projet de réforme qu'il qualifient d'"opaque et mortifère". L'association se veut "apolitique et sans étiquette syndicale". Ce projet controversé de réforme de la police nationale menace selon eux leur "savoir-faire", leur "spécialisation" et leurs qualités d'experts sur les dossiers sensibles. "Si on est soumis à un travail de masse, on perd l'expertise", résume Eric. Et c'est aussi tout un arsenal de moyens que ces policiers d'excellence redoutent au passage de se voir délester.
La PJ, ce ne sont pas que des enquêteurs. On a aussi nos propres administratifs, des cadres, des techniciens, des informaticiens, des formateurs. Tout un personnel dédié et spécialisé dans la criminalité organisée. Dans le cadre de la réforme, tout ce personnel risque de se retrouver dans un pool commun.
EricEnquêteur à la PJ de Lyon
Pour les opposants à la réforme, le projet vise à gérer la pénurie de moyens au détriment de la police judiciaire d'excellence. "On a besoin de temps pour établir les responsabilités, pour enquêter. On mène des enquêtes au long cours", explique l'enquêteur. Loin du contentieux de masse qui engorge les commissariats, selon lui. Cette réforme, les opposants redoutent aussi "un impact au niveau du citoyen".
Samedi 8 octobre, les syndicats de police ont demandé au ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin des mesures "d'apaisement" face à cette contestation suscitée par la réforme de la police judiciaire et au lendemain de l'éviction du patron de la PJ de la zone Sud.