Le jeudi 23 mars au matin, Alona Triol a cessé de se nourrir et s'est installée devant son entreprise pour dénoncer des changements en interne. Après 24 heures de grève de la faim et une nuit passée dehors, la salariée annonce continuer son action.
"Je n’ai pas beaucoup dormi avec le bruit des voitures et je commence à ressentir la faim, mais avec ce qui se passe je n'ai pas d'appétit ". Alona Triol vient de passer sa première nuit sous une tente devant la Compagnie Nationale du Rhône. Cette chargée de projet, représentante du personnel (CGT) travaille ici depuis 13 ans.
Elle a entamé une grève de la faim jeudi 21 mars au matin après avoir rencontré les actionnaires de l'entreprise, avec d'autres salariés.
"Je n'ai pas d'autre moyen d'action"
Une décision radicale qui intervient après plusieurs actions récentes des syndicats de la CNR (baisse de la production d'hydroélectricité, fermetures d'écluses). En cause : des changements à l'œuvre dans l'entreprise concessionnaire du fleuve pour la production d'hydroélectricité, le transport fluvial et les usages agricoles.
Une réorganisation en interne qui ne passe pas
"Tout ce qu'on a fait n'a pas eu d'effets, je n'ai pas d'autre moyen d'action pour interpeller la direction, explique la chargée de projet. Je sème une graine pour unifier les salariés, pour que la parole se libère et j'espère que les actionnaires se mettront autour d'une table avec nous."
L'action d'Alona a choqué un peu tout le monde et l'annonce s'est très vite répandue dans l'entreprise.
Yoan Gressier, syndicat CFE
La CNR revendique 1484 employés et a pour principaux actionnaires Engie et la Caisse des dépôts et consignations. Une réorganisation globale est en cours dans l'entreprise. Les directions territoriales à Valence, Avignon, Bel, Ampuis, vont être supprimées pour laisser place à une direction centralisée, expliquent les syndicats. "On pense que ce n'est pas efficace pour une entreprise qui se revendique ancrée dans le territoire, s'exaspère Hervé Laydier, secrétaire général du syndicat CGT CNP. Comment vont se faire tous les arbitrages du quotidien ?"
Craintes pour les acquis sociaux
Deuxième changement à venir : la Direction des Nouvelles énergies, où travaille Alona Triol, va être transférée à la filiale Vensolaire. "Le problème c'est que les salariés n'auront plus la convention collective de la CNR, on va donc vers du moins-disant social", explique Yoan Gressier du syndicat CFE.
De son côté, la direction assure que "Ce regroupement à effectif constant sera effectué sur la base du volontariat et sans mobilité géographique. Des mesures d’accompagnement collectif avec un droit de retour au sein de CNR seront proposées aux salariés concernés."
"Le problème c'est qu'on va avoir un système de postes en attente et des fonctions supports. Même s'il n'y a pas de licenciement, des personnes vont être mises au placard", réagit le syndicaliste.
Trois points d'achoppement pour les syndicats : les actionnaires capteraient 90 % des dividendes. "On était à 65, 70 % avant", calcule Yoan Gressier. Dans l'ensemble, du côté des syndicats, un sentiment domine, partagé par Alona Triol : celui de ne pas être écouté. "La réforme est imposée par le haut, on n'arrive pas à discuter", assure Hervé Laydier, secrétaire général du syndicat CGT CNP.
Dialogue ouvert avec la direction
L'action d'Alona Triol n'a pas laissé indifférent dans l'entreprise. "Spontanément un salarié a emmené une tente, d'autres sont venus témoigner de leur solidarité", raconte Hervé Laydier.
Une autre salariée est même venue dormir à proximité. Dans la soirée, Alona a aussi reçu la visite de son mari, accompagné de son fils de 10 ans. "Le terme "grève de la faim" fait peur à mon fils, confie avec émotion la mère de famille. Il aimerait dormir avec moi ce week-end, mais ce n'est pas possible pour sa sécurité".
De son côté, la direction a permis à Alona Triol de dormir derrière le portail pour sa sécurité et a fourni un accès aux sanitaires à la gréviste.
"Nous sommes très touchés et attristés qu’une de nos salariés ait décidé d’entamer une grève de la faim en réaction au projet d’évolution de l’organisation de la CNR", déclare la direction dans un communiqué. Alors, jusqu'où compte aller Alona Triol ? "Je resterai tant que la situation est injuste", assure-t-elle, ce vendredi 22 mars.