Viols, agressions sexuelles. Depuis deux jours, la parole se libère dans les Instituts d'Etudes Politiques de France. Le #sciencesporcs a été lancé pour dénoncer ces faits et le silence des directions. L'IEP de Lyon n'est pas épargné. C'est ce que révèle son directeur ce mercredi matin.
Depuis plusieurs jours, des témoignages d'étudiants ou d'anciens étudiants des Instituts d'Etudes Politiques affluent sur les réseaux sociaux pour dénoncer des viols ou des agressions sexuelles subies durant leurs études. La vague #sciencesporcs déferle sur les IEP. La direction de l'IEP de Lyon a réagi par communiqué ce mardi 9 février : "La lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles dans l'enseignement supérieur et la recherche doit être l'affaire de toutes et tous. Il est important que la parole se libère et que justice soit rendue pour toutes les victimes."
Cadre commun et actions en interne
Dans son communiqué du 9 février, la direction de l'IEP rappelle qu'il existe un "cadre commun" : "la compétence des établissements d’enseignement supérieur en la matière est fixée par le code pénal, par le code de l’éducation et par la circulaire du 26 novembre 2015 sur la prévention et le traitement du harcèlement sexuel dans les établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche." En outre, la direction indique également que l'IEP de Lyon s'est doté en 2018 "d’une charte et d’une cellule dédiées aux questions relatives aux discriminations ou au harcèlement" et que des actions de prévention lors des réunions de rentrée, auprès des associations étudiantes, sont menées chaque année au sein de l'école. La charte est signée par tous au début de l'année. Enfin, des signalements au procureur de la République et des actions internes à l'établissement sont également de rigueur.
Dans son communiqué, la direction de l'IEP signale que l'établissement dispose d'une référente égalité "qui est là pour écouter, accompagner et orienter les victimes. Elle peut être saisie par les victimes directement ou par un.e camarade, un.e enseignant.e ou un personnel qui aurait connaissance d’un fait de violence physique ou morale sur autrui."
Trois signalements à l'IEP de Lyon
Ainsi, Renaud Payre, directeur de l'Institut des Études Politiques de Lyon, indiquait ce mercredi matin 10 février, avoir eu à signaler au procureur trois signalements. "Il y a eu des plaintes qui sont remontées à la direction". "Les cas qui sont remontés à la direction remontent souvent en début d'année universitaire...." a indiqué le directeur qui ne veut pas en tirer de conclusion hâtive. "J'ai eu à procéder à trois signalements au procureur. Il y a eu des accompagnements dans des dépôts de plainte", précise Renaud Payre. Le directeur de l'IEP de Lyon a tenu à souligner le travail d'accompagnement de la référente égalité et de la direction des études "très à l'écoute" des étudiantes et étudiants. Des signalements qui concernent "des étudiants entre eux".
"Il y a eu un premier signalement sur l'année 2018-2019 et les deux autres, sur l'année 2019-2020", indique le directeur. "Il y a eu des dépôts de plainte" et les affaires suivent leurs cours, selon le directeur. Mais le temps de l'établissement diffère sensiblement du temps de la justice.
"Sur une des affaires, j'ai été amené à rappeler le parquet (...). La procédure disciplinaire interne à notre établissement a été saisie et tout cela est indépendant du rôle du directeur (...) Il y a même eu une procédure d'éloignement qui a été adoptée par l'établissement. Du fait même que la justice n'était pas passée, il fallait qu'on arrive à une protection, des étudiantes, des étudiants et surtout qu'il n'y ait pas d'entrave au bon déroulement des études" a précisé Renaud Payre.
Notre rôle est de mettre en place des procédures disciplinaires dès lors que le fonctionnement de l’établissement est perturbé et de protéger nos étudiants et nos étudiantes.
"Dès lors que j’ai été interpellé, qu’on a porté à ma connaissance des actes de harcèlement ou de violences, j’ai agi ! Est-ce suffisant ? C’est la vraie question. Est ce qu'il faut une cellule d'écoute plus active?" s'interroge le directeur. "C'est probablement une piste à explorer... (...). J'espère avoir été informé de tout (...). Je pense que nous devons encore améliorer nos procédures".
"Un établissement de 1.800 étudiants a aussi des moyens limités. Je pense qu'il faut un numéro vert (...) local ou national. Il aurait une grande utilité," a également déclaré le directeur de l'IEP de Lyon.
#sciencesporcs ou le "#MeToo de Sciences Po"
Du côté des étudiants de l'IEP de Lyon interrogés aujourd'hui, c'est un sentiment de soulagement qui domine. Gaël, étudiant en 2e année, évoque de la "surprise" mais se dit satisfait que "les choses se débloquent" même s'il indique ne pas avoir eu connaissance des trois signalements révélés par le directeur de l'Institut d'Etudes Politiques. Manon et Lou qui font partie du BDE (Bureau des élèves) sont soulagées que la parole se libère enfin via le #sciencesporcs: "il était temps que ça sorte enfin ! Les victimes n'étaient pas forcément écoutées par l'administration. Il n'y avait pas de vraie réponse".
Pour Bastien, ce hastag #sciencesporcs, "c'est un peu le #metoo de Science Po". L'étudiant de 2e année se réjouit : "la parole se libère même dans les grandes écoles". De son côté, Gaël s'interroge : la volonté de "préserver" la réputation de l'école et la valeur du diplôme a-t-elle eu raison des faits ? "Briser le silence et l'omerta pousse Sciences Po à réagir", d'après Bastien. Une mise en lumière qui pourrait apparaître comme une mauvaise publicité pour Sciences Po. A-t-il des craintes pour la réputation de l'antenne lyonnaise et du réseau des IEP en général ? Pas vraiment. Tout va dépendre, selon Bastien de la manière dont les directions et les administrations des IEP vont s'emparer du problème et "s'atteler à apporter des réponses".
Parole libérée, administration trop silencieuse
Et sur la question des réponses de la direction de l'IEP de Lyon, les deux étudiantes du BDE ne cachent pas leur agacement. Selon elles, les mesures mises en place par l'administration de l'école, comme la cellule égalité, "n'existent pas vraiment". Une réunion par an pour cette cellule : largement insuffisant, voire symbolique. Pour les deux jeunes femmes, s'agissant de la révélation des trois signalements au procureur de la République, l'administration n'avait pas vraiment d'autre choix.
Alors les étudiants de l'IEP de Lyon interrogés aujourd'hui demandent des mesures concrètes et un "véritable investissement de l'administration". A commencer par la prise en compte de la parole des victimes qui ont eu "le courage de témoigner sur les réseaux sociaux, sans pour autant dévoiler les identités des agresseurs", estiment Manon et Lou. Il en va selon elles de la responsabilité d'une école où doit régner "un climat de sécurité".
Et face à une justice jugée "trop lente", les deux étudiantes réclament aussi des mesures plus radicales comme l'exclusion des auteurs des faits avérés, et non simplement des "transferts d'un campus à l'autre". Et les deux jeunes femmes ne cachent pas non plus leurs inquiétudes pour l'avenir en cas d'impunité des auteurs d'agressions dans cette école de l'élite : "les auteurs de ces faits de violences et d'agressions seront dans leur vie professionnelle, amenés à occuper des postes de pouvoir".
Le Collectif Pamplemousse dénonce un manque de prévention
Pour le collectif Pamplemousse, association féministe de Sciences Po Lyon, pas question de baisser la garde. Le 1er février dernier, un message était publié sur la page Facebook de l'association étudiante : "face au mouvement de libération de la parole des étudiant-e-s des IEP ayant subi des violences sexuelles, à la suite du témoignage d’une étudiante de Sciences Po Bordeaux sur le groupe des étudiant-e-s de son IEP, le Collectif Pamplemousse a tenu à republier son formulaire de témoignage anonyme de violences sexuelles." Le Collectif lyonnais a remis à disposition des étudiants son formulaire de témoignage anonyme de violences sexuelles. Bilan : "en trois jours, le collectif a reçu 10 témoignages", rapporte Margaux, membre du collectif Pamplemousse.
Le Collectif Pamplemousse a également réagi au communiqué de la direction de l'IEP de Lyon publié le 9 février, n'hésitant pas à dénoncer une opération de communication.
Le collectif Pamplemousse n'a pas caché sa déception se disant notamment "consterné de voir l'administration s'approprier le travail réalisé par les associations et les étudiants-e-s de l'établissement, afin de pallier les manquements de l'établissement. En effet, ces actions internes ont été le fruit d'une lutte, et n'ont pas été à l'initiative de l'administration". Pour Margaux, l'administration de l'IEP de Lyon ne met pas suffisamment l'accent sur la prévention et ne communique pas sur les mesures existantes.
La direction de l'IEP de Lyon appelle "l’ensemble des victimes de violences subies au sein de notre établissement à contacter la référente égalité" via l’adresse egalites@sciencespo-lyon.fr