Anaïs Duraffourg fabrique des yaourts entiers au lait bio, des faisselles, du fromage et d'autres produits laitiers dans son atelier installé au coeur du quartier de la Guillotière. C'est tout récent, elle a ouvert l'unique laiterie de Lyon, dans le 3e arrondissement.
Au carrefour de la rue Mortier et de la rue Montebello, louche en main et vêtue de son tablier immaculé, Anaïs Duraffourg s'affaire derrière sa vitrine devant ses produits laitiers. Pendant que le fromage blanc s'égoutte lentement dans son linge et que le riz au lait mijote tranquillement, elle est en pleine étape de moulage des fromages au lait cru ... Le laboratoire a pignon sur rue. Alors les passants ne manquent pas de jeter un oeil avant de poursuivre leur route, certains s'arrêtent pour saluer la fromagère. Ce commerce était autrefois une boucherie halal. Anaïs a également investi l'ancien restaurant indien voisin, longtemps désaffecté. Les deux enseignes ont laissé place à une laiterie urbaine, la seule de Lyon à ce jour. Depuis mars dernier, elle prend peu à peu sa place dans ce quartier cosmopolite et dans le coeur des amoureux des produits locaux et biologiques.
100% vache, 100% lait cru, 100% fait ici!
Dans la laiterie d'Anaïs, il flotte une attirante odeur de crème, de vanille et de petits-déjeuners d'antan. La jeune trentenaire fabrique du fromage, des faisselles, des yaourts natures ou aromatisés. Elle concocte aussi un onctueux riz au lait dont la réputation a déjà dépassé la frontière du quartier. Le mardi matin, c'est l'heure de la fabrication des fromages au lait cru. Les produits nécessitant une pasteurisation sont réalisés durant le reste de la semaine.
Bleus, Comté, Valençay et autre Brie s'exposent derrière le comptoir en attendant d'être dégustés. À côté de cette sélection pointue de grands classiques, trône la spécialité de la Laiterie de Lyon, c'est le “Petit Pont”. Un petit format baptisé ainsi en hommage à la place Gabriel Péri toute proche et surnommée par les Lyonnais, "la place du Pont". Les clients apprécient son goût et son prix mini.
"C'est un fromage de type lactique, qui pourrait ressembler au Saint-Félicien et c'est celui qu'on veut le plus, des particuliers aux restaurateurs. C'est le fromage emblématique de la laiterie : 100% vache, 100% lait cru, 100% fait ici ! On ne peut plus local," explique Anaïs. "C'est un fromage qui est fait avec beaucoup d'amour!"
Une reconversion ....
Relancer une fabrication de fromages en plein coeur de la capitale des Gaules, le pari de la jeune trentenaire était audacieux. Mais que voulez-vous, Anaïs est "tombée dans le tank à lait" toute petite. D'ailleurs, elle en connaît un rayon sur l'histoire gastronomique de ses produits ou la naissance des premières coopératives laitières. Ses parents avaient une ferme dans le Jura, dans la filière Comté. Ce métier de fromagère, c'est un peu comme un retour aux sources pour cette fille de producteurs de lait. Elle ne se destinait pourtant pas à marcher dans leurs traces. "Petite, je n'avais qu'une envie, m'émanciper de ce milieu rural, partir, faire des études et voyager. Le métier est très contraignant et avec peu d'opportunités de partir en vacances ou de se faire remplacer," explique-t-elle. Manque de reconnaissance, pénibilité, faibles revenus ... "mais, avec le recul, on revient peut-être à des choses qui nous ont marqués".
Et pour Anaïs, le fromage, c'est bien plus qu'un simple produit laitier : "Il y a un lien affectif avec le fromage, c'est un produit qui nous touche, qui plaît et qui évoque des souvenirs d'enfance".
... et une voie "lactée" toute tracée
Après une expérience professionnelle en gestion de projet humanitaire puis culturel, la jeune femme a donc décidé d'une reconversion et de revenir à ses origines lactées. Une fois son diplôme en poche, elle a été embauchée chez un fromager qui a monté la première laiterie urbaine à Paris. Anaïs a ainsi fait ses armes chez Pierre Coulon, un de ses formateurs, qui a ouvert la Laiterie de Paris, dans le quartier de la Goutte-d’Or.
J'ai fait une formation sur le tard. On m'a appris à faire des petits fromages lactiques, des yaourts, quelques tommes... à s'amuser en fait avec le lait pour essayer de faire des fromages qu'on aime.
Embauchée dans cette laiterie parisienne, Anaïs s'est formée au métier et à la transformation fromagère durant plusieurs mois avant de créer sa propre entreprise à Lyon, avec un partenaire dans un premier temps, avant d'en prendre la tête en solo. Ouverte en 2020, c'est aujourd'hui l'unique laiterie urbaine de la capitale des Gaules. Une reconversion récente mais pour la jeune fromagère, c'était une évidence. Une sorte de voie (lactée) toute tracée.
Le retour d'un savoir-faire qui avait déserté la ville
"On a recréé une laiterie urbaine à Lyon. La dernière a fermé en 2008. Elle était à Sans-Souci. On a remis au goût du jour un métier qui a disparu des centres-villes au profit de supermarchés ou des autres commerces de proximité", explique la co-fondatrice de la Laiterie de Lyon. "Ça peut paraître insolite aujourd'hui car les principaux lieux de fabrication des fromages seraient plutôt vers les fermes ou en montagne, ou dans les plaines, en tout cas à proximité des animaux". Le saviez-vous ? A Lyon, il existait aussi une "vacherie" au Parc de la Tête d'Or pour nourrir les orphelins de la ville. Ces productions ont peu à peu disparu des zones fortement urbanisées, "mais à Lyon, il existait une cinquantaine de laiterie au début du siècle. Avec l'évolution de la société, ce type de métier a quitté les centres-villes pour s'installer au plus près des animaux."
►Il était une fois la vacherie de Lyon...
La vacherie du Parc est une ancienne laiterie municipale située dans le Parc de la Tête d'Or à Lyon, en France. Elle a été conçue par l'architecte Tony Garnier à la suite d'une commande de la municipalité. Elle était destinée à fournir du lait aux orphelins lyonnais, et incluait une étable de 40 vaches, une usine de stérilisation du lait et un logement pour les vachers. La vacherie était entrée en service dès la fin des travaux, en fin d'année 1906. Ayant un rendement insuffisant, elle a été fermée en 1919 pour être transférée sur le domaine de Cibeins, à Misérieux, dans l'Ain. Après avoir été transformée en fauverie à partir des années 1920, l'édifice est maintenant un bâtiment administratif.
Pourquoi une laiterie urbaine ?
Pourquoi a-t-elle choisi de transformer du lait en pleine ville ? Une question de conviction. Cette initiative permet d'éviter les intermédiaires entre producteurs et fromagers. "Cela permet d'acheter le lait à un prix fixé par le producteur. On l'achète à 75 centimes le litre. Ce qui est deux à trois fois plus cher que la moyenne nationale" explique la fromagère. L'objectif : payer le lait à "un juste prix" aux éleveurs. Anaïs avait envie de contribuer à son échelle à la valorisation du savoir-faire des producteurs et d'encourager les agriculteurs.
Mais d'où vient le lait bio utilisé par la Laiterie de Lyon ? Il est collecté directement dans une ferme située dans le Nord-Isère, à Luzinay, à une vingtaine de kilomètres de la Laiterie de Lyon. Il arrive au laboratoire, par bidons de 20 litres, chaque mardi, après la traite du matin. Anaïs a ainsi misé sur le circuit-court pour conduire la ferme jusqu'au consommateur.
Fabriquer des fromages au coeur de la ville correspond enfin à une démarche éthique et éco-responsable volontaire. Anaïs a mis en place un système de consignes des pots de verre pour les yaourts. Les contenants rapportés par les clients sont stérilisés et réutilisés par la fromagère. L'initiative contribue ainsi à réduire les emballages plastiques.
Pourquoi avoir choisi ce quartier ?
Anaïs a longtemps habité le quartier de la Guillotière et le connait bien. Elle habitait même en face de son actuel commerce. "J'allais acheter mon fromage sur les quais (du Rhône) car dans ce quartier, il n'y avait pas de fromagerie. Il fallait une fromagerie, donc on en a donc monté une ici. Il y avait un besoin."
Mais comment s'est passée l'installation? "On est allés se présenter à nos voisins directs. On a rencontré les gens du quartier, je leur ai fait goûter ce que je faisais et ce que je vendais. On a commencé par de l'Emmental, puis du Comté doux". Des rencontres fromagères à double sens basées sur l'échange et la convivialité. "Pendant le Ramadan, j'ai fait du lait fermenté. J'ai trouvé avec mes voisins une recette qui a bien fonctionné". Et le prix dans tout ça ? "L'idée était aussi de vendre des fromages pas forcément chers comme le Petit Pont. On peut faire du bon, pas forcément à un prix élevé et toucher une population diverse..."
Anaïs et la Laiterie de Lyon, on vous a gardé "la crème" de cette rencontre ... dans V.O.S.T.