S'estimant négligés par les autorités sanitaires, des habitants du Pays de l'Ozon, au sud de Lyon, procèdent à leurs propres prélèvements pour les confier à un laboratoire canadien spécialisé dans le dépistage des PFAS, polluants dits éternels.
Le protocole est suivi à la lettre, les échantillons doivent être irréprochables. Les membres d'Ozon Eau Saine se sont procuré des flacons de polyéthylène de haute densité qui ne contiennent aucun PFAS. Les petites bouteilles sont rincées plusieurs fois et Louis Delon porte des gants à chaque prélèvement. "Toutes les précautions doivent être prises pour ne pas fausser les résultats", explique ce particulier. "Nous recherchons des micropolluants dont les limites de détection sont très faibles".
Nous sommes à plus de 10 km en aval de la plateforme industrielle suspectée d’avoir pollué le Rhône. La présence de PFAS a été mise en évidence à des concentrations importantes dans l'eau du robinet qui coule à Communay ou Saint-Symphorien d'Ozon, dans la vallée de la chimie. Mais aucune autre analyse n'a été pratiquée par les autorités de santé à l'est du fleuve, contrairement à la rive ouest (Pierre Bénite, Oullins, Irigny) où sols, œufs, et légumes ont été testés et s'avèrent, eux aussi, pollués.
Connaître l'ampleur de la pollution
Louis Delon, membres du collectif Ozon Eau Saine, est en colère. "On est en zone rouge et on a l'impression qu'il y a un silence généralisé chez les politiques et les autorités sanitaires au sujet des PFAS. Nous voulons savoir plus précisément quelle est l'ampleur de la pollution des eaux sur le territoire de l'Ozon, non seulement l'eau du robinet, mais aussi les rivières, les puits, la nappe phréatique."
Qu'à cela ne tienne, les riverains mobilisés ont lancé une cagnotte en ligne pour financer leur propre campagne d'analyses. Ils réalisent des prélèvements d'eau sur les propriétés de particuliers volontaires, et les confieront au laboratoire du Professeur Sébastien Sauvé, professeur de chimie environnementale à l’Université de Montréal, l'un des plus performants au monde pour les PFAS.
"Dans les analyses qui ont été rendues publiques par la DREAL, 20 PFAS sont recherchés à partir d'une concentration de 10 à 50 nanogrammes / litre", explique Louis Delon. "En dessous de cette valeur, ils ne sont pas détectés. Le laboratoire canadien a des limites de quantification bien plus basses, ce qui va nous permettre d'avoir une mesure beaucoup plus précise de la situation".
"Si j'arrose mon jardin avec des produits toxiques, je veux le savoir"
Françoise Frot, habitante du Pays de l'Ozon
Habitant dans la zone, Françoise Frot, médecin, a accepté de participer à cette étude indépendante pour être fixée sur la qualité de l'eau d'une source qui coule dans son terrain. Enfant, elle la buvait, et depuis des décennies, elle s'en sert pour irriguer son potager. "Si j'arrose mon jardin avec des produits toxiques, ça m'intéresse, dit-elle, parce que les légumes, je les mange, moi !"
Mêmes préoccupations de santé pour une autre volontaire, Stéphanie, mère de famille : "Dans notre secteur, il n'y a pas eu de réunion publique, pas d'information sur ces taux retrouvés dans notre eau. On ne sait pas à quel niveau ils peuvent être dangereux pour nous ou pour nos enfants". Interrogeant les élus locaux ou le député de la circonscription, elle n'a pas obtenu de réponse satisfaisante. "D'où la nécessité, ajoute-t-elle, de faire nous-mêmes un état des lieux de la pollution sur notre secteur". L'eau de son puits va donc faire un voyage transatlantique direction Le Québec.
L'un des pires scenarios du monde."
Sébastien Sauvé, Université de Montréal.
Pour le Professeur Sébastien Sauvé, universitaire montréalais qui réalisera gracieusement les analyses, cette opération relève de la "science collaborative". "C'est gagnant-gagnant, explique-t-il. Je travaille sur les PFAS, et le sud de Lyon est un site particulièrement intéressant à explorer. Pour des raisons logistiques, ça m'aide beaucoup que ces particuliers collectent des échantillons."
Il ajoute, et c'est peu réjouissant, que Lyon ayant des usines et une production historique importante de PFAS, le bassin fait partie des cas d'exposition extrême, comme il en existe peu dans le monde. Il précise : "ça nous donnera un aperçu du pire - ou de l'un des pires - scenario que l'on peut avoir en termes de contamination". Les analyses d'eau du Pays de l'Ozon prendront plusieurs mois.